Karyaan
Musique
-
[Limoges, début d'année 1458]
- Vous partez ?
- Oui
- Mais pourquoi ?
- Parce que je ne conçois pas le travail d'ambassadrice en restant dans le Comté qu'on représente.
C'est à La Trémouille que celle qu'on surnomme la Brindille était arrivée. Et c'est à La Trémouille qu'elle disparue.
- Vous avez de ses nouvelles ?
- Non aucune.
- Ce n'est pas normal ça.
- Oui mais en attendant elle a abandonné son poste.
- C'est bien ça qui n'est pas normal. Elle n'est pas du genre à abandonner comme ça les choses sans raison.
- Vous la connaissez si bien ?
- Non...
- Alors qu'est-ce que vous en savez ?
- ...
[La Trémouille, début d'année 1458]
- Excellence ?
- Oui ?
- Un message pour vous de Bretagne.
- De Bretagne ?
- Oui... Message privé.
Silence..,
La Brindille renvoya le jeune messager et s'assit à son bureau. Elle qui était déjà si pâle, blêmit d'autant plus en lisant les mots couchés sur papier froissé. Elle qui restait le plus souvent de marbre, calme et posée, se leva d'un bond, empoigna sa besace, son bâton de marche et disparue dans la nuit qui commençait déjà à avaler l'horizon.
Plus personne n'eut de ses nouvelles.
[Bretagne, quelques semaines plus tard]
- Tu arrives trop tard 'Anon
La petite chose s'effondra alors, épuisée par la route, la course folle qu'elle avait fait pour arriver aux abords de Rieux. A cause de soucis politiques, elle avait du prendre les chemins de traverse. A cause de ces satanées querelles de débiles profonds elle était arrivée trop tard. Elle s'effondra, sombrant dans les bras de l'homme qui lui faisait face.
Elle se réveilla trois jours plus tard. Ce n'était qu'un rêve, un cauchemar. Mais elle se rendit compte que non, sans même ouvrir les yeux. Ces odeurs, ces odeurs ne pouvaient pas la tromper. Ces odeurs de plantes, de cuisines si particulière et cette ambiance, cette énergie qui affluait de partout. Elle se savait chez elle, et c'était la dernière chose qu'elle voulait. Car ça signifiait que tout était réel. Qu'il n'était plus, que son dernier lien était rompu. Elle ne voulait pas ouvrir les yeux, enfouissant son visage dans l'oreiller, pleurant la rage et la peine qui l'inondait. Suffoquant sous le poids de l'impuissance. Elle aurait du être là, elle n'aurait jamais du partir, elle n'aurait jamais du l'abandonner. Ils l'avaient eu... Et comme sa mère, il l'a rejoint dans les pires souffrances qui soient. Elle l'avait abandonné.
- 'Anon... tu devrais manger un peu
- Non...
Le visage dans l'oreiller de plumes, cherchant à oublier, cherchant à revenir dans le passé. Tenter de tout changer, tenter de ne plus refaire les même erreurs. Elle ne veut pas, elle ne veut plus. Elle veut sa mère, elle veut son père. Elle ne veut pas être seule. Elle ne comprend pas... elle n'y arrive pas.
- 'Anon... tu n'aurais rien pu faire. Tu aurais risqué ta vie aussi et tu sais bien que ce n'est pas ce qu'ils voulaient.
- Tais toi...
- 'Anon...
- TAIS TOI !!!
Elle se redressa vivement et le fusilla du regard. Un regard plein de haine, de rage, de violence. Ce genre de regard qui fait des gens comme elle des êtres dangereux. Des êtres qu'on pourchasse et qu'on brûle. L'homme, assit sur le coin du lit fronça les sourcils mais soutint son regard.
Elle se leva alors, nue comme au premier jour de sa vie. Elle se leva et n'enfila que sa cape, puis sortit. L'homme resté assit soupira en baissant les yeux, et fini par la suivre.
Elle s'enfonça dans la forêt aux abords de la petite maison isolée. Elle savait qu'il la suivait, mais elle s'en moquait. Pieds nus, elle marchait, d'abord d'un pas vif, puis fini par se calmer, ses doigts frôlant les grands chênes. Elle s'arrêta alors, main posée sur l'écorce, tête baissée. L'homme s'approcha et posa sa main près de la sienne. Restant dans son dos, son visage frôlant le sien. Il lui murmura ce qu'il s'était passé.
Il lui murmura comment son père avait aidé un vieux seigneur en l'accompagnant au seuil de sa mort. Comment ses enfants l'avaient accusés et comment l'Inquisition l'avait jugé.
Tête baissée, yeux fermés, les larmes inondant ses joues diaphanes, elle écoutait son ami d'enfance lui narrer les derniers jours de l'homme qu'elle aimait plus que tout. Et tout se déchirait en elle, tout se décomposait. Plus rien avait de sens, de raison d'être. Plus rien...
Nuit de pleine lune.
Treize silhouettes marchaient en silence dans la forêt. Rejoignant un point connu d'eux seuls. Cercles de pierres sacrées. Les capuches se relevèrent, les robes de bure glissèrent sur leurs peaux nus. Ils s'avancèrent alors en cercle. Ils entamèrent des litanies dans une langue païenne et interdite. Ils s'offrirent à la Déesse Mère, sous leur lune protectrice. Ils rendirent hommage à l'un d'entre eux que la vie leur avait retiré.
Une femme, la plus âgée, entra dans le cercle et s'approcha d'elle. La vieille femme lui sourit, et caressa sa joue, comme une mère aurait pu faire, bienveillante, calme, rassurante. Puis lentement, elle lui tendit une dague. Poignard au manche de bois d'amourette et à la lame aiguisée comme un rasoir. Poignard qui avait appartenu à son père. Athame rituel dont il se servait. Un flot de souvenirs l'envahie alors, mais son regard de brume resta impassible. Son visage froid, elle prit lentement la dague et l'effleura.
Levant ses yeux de pluie, ils plongèrent dans la pâleur de la lune. Les douze autres entamèrent de nouveaux chants, charges à leur Déesse, alors qu'elle restait silencieuse. Ils se dispersèrent lentement et en silence. On évite de se déplacer en groupe quand on est comme eux. Elle resta là, les yeux rivés sur la lune.
- 'Anon... rentrons...
Elle ne répondit pas, mais suivit celui qui l'avait recueillit. Elle resta auprès de lui de longues semaines, de long mois. L'Ensemble était complet. Treize. Et souvent ils se réunissaient pour s'offrirent à leur croyance. La vie semble-t-il avait repris son cours. Normale, ou presque...
Il lui avait même demandé de s'unir à lui. Elle avait dit oui, sans un sourire, sans une once d'émotion, comme on accepte d'aller chercher de l'eau au puits. Il s'était fait une raison, il la sentait éteinte et s'était promis de lui redonner le goût de vivre.
Il était prévu qu'ils s'unissent durant la fête de Belthane, le trente avril.
Mais quelques jours avant...
- 'Anon... qu'as-tu fait ?
Silence...
Il l'avait cherché partout, et il l'avait retrouvé dans la forêt près du cercle de pierres sacrées. Il était essoufflé et affolé, la regardant comme on regarde une étrangère. Elle était assise sur l'une des pierres, têtes baissées, la dague de son père dans les mains.
- 'Anon...
Elle se leva alors et le fixa de ses yeux gris, le visage froid comme le marbre. Elle le fixa comme on toise une petite chose insignifiante, sans aucune émotion. Décontenancé, l'homme la regarda un long moment et un frisson le parcourut quand il comprit que ce qui était arrivé était bien le fruit de celle qui lui faisait face.
La famille du vieux que son père avait aidé. Cette famille qui l'avait accusé de sorcellerie et fait juger par l'inquisition. Toute la famille, décimée. La fille et le fils, ainsi que leurs époux et leurs cinq enfants respectifs. Lors d'une fête anniversaire d'un des leurs. Une salade, du laurier rose, rien de plus, rien de moins. Tellement facile. Une servante comme une autre, une cuisinière insignifiante qui s'immisce et qui dispose des cuisines comme bon lui semble. Une servante à la peau diaphane et aux yeux gris comme les nuages.
Elle s'avança alors et effleura la joue de celui qui aurait du être son époux. Elle lui sourit doucement, un sourire comme il n'avait plus revu depuis tant d'années. Elle l'embrassa tendrement puis s'en alla, le laissant planté là. Quand il rentra à la maison, elle n'y était pas. Ni elle, ni le peu d'affaires qu'elle possédait. Elle était de nouveau partie, sans rien dire, sans message.
Il comprit alors pourquoi elle lui avait demandé de lui apprendre à monter à cheval et à manier l'épée. D'abord réticent, il avait fini par céder. En même temps, difficile de résister...
En y repensant, il sourit. Levant sa main au médaillon qu'il portait. Pentacle, signe de sa croyance. Il ferma les yeux et murmura.
- Rien arrive sans raison. Puisses-tu trouver la paix... Qu'Elle te pardonne...
[Mois de mai 1458]
Silhouette fine sur les routes du royaume. Silhouette capée et capuche relevée, marchant lentement, le pas sur, malgré la boue s'amassant sur ses chausses crottées. Bâton qui claque le pavé quand elle entre dans les villes. Fantôme qui hante les tavernes et se fait discret.
D'abord Limoges. Elle doit la retrouver. Elle doit savoir où elle est.
Pourquoi elle ?
Elle n'en sait rien elle-même. Elle doit la revoir. Elle verra bien à ce moment là.
Limoges où personne ne la reconnait et c'est tant mieux. Limoges où on lui apprend ce qui se passe dans le nord. Bâton en main, besace pleine de pain et de quelques écus, elle reprend la route.
Et c'est à la moitié du mois de mai qu'elle foule le pavé du Mans.
Elle apprend rapidement qu'un campement de l'équidé légendaire s'est établis aux abords de la ville. Possible qu'elle en croise d'autres qu'elle a connu dans une autre vie. Possible... mais elle s'en moque. Elle n'est là que pour elle.
Elle n'a de toute manière plus rien. Elle n'est plus rien. Qu'une coquille vide de sens et de raison.
Elle a bafoué toutes ses croyances en se vengeant sans regret ni remord. Elle a vacillé, elle a dépassé ces limites que son éducation lui avait fixées. Elle n'a plus aucun ancrage.
Sans doute honnie par les siens de ce qu'elle avait fait, conspuée par ces bons penseurs Aristolétiens. Qu'a-t-elle encore mis à part ce semblant de vie où finalement plus rien a de saveur ni de goût ?
Alors elle avance, comme attirée vers cet être, sans réellement savoir pourquoi.
Peu importe, elle verra bien.
Et c'est après quelques jours passés au Mans qu'elle se décide à aller dans ce campement. Toujours vêtue de noir, lourde cape sur les épaules et besace en bandoulière. Bâton dans la main gauche. Épée à la ceinture, cachée par le pan de tissu.
Elle y entre dans ce campement où la vie grouille. Où tout se mêle et s'entremêle. Fantôme errant, invisible à tout ce monde qui s'agite, restant un long moment à les contempler dans leur fureur de vivre comme étonnée de les voir s'ébattre pour construire un éphémère.
Des gamins courant dans tous les sens, des capes licorneuses flottant aux épaules des chevaliers pressés. Elle n'était pas à sa place, mais elle s'en moquait. De toute façon, elle n'a sa place nul part.
D'un geste vif, elle tendit son bâton devant elle, stoppant net la course d'un môme surpris de voir un bout de bois barrer sa route. Il leva les yeux vers son propriétaire qui lui parla avant même que l'enfant n'ait dit un mot.
La voix était calme, posée, mais froide, tranchante et déterminée.
- Je cherche le Chevalier De Vergy. Dis moi où je peux la trouver.
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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit." [Aristote]
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[Limoges, début d'année 1458]
- Vous partez ?
- Oui
- Mais pourquoi ?
- Parce que je ne conçois pas le travail d'ambassadrice en restant dans le Comté qu'on représente.
C'est à La Trémouille que celle qu'on surnomme la Brindille était arrivée. Et c'est à La Trémouille qu'elle disparue.
- Vous avez de ses nouvelles ?
- Non aucune.
- Ce n'est pas normal ça.
- Oui mais en attendant elle a abandonné son poste.
- C'est bien ça qui n'est pas normal. Elle n'est pas du genre à abandonner comme ça les choses sans raison.
- Vous la connaissez si bien ?
- Non...
- Alors qu'est-ce que vous en savez ?
- ...
[La Trémouille, début d'année 1458]
- Excellence ?
- Oui ?
- Un message pour vous de Bretagne.
- De Bretagne ?
- Oui... Message privé.
Silence..,
La Brindille renvoya le jeune messager et s'assit à son bureau. Elle qui était déjà si pâle, blêmit d'autant plus en lisant les mots couchés sur papier froissé. Elle qui restait le plus souvent de marbre, calme et posée, se leva d'un bond, empoigna sa besace, son bâton de marche et disparue dans la nuit qui commençait déjà à avaler l'horizon.
Plus personne n'eut de ses nouvelles.
[Bretagne, quelques semaines plus tard]
- Tu arrives trop tard 'Anon
La petite chose s'effondra alors, épuisée par la route, la course folle qu'elle avait fait pour arriver aux abords de Rieux. A cause de soucis politiques, elle avait du prendre les chemins de traverse. A cause de ces satanées querelles de débiles profonds elle était arrivée trop tard. Elle s'effondra, sombrant dans les bras de l'homme qui lui faisait face.
Elle se réveilla trois jours plus tard. Ce n'était qu'un rêve, un cauchemar. Mais elle se rendit compte que non, sans même ouvrir les yeux. Ces odeurs, ces odeurs ne pouvaient pas la tromper. Ces odeurs de plantes, de cuisines si particulière et cette ambiance, cette énergie qui affluait de partout. Elle se savait chez elle, et c'était la dernière chose qu'elle voulait. Car ça signifiait que tout était réel. Qu'il n'était plus, que son dernier lien était rompu. Elle ne voulait pas ouvrir les yeux, enfouissant son visage dans l'oreiller, pleurant la rage et la peine qui l'inondait. Suffoquant sous le poids de l'impuissance. Elle aurait du être là, elle n'aurait jamais du partir, elle n'aurait jamais du l'abandonner. Ils l'avaient eu... Et comme sa mère, il l'a rejoint dans les pires souffrances qui soient. Elle l'avait abandonné.
- 'Anon... tu devrais manger un peu
- Non...
Le visage dans l'oreiller de plumes, cherchant à oublier, cherchant à revenir dans le passé. Tenter de tout changer, tenter de ne plus refaire les même erreurs. Elle ne veut pas, elle ne veut plus. Elle veut sa mère, elle veut son père. Elle ne veut pas être seule. Elle ne comprend pas... elle n'y arrive pas.
- 'Anon... tu n'aurais rien pu faire. Tu aurais risqué ta vie aussi et tu sais bien que ce n'est pas ce qu'ils voulaient.
- Tais toi...
- 'Anon...
- TAIS TOI !!!
Elle se redressa vivement et le fusilla du regard. Un regard plein de haine, de rage, de violence. Ce genre de regard qui fait des gens comme elle des êtres dangereux. Des êtres qu'on pourchasse et qu'on brûle. L'homme, assit sur le coin du lit fronça les sourcils mais soutint son regard.
Elle se leva alors, nue comme au premier jour de sa vie. Elle se leva et n'enfila que sa cape, puis sortit. L'homme resté assit soupira en baissant les yeux, et fini par la suivre.
Elle s'enfonça dans la forêt aux abords de la petite maison isolée. Elle savait qu'il la suivait, mais elle s'en moquait. Pieds nus, elle marchait, d'abord d'un pas vif, puis fini par se calmer, ses doigts frôlant les grands chênes. Elle s'arrêta alors, main posée sur l'écorce, tête baissée. L'homme s'approcha et posa sa main près de la sienne. Restant dans son dos, son visage frôlant le sien. Il lui murmura ce qu'il s'était passé.
Il lui murmura comment son père avait aidé un vieux seigneur en l'accompagnant au seuil de sa mort. Comment ses enfants l'avaient accusés et comment l'Inquisition l'avait jugé.
Tête baissée, yeux fermés, les larmes inondant ses joues diaphanes, elle écoutait son ami d'enfance lui narrer les derniers jours de l'homme qu'elle aimait plus que tout. Et tout se déchirait en elle, tout se décomposait. Plus rien avait de sens, de raison d'être. Plus rien...
Nuit de pleine lune.
Treize silhouettes marchaient en silence dans la forêt. Rejoignant un point connu d'eux seuls. Cercles de pierres sacrées. Les capuches se relevèrent, les robes de bure glissèrent sur leurs peaux nus. Ils s'avancèrent alors en cercle. Ils entamèrent des litanies dans une langue païenne et interdite. Ils s'offrirent à la Déesse Mère, sous leur lune protectrice. Ils rendirent hommage à l'un d'entre eux que la vie leur avait retiré.
Une femme, la plus âgée, entra dans le cercle et s'approcha d'elle. La vieille femme lui sourit, et caressa sa joue, comme une mère aurait pu faire, bienveillante, calme, rassurante. Puis lentement, elle lui tendit une dague. Poignard au manche de bois d'amourette et à la lame aiguisée comme un rasoir. Poignard qui avait appartenu à son père. Athame rituel dont il se servait. Un flot de souvenirs l'envahie alors, mais son regard de brume resta impassible. Son visage froid, elle prit lentement la dague et l'effleura.
Levant ses yeux de pluie, ils plongèrent dans la pâleur de la lune. Les douze autres entamèrent de nouveaux chants, charges à leur Déesse, alors qu'elle restait silencieuse. Ils se dispersèrent lentement et en silence. On évite de se déplacer en groupe quand on est comme eux. Elle resta là, les yeux rivés sur la lune.
- 'Anon... rentrons...
Elle ne répondit pas, mais suivit celui qui l'avait recueillit. Elle resta auprès de lui de longues semaines, de long mois. L'Ensemble était complet. Treize. Et souvent ils se réunissaient pour s'offrirent à leur croyance. La vie semble-t-il avait repris son cours. Normale, ou presque...
Il lui avait même demandé de s'unir à lui. Elle avait dit oui, sans un sourire, sans une once d'émotion, comme on accepte d'aller chercher de l'eau au puits. Il s'était fait une raison, il la sentait éteinte et s'était promis de lui redonner le goût de vivre.
Il était prévu qu'ils s'unissent durant la fête de Belthane, le trente avril.
Mais quelques jours avant...
- 'Anon... qu'as-tu fait ?
Silence...
Il l'avait cherché partout, et il l'avait retrouvé dans la forêt près du cercle de pierres sacrées. Il était essoufflé et affolé, la regardant comme on regarde une étrangère. Elle était assise sur l'une des pierres, têtes baissées, la dague de son père dans les mains.
- 'Anon...
Elle se leva alors et le fixa de ses yeux gris, le visage froid comme le marbre. Elle le fixa comme on toise une petite chose insignifiante, sans aucune émotion. Décontenancé, l'homme la regarda un long moment et un frisson le parcourut quand il comprit que ce qui était arrivé était bien le fruit de celle qui lui faisait face.
La famille du vieux que son père avait aidé. Cette famille qui l'avait accusé de sorcellerie et fait juger par l'inquisition. Toute la famille, décimée. La fille et le fils, ainsi que leurs époux et leurs cinq enfants respectifs. Lors d'une fête anniversaire d'un des leurs. Une salade, du laurier rose, rien de plus, rien de moins. Tellement facile. Une servante comme une autre, une cuisinière insignifiante qui s'immisce et qui dispose des cuisines comme bon lui semble. Une servante à la peau diaphane et aux yeux gris comme les nuages.
Elle s'avança alors et effleura la joue de celui qui aurait du être son époux. Elle lui sourit doucement, un sourire comme il n'avait plus revu depuis tant d'années. Elle l'embrassa tendrement puis s'en alla, le laissant planté là. Quand il rentra à la maison, elle n'y était pas. Ni elle, ni le peu d'affaires qu'elle possédait. Elle était de nouveau partie, sans rien dire, sans message.
Il comprit alors pourquoi elle lui avait demandé de lui apprendre à monter à cheval et à manier l'épée. D'abord réticent, il avait fini par céder. En même temps, difficile de résister...
En y repensant, il sourit. Levant sa main au médaillon qu'il portait. Pentacle, signe de sa croyance. Il ferma les yeux et murmura.
- Rien arrive sans raison. Puisses-tu trouver la paix... Qu'Elle te pardonne...
[Mois de mai 1458]
Silhouette fine sur les routes du royaume. Silhouette capée et capuche relevée, marchant lentement, le pas sur, malgré la boue s'amassant sur ses chausses crottées. Bâton qui claque le pavé quand elle entre dans les villes. Fantôme qui hante les tavernes et se fait discret.
D'abord Limoges. Elle doit la retrouver. Elle doit savoir où elle est.
Pourquoi elle ?
Elle n'en sait rien elle-même. Elle doit la revoir. Elle verra bien à ce moment là.
Limoges où personne ne la reconnait et c'est tant mieux. Limoges où on lui apprend ce qui se passe dans le nord. Bâton en main, besace pleine de pain et de quelques écus, elle reprend la route.
Et c'est à la moitié du mois de mai qu'elle foule le pavé du Mans.
Elle apprend rapidement qu'un campement de l'équidé légendaire s'est établis aux abords de la ville. Possible qu'elle en croise d'autres qu'elle a connu dans une autre vie. Possible... mais elle s'en moque. Elle n'est là que pour elle.
Elle n'a de toute manière plus rien. Elle n'est plus rien. Qu'une coquille vide de sens et de raison.
Elle a bafoué toutes ses croyances en se vengeant sans regret ni remord. Elle a vacillé, elle a dépassé ces limites que son éducation lui avait fixées. Elle n'a plus aucun ancrage.
Sans doute honnie par les siens de ce qu'elle avait fait, conspuée par ces bons penseurs Aristolétiens. Qu'a-t-elle encore mis à part ce semblant de vie où finalement plus rien a de saveur ni de goût ?
Alors elle avance, comme attirée vers cet être, sans réellement savoir pourquoi.
Peu importe, elle verra bien.
Et c'est après quelques jours passés au Mans qu'elle se décide à aller dans ce campement. Toujours vêtue de noir, lourde cape sur les épaules et besace en bandoulière. Bâton dans la main gauche. Épée à la ceinture, cachée par le pan de tissu.
Elle y entre dans ce campement où la vie grouille. Où tout se mêle et s'entremêle. Fantôme errant, invisible à tout ce monde qui s'agite, restant un long moment à les contempler dans leur fureur de vivre comme étonnée de les voir s'ébattre pour construire un éphémère.
Des gamins courant dans tous les sens, des capes licorneuses flottant aux épaules des chevaliers pressés. Elle n'était pas à sa place, mais elle s'en moquait. De toute façon, elle n'a sa place nul part.
D'un geste vif, elle tendit son bâton devant elle, stoppant net la course d'un môme surpris de voir un bout de bois barrer sa route. Il leva les yeux vers son propriétaire qui lui parla avant même que l'enfant n'ait dit un mot.
La voix était calme, posée, mais froide, tranchante et déterminée.
- Je cherche le Chevalier De Vergy. Dis moi où je peux la trouver.
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Si quelqu'un veut jouer l'enfant, le RP est ouvert donc n'hésitez pas ^^
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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit." [Aristote]