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Info:
Un dernier hommage à la fille aînée des Euphor.

[RP] Un dernier regard

--Enimie.d.euphor





Les jours, les semaines, puis les mois avaient passé depuis le départ en campagne de ses parents. Si les nouvelles lui étaient parvenues régulièrement lors de la Croisade, elles se firent bien plus rare de Provence. Elle avait appris bien des choses. Comment sa mère avait brillamment participé à la prise de Brignoles, comment son père lui avait brièvement succédé, comment tous deux avaient été enfermés dans les geôles provençales, comment ils avaient participé victorieusement au soutien du siège, puis à la libération de Toulon. Mais les harangues des messagers la laissaient froides, elle n'attendait, n'espérait qu'une chose. Leur retour.

C'était avant la maladie. Tout avait commencé par un coup de froid dans la haute vallée de l'Olt sur laquelle veillait le Castel du Tournel. La toux était devenue persistante, la fièvre était apparue peu après. Les premiers symptômes l'avaient convaincu de prendre du repos. Elle s'était donc retirée dans l'écrin de Sainte-Enimie. Dans ce lieu de pélerinage bâti dans les gorges du Tarn non loin de Quezac, l'abbaye lui servait de refuge. Malgré les bons soins des hommes de Dieu, son état était devenu inquiétant. La fièvre était parfois accompagnée de délires, la voix de la jeune fille n'était plus qu'un léger filet presque incompréhensible. Mais là n'était pas le plus inquiétant. Des difficultés respiratoires, des douleurs thoraciques étaient survenues. L'état de l'héritière d'Euphor apparaissait désormais comme alarmant, pour ne pas dire mortel. Ironie du sort, les complications arrivaient peu avant l'annonce du retour des parents. De la mère, du moins.

Cloisonnée dans une cellule afin de limiter les risques d'infection, Enimie était allongée. Elle songeait aux bons souvenirs, pensait à l'avenir, au moment où son père voudrait lui trouver un bon époux. Un doux mélange de mélancolie et d'espoir, un mélange corrompu par la crainte omniprésente de la fin. Elle ne parlait presque plus, car cela lui était difficile, mais si elle l'avait pu, nul doute qu'elle aurait cherché un réconfort, une voix rassurante.

Un matin, on vint lui annoncer l'arrivée imminente de sa mère. Elle sourit, pour la première fois depuis des jours, elle sourit.



Nanelle


Le retour de Provence avait été épuisant, cela devait être du à l'état de fatigue de la Vicomtesse. Cela faisait maintenant plusieurs mois que le couple vicomtal avait quitté Mende pour partir en croisade. Cette croisade avait été plutôt calme, s'en était suivi un départ pour la Provence où tout s'était enchainé au fil des jours, de la prise de Mairie à Brignoles à la noirceur des geôles provençales, des blessures à la convalescence, du siège en la ville de Toulon au retour tant attendu en Languedoc.

La route des deux époux s'était séparée à Nîmes. La Vicomtesse était remontée vers Mende tandis que son époux repartait en Provence pour le rapatriement des dernières personnes encore sur place. Au fil des jours l'impatience se lisait sur le visage de Nanelle, de cette mère qui allait enfin retrouver ses enfants qu'elle n'avait pas revue depuis des mois. Elle avait bien reçu des nouvelles mais pas assez pour combler une mère inquiète. Était-ce un sixième sens ou son instinct de mère, mais depuis quelques jours, elle ressentait une sensation étrange, comme si un malheur allait arriver, elle avait déjà ressentit cela lorsque son époux avait été gravement blessé, c'est pour cette raison qu'elle s'inquiétait et était impatiente de serrer ses enfants dans ses bras.

Le moment était enfin venu, à l'aube, la voiture vicomtale, reconnaissable à son Phénix, pénétra dans l'enceinte de la ville de Mende. A peine eut elle mit le pied à terre que sa fille ainée, la belle Mélisende lui courut dans les bras en pleurs.


- Mère... enfin... que je suis heureuse de vous retrouver.


- Ma princesse.... laisse moi te regarder... que tu es belle.
Puis regardant autour d'elle. Ton frère et ta sœur ne sont pas ici?

Remarquant de suite le visage de sa fille, Nanelle la questionna vivement.

- Qui a-t-il mon ange? Dit moi? Qu'est-il arrivé?


Que de questions...


- Enimie.... elle est gravement malade mère, elle s'est retirée au couvent de Saint Enimie où les sœurs prennent soin d'elle, nous avons fais venir les meilleurs médicastres, mais ils ne savent pas quel mal est en train de la ronger de l'intérieur, elle a une violente toux et une forte fièvre depuis plusieurs jours. Puis levant les yeux en larmes vers sa mère. Vous devriez partir de suite mère.... elle vous réclame, elle a besoin de vous.


Sans même prendre le temps de se reposer, ni même changer de vêtements, la Vicomtesse demanda qu'on la conduise immédiatement à Sainte-Enimie. La route avait paru si longue aux deux femmes serrées dans les bras l'une de l'autre. Ne comprenant pas pourquoi le Très Haut la punissait à nouveau après lui avoir enlevé son dernier né quelques mois plus tôt. Comment apprendre à son époux qu'il allait peut-être perdre son héritière, sa fille chérie... Fermant les yeux, Nanelle essaya de chasser les idées noires qui envahissait sa tête, elle devait se montrer forte devant sa fille, ne pas lui montrer son désespoir.

Arrivée au couvent, la mère fut immédiatement conduite auprès de sa fille. Celle-ci eut un temps d'arrêt en arrivant sur le pas de la porte, sa fille était si pâle, elle semblait sans vie malgré son sourire. Elle s'approcha doucement, s'agenouilla à ses cotés et lui prit tendrement la main. Enimie tourna la tête et ouvrit péniblement les yeux, un sourire illumina son visage.


- Mère.... c'est bien vous?


- Oui mon ange, je suis de retour, tout va bien.


La jeune fille ferma les yeux comme apaisée, une larme s'écoula au coin de son œil.

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--Enimie.d.euphor




Un visage familier, un sourire, un peu de réconfort. Que tout cela arrivait trop tard pour la jeune fille agonisante ! Quelques mots avaient fébrilement franchi le rempart de ses lèvres. Des mots où se devinaient le doute, l'éloignement progressif de la réalité. L'effort consenti pour les prononcer avait été fatal.

Dans un ultime élan d'humanité se dévoila un regard apeuré avant que ne s'échappât une larme de ses yeux refermés. Son souffle haletant, hésitant s'apaisa, puis s'éteignit. La vie s'était enfuie de ce corps encore jeune. En cette matinée, le destin semblait avoir définitivement tourné le dos au phénix magnifique. Le deuil n'était pas près de quitter une famille déjà meurtrie. Ainsi en allait-il, ainsi en était-il de l'impénétrable volonté du Très-Haut.

Les temps étaient durs pour beaucoup, y compris les nobles de Gévaudan. Le froid, le manque de vivres n'épargnait pas grand monde, même pas les plus titrés et leurs héritiers. Bientôt la nouvelle s'échapperait des gorges du Tarn, elle gagnerait Ispagnac, le château de Rocheblave, grimperait les monts cévénols jusqu'à La Fage, La Prade, La Loubière, Serviès avant de s'abattre sur la haute vallée du Lot, là où se dressait avec orgueil la forteresse du Tournel défiant le Mont Lozère. D'Ispagnac, elle pousserait sans doute jusqu'à Florac que la rumeur d'un nouveau baron avait déjà touché. Puis, ce serait Mende, Villefort, Alais, Le Puy jusqu'à Montpellier. L'héritière des Euphor était morte. La famille était-elle maudite ? Un sombre sort lui avait-il été jeté ? Car avec cette funeste nouvelle, les mieux renseignés se souviendraient de la mort récente d'un jeune enfant à peine sorti du ventre de la Vicomtesse.

Noire, amère était la rumeur qui faisait d'une mort un simple élément de conversation. Elle attirerait les proches qui viendraient soutenir la douleur, mais elle entraînerait avec elle les hypocrites qui se confondraient en condoléances sournoises. C'était là l'ordre des choses et aussi les premières toises du long chemin de deuil qui se profilait.

La mère aimante au chevet de feue sa fille. Voilà l'image la plus déchirante qui marqua ce dernier regard au monde.


Nanelle


La main de la jeune fille serra un peu plus fort celle de sa mère puis la relâcha. La petite avait tellement lutté pour revoir une dernière fois le visage tant aimé de sa mère que ses yeux se fermèrent et la vie la quitta, laissant reposer paisiblement son corps fébrile. La médicastre comprit de suite que sa fille l'avait quittée, mais elle n'eût aucune réaction. Elle baissa juste la tête, ferma les yeux et laissa couler ses larmes. Cette mère venait en quelques mois seulement de perdre deux de ses enfants, pourquoi le sort s'acharnait ainsi sur cette famille... pourquoi...

La Vicomtesse resta ainsi, immobile, seule avec sa fille chérie, jusqu'à ce que Mélisende vienne la rejoindre. Les heures qui suivirent se déroulèrent dans le silence, les sœurs préparèrent le corps de la jeune fille qui serait conduit au Castel du Tournel. Les jours passèrent, Nanelle était toujours silencieuse, comme si la vie l'avait quitté en même temps que sa fille. Elle n'avait qu'une envie, retrouver son époux au plus vite, lui apprendre le malheur. En effet le Vicomte ignorait encore qu'il avait perdu son héritière, sa femme voulait le lui apprendre de vive voix.

Quelques jours plus tard, on lui apporta un message du Vicomte, des brigands sévissaient dans la capitale, celui ci lui demandait de veiller sur sa futur filleule, la jeune Jehanne Elissa et de le rejoindre à Saint Dionisy. Dans un état second, la Vicomtesse demanda qu'on lui prépare le nécessaire pour le voyage. Puis l'attelage prit la direction de Mende où devait se trouver sa jeune suzeraine. Arrivée sur place, on lui apprit que la demoiselle était à Carcassonne. Et ce fut donc seule que Nanelle se rendit à Saint Dionisy.

La voiture ornée du Phénix arriva enfin à Saint Dionisy. L'anxiété tenaillait les entrailles de la mère endeuillée.

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Actarius


Saint-Dionisy, mas de Roque de Viou

Elle se tenait fière, orgueilleuse, veillant sur la vallée vaunageole alentour comme l'aurait fait une mère sur son enfant. Autrefois ne subsistait que les ruines de l'ancien oppidum de Roque de Viou. C'était le nom du camp romain et par habitude les habitants de la région avait fini par nommer ainsi cette colline perchée au-dessus de Saint-Dionisy.

C'était là où finalement tout avait véritablement commencé pour le Magnifique. Un lieu de vie, un lieu de mort et de deuil. Un lieu de vie pour la jeune Jehanne Elissa accueillie dans le mas au pied de la colline quelques temps après la mort de sa mère, un lieu de vie pour Lop-Guilhelm, né sur la route non loin de là. Un lieu de mort pour cette forêt de cyprès qui évoquait le deuil douloureux de la mort d'une suzeraine adorée et de la plus grande dame que le Languedoc eût engendrée. C'était là, sur cette Roque de Viou, que le Vicomte avait caressé la folie poussée par une rage terrible. C'était là enfin où un projet ambitieux avait vu le jour.

Au-dessus du ravin de la Valat de Grave trônait désormais un mas fortifié. Celui-ci devinait au loin grâce à la tour carrée qui dominait la demeure, un peu à la manière d'un clocher surplombant une église. A des vertus défensives ce mas alliait également un certain confort. Il n'avait certes rien d'un castel, mais était bien plus spacieux que l'ancien mas dont il avait conservé l'esprit rustique. En découvrant l'ouvrage mené de mains de maître par son oncle, la première pensée du Vicomte alla à Marguerite. Pensée aussi éphémère qu'intense. Le deuil, il le fuyait désormais. Il n'avait que faire des attitudes soi-disant courageuses et était devenu froid et implacable face à la mort. Le besoin de verser dans des effusions démesurées l'avait quitté. Il aurait sombré dans la folie sans aucun doute si cette froideur n'était pas apparue. L'omniprésente Ténébreuse ne l'effrayait plus. A chaque nouveau proche qu'Elle lui enlevait, il opposait plus de froideur. Les événements changent les attitudes. Le ressenti primitif demeurait, mais l'expérience prenait le dessus.

Dès son retour de Provence, le Vicomte avait établi ses quartiers dans le mas de Roque de Viou ou Roque Vif. Il y travaillait à l'intendance de son fief tout en s'octroyant des allers et retours à Nîmes où il aidait à la défense. Devant le danger qui planait sur le Languedoc, il avait fait mander son épouse et sa future filleule dont il attendait désormais l'arrivée imminente.

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Jehanne_elissa
Elle guettait le signe. Un peu comme une princesse enfermée en haut d’une tour qui regarde au loin, alors que le soleil couchant règne sur les terres, se brossant les cheveux, si son preux chevalier ne va pas arriver. Ou plutôt elle sait qu’il va arriver mais ne sait pas quand exactement, le temps étant ce qu'il est, parfois si long tantôt si court, mais au fond de son cœur est nichée la certitude qu’il sera bientôt là, tout près d’elle. C’est beau hein ? Ce sont les évidences dont un cœur épris sait se bercer.

Même si elle n’était pas franchement en haut d’une tour en se brossant les cheveux, mais plutôt sur une route, entre Mende et Carcassonne, derrière un bureau de fortune dans une auberge d’infortune, au fond de lit à guetter le sommeil, dans toutes les situations, elle attendait le signe. Son corps était tendu, ses muscles prêts à s’emparer de toutes les lettres passant sus ses mains régies par l’impatience, et tous ces sentiments trouvaient leur apogée lorsque le matin on lui amenait cérémonieusement son courrier. Un à un elle déchiquetait les sceaux et jusqu’à présent il n’y avait eu que la même déception : celle de ne pas voir le sien. Déception qui ne durait pas car elle l’avait entendu, il était de retour en Languedoc. Il allait forcément vouloir la voir, il allait forcément la mander ! Et puis un jour, la lettre est venue.


    *****


Elle était partie au petit matin de Carcassonne vers Saint-Dionisy ou il se trouvait. Chez elle. Rien n’aurait pu lui faire plus plaisir que de le retrouver dans cette terre qui les liait par sa mère, cette terre quelle lui avait donnée le jour de son mariage cette terre dont elle avait hâte de renouveler l’allégeance. Ce moment quelle avait tant attendu aller se passer en Vaunage… Non,rien n’aurait pu lui faire plus plaisir. Et l’attente insidieuse se muait de plus en plus à une impatience insupportable. Ses jambes étaient parcourues de fourmillement, son cœur semblait s’opposer à battre d’un rythme normal et de presque tout le voyage elle n’avait mangé. Elle avait trop attendu, la petite Goupil…

Dans sa mémoire, elle se revoit écrivant la dernière lettre. Une lettre qui avait été pleine de tristesse et comme elle s’en était voulue! Lui était à la guerre et avait sûrement plus besoin de joyeusetés et facéties de sa « petite étoile » mais elle, elle, avait ce soir là couché sur le papier tous ses malheurs, toutes ses peurs, toute cette colère qui était devenue son atroce quotidien. Son monde, son monde à elle de petite fille un peu possessive s’ était en quelques jours effondré sous le choc des actes incompréhensibles des adultes : Tante Pol avait épousé le Chevalier de Siarr. En soi ce n’est pas si grave, pouvez-vous lui dire mais elle n’est pas d’accord et encore à ce jour elle a du mal à le leur pardonner. Il est plus facile de vivre avec cette idée maintenant que sa tante hors des terres Languedociennes et pourtant, encore et encore, tonnait cette question sous les cheveux roux : « pourquoi ? ». Elle n’avait eu que des explications en vertu du Très-haut qui l’avait voulu et c’est ce jour là quelle a compris qu’il était facile d’invoquer le Très-Haut pour faire taire des questionnements. En quoi avait-Il voulu quelle se remarie si vite ? Et pourquoi lui ? Et pourquoi eux ? Et pourquoi cet homme quelle admirait autant qu’il l’a fascinait avait-il eu un bâtard ? Et pourquoi… ? Pleine d’incompréhensions elle avait pris la plume, rageuse, pour écrire au Vicomte de Tournel… C’était un de leurs derniers échanges.

Le soleil se dissipe un peu. Petite Vicomtesse qui regarde par la fenêtre du coche pour voir au loin le mas rénové, ou créé, ou qu’importe par le Vicomte. En ses terres, en Vaunage… Dans ce si grand fief, si scandaleusement grand et riche quelle aime plus que tout car ce fut la terre préférée de sa mère. Elle arrive… Les derniers mètres semblent interminables, elle serre autant quelle le peut les pans de sa robe et lance des regards furieux à Martha, aux cailloux, aux parois du coche et aux oiseaux quelle voit voler au dehors. L’impatience, quand elle arrive à son point culminant sait rendre les êtres les plus doux irascibles…. Enfin, enfin, le coche s’arrête au pied du mas et elle saute littéralement de l’habitacle. Là, Martha, qui a bien compris pour connaître la petiote qu’il fallait aller encore plus vite que vite demande au premier domestique qui passe de les mener auprès du Vicomte de Tournel.

Chaque pas, chaque pierre foulée est marquée par le feu de l’impatience. Comme il lui a manqué… Son monde s’était effondré, ses idéaux s’étaient trouvés malmenés, ses amours corrompus et malgré cela lui, si droit, si fier, était resté la même idole. Il avait toujours su trouver les bons mots, il n’avait jamais su la décevoir. Dans ce monde ou elle a grandi, ce monde ou on vénère une Mère défunte et ou l’on tente d’effacer au mieux l’image d’un père lâche, elle avait cruellement manqué de figure paternelle. Il y avait eu oncle LeGueux, brillant par son absence et qui dans ses jeunes années la terrifiait, puis il y avait eu le Chevalier de Siarr qui comme dit, avait enlevé son masque de chevalier parfait, et parmi cette foule de visage mouvants et changeants un seul depuis toujours était là : celui d’Actarius d’Euphor. A ce jour il était sa seule attache masculine, autant père, héros que prince charmant. Tellement père qu’il lui écrivait dès qu’il était loin et cherchait sans cesse a la protéger, tellement héros qu’il était de toutes les guerres, tellement prince charmant qu’il savait toujours revenir vivant… Il était tout simplement l’homme à admirer dont une enfant à besoin. Il était la sécurité dont une enfant a besoin pour se construire en préservant un zeste d’insouciance.

On la place devant une porte ou le domestique commence à toquer pour l’annoncer. C’est à ce moment que toute l’impatience contenue, tous ces mouvements empressés retenus prennent leur empire sur son corps: elle fonce littéralement vers la porte et l’ouvre brusquement. Sans quelle s’en rende compte des larmes sont venues perler au coin de ses yeux et là, face à la fenêtre, les bras croisés sur le torse, elle le voit. Son Tournel.


- « Vous êtes là ! »

C'est sûrement quand on l'a espéré, quand on l'a attendu, que prononcer le verbe être prend toute son importance. De simples lettres alignés pour former un verbe prennent une signification réelle et c'est surement dans ce cas qu'un vulgaire mot trouve sa pleine dimension, sa parfaite définition dans la vie intérieure des gens ayant attendu pour le prononcer. Comme il est bon de crier cette si simple vérité. Comme il est bon de courir vers lui et de se jeter dans ses jambes. Et là, là, près de cet homme, un poids, l’énorme poids qu’une enfant devenant adulte a sur les épaules s’enlève. S’il est là, tout va rentrer dans l’ordre… Sa vie va redevenir comme avant.

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Actarius


Le regard balayait le bassin vaunageole, ses oliviers, son Rhôny, ses vignes, cette terre ocrée par la puissance de l'astre solaire. Au loin, se dessinait le contour du Castel de Calvisson. L'oeil devint vague, les bras se croisèrent machinalement, les souvenances prirent le pas sur une sombre réalité.

Une silhouette ravissante couronnée une longue chevelure de feu nonchalamment appuyée sur le rebord d'un pont. Là, juste là, ce même pont. D'une éphémère vision s'échappa une voix comme portée par la douce bise d'un soir d'automne.
"Quand je n'étais pas encore mariée, quand je portais le blanc tous les jours... Je venais parfois sous bon chaperon me baigner, l'été, dans ce Rhôny, Sénher... Ce Rhôny a creusé la Vaunage, et l'on se croit ici comme au milieu d'une grande assiette creuse ; et si à Vergèze on élevait un grand mur, sans doute le Rhôny nous noierait-il tous bientôt, et il faudrait se réfugier sur les hauts de Saint-Dionisy, voire même au sommet de la Roque de Viou... Les bords de la Vaunage sont aussi abrupts que sa plaine est tendre, voyez... Et c'est le Rhôny qui en fait une vallée. Vous savez... Vaunage, c'est Valnage, comme Cauvisson est Calvisson, ou Malpertuis est Mauperthuis... Le Val de Nages, le Val d'Anages, Valanages, et que sais-je..."Quelles étaient douces ces inflexions, quelles étaient belles et mélodieuses. Marguerite... Elle l'avait tant aimée sa Vaunage. Elle l'avait imprégnée de sa nostalgique sérénité, de son intemporel mystère. Elle avait mêlée son âme à chaque parcelle de cette vallée. Voilà où résidait la majesté de cette vaunageole souvenance.

La silhouette s'effilocha, le pont devint reflet, tout s'estompa l'espace d'un instant dans un halo de lumineuse pureté. A l'albâtre insondable succéda le tableau d'un paisible jardin. La même silhouette, la même voix, le même sentiment de quiétude où la résignation semblait bercer la vertu.
"Il n'y a qu'à un homme comme vous que j'aurais pu vouloir confier la Vaunage. Je conseille mon époux sur ses choix de vassaux pour ce fief ; car il ne ressent pas encore, je crois, l'âme de la Vaunage, et il ne faudrait pas que par ignorance il la dénature. Vous savoir sensible à ses appas est le plus beau remerciement que vous pouvez me faire. J'ai confiance en ce que vous en ferez." Il se souvenait chaque syllabe de ces mots, il les chérissait même au-delà du concevable. C'était par eux que le phénix avait existé, par eux qu'il avait pris son envol doré. Douce folie d'un jour d'été égaré.

Le regard épousait encore cette scène lorsque le battant de la porte résonna, lorsqu'il fut poussé dans un irrépressible élan, lorsque l'écho de quelques mots l'attrapa. Instinctivement il s'était retourné. Elle était là, accrochée à lui, l'oeil brillant. Elle était là sa "Fleur d'Oc". Encore perdu dans les limbes, il ne réalisa pas de suite. Ses bras enlacèrent l'apparition, cueillant cette fine silhouette, l'arrachant du sol, pour mieux la serrer contre lui. De cette union sensuelle sans être charnelle, revint-il à la réalité. L'écho rejaillit soudainement à la manière d'un choc brutal. "Vous êtes là"...


Oui, ma petite étoile. Je suis de retour. Rarement la voix du Vicomte n'avait été si tendre, si émue. Il avait cru l'espace d'un battement d'aile de papillon tenir contre son coeur sa suzeraine assassinée.

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Nanelle


La mère éplorée mit le pied sur le sol de Saint Dionisy où elle allait enfin retrouver son époux. Son corps était sans force, comment allait-elle trouver les mots pour lui apprendre la mort de son héritière, de sa petite princesse ? Elle se souvint de sa naissance non loin de là, au château de Montpellier, à l'esclandre du Vicomte quand on l'avait empêcher de rejoindre son épouse sur le point de donner la vie. Le magnifique Actarius d'Euphor était un homme de caractère, un homme fougueux qui avait déjà plusieurs fois fait face à la perte d'un être cher. La Vicomtesse elle, était une personne beaucoup plus expansive qui ne savait pas cacher ses émotions. Cette perte était trop pour elle, comment supporter de perdre deux de ses enfants en si peu de temps ?

Alors qu'elle se dirigeait vers le mas plongée dans ses pensées, Nanelle n'avait pas remarqué la voiture présente non loin de là dans l'enceinte de la propriété. Elle se fit mener au cabinet de son époux dont la porte était entrouverte. Elle s'en approcha doucement et stoppa en apercevant la silhouette de son époux enlaçant une jeune fille. La mère retint un cri de surprise croyant "la" reconnaître, mais la couleur flamboyante de sa longue chevelure la ramena à la réalité. Elle comprit qu'il s'agissait de Jehanne Elissa. Un sentiment étrange s'empara alors de la Vicomtesse, une immense tristesse, mêlée à de la colère, de la jalousie de voir cette jeune fille pleine de vie dans les bras de son époux. Les yeux remplis de larmes, Nanelle entra dans la pièce sans qu'un mot ne puisse sortir de sa bouche.

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Jehanne_elissa
L'étreinte dura. Combien de temps? Quelques secondes, quelques minutes? On en sait rien et surtout la petite Volpilhait. Là, tout contre elle, l'homme quelle avait attendu si longtemps, pour qui elle avait eu tant de pensées inquiètes, tendres ou colériques parfois elle savourait. Il n'est pas necessaire de compter le temps parfois, il est juste primordial de le vivre, de le sentir passer mais à travers des sensations, de sentir son coeur battre contre le corps d'un être aimé, de savoir les bras qui vous entourrent. Elle le sentait passer, ce temps, en entendant les bruits d'une bâtisse qui vit mais elle ne voulait pour rien au monde qu'il s'arrête. Alors là, tout contre lui elle laissa couler quelques larmes et elle se laissa redevenir enfant.

Car beaucoup sont surpris de l'attitude quotidienne de Jehanne. Pas trop enfant, assez mûre sur certains points, complètement immature sur d'autres, capable de travailler pour son Comté, officier royal naïf et de temps en temps des paroles construites et peut-être même les jours de chance, constructives. L'ont se dit alors quelle n'est pas réellement une enfant et c'est ce quelle souhaite. Elle aime être occupée, elle aime réfléchir, elle aime écrire, oui elle aime tout ça, comme une grande. Beaucoup diront que ce sérieux et cette abnégation viennent de sa mère. D'autres diront quelle est une menteuse, une comédienne. Elle dira quelle aime travailler mais quelle n'est qu'une enfant, encore. Mais du haut de ses douzes printemps elle ne sait pas toujours le camoufler. Il n'est pas rare de la voir bailler à l'assemblée des Sages ni de la voir soupirer face au fonctionnement d'une armée.... Allez demander à une pré-ado de s'interesser à tout ça. De part son éducation elle y jettera un oeil. De part sa nature elle pensera à ses lapins. A cette heure elle ne se contente que d'être une enfant. Une enfant qui a retrouvé la figure paternelle qui lui a tant manqué.

Lentement elle s'échappe de l'étreinte du Vicomte et sa petite main pâle chasse les larmes qui ont trempé son visage. Elle le regarde comme on regarde un héros, elle guette les blessures, les cicatrices, les traits fatigués et finalement c'est un sourire qui vient décorer le visage de la petite Vicomtesse. Il est là.


- « Vous m'avez manqué... Vous m'avez manqué! Si vous saviez tout ce qu'il s'est passé! Si vous saviez! Tante Pol s'est mariée et j'ai une dame de compagnie, Lop est de retour et je suis allée à plein de festivités aux quatre coins du Royaume, j'ai rencontré plein de monde mais ce n'était pas facile car ils voulaient me voir pour mon nom et semblaient parfois déçus de voir une si pettite personne être Volpilhat... Et... Oh! Et...

Silence. Puis un rire. Son rire à elle, ce rire aigu et transpirant par la moindre sonorité la candeur et la naïveté. Ce rire qui avait surement été l'orgine de nombre de pensées meurtrières à son égard. Et bien quoi on a pas tous la chance de naitre avec un rire cristallin! Mais qu'importe s'il est insupportable il est au moins franc. Alors elle rit quelques secondes, rit car la pression s'en va, rit car elle le saoule déjà de paroles, de mots mis les uns après les autres, complètement désordonnés. Combien de temps ont -ils à se conter?

- « Il faut que vous me promettiez de rester. J'ai beaucoup réfléchis et nous avons des choses à faire, il y a mon baptème et puis j'aimerais aussi une autre cérémonie, concernant Saint Dionisy. Et puis j'ai besoin de vous! C'est dur de grandir...

Le visage se fait alors étrangement sérieux. Elle penche la tête à droite puis à gauche et comme lorsquelle pense ses dents du bonheur viennent s'en prendre à sa lèvre inférieure. Oui elle a besoin de lui car c'est dur de grandir. C'est dur dse se trouver confronté à la réalité quand on a toujours vécu dans un cocon d'amour et de simplicité, hors du temps. C'est dur de grandir et de devoir se montrer adulte. C'est dur de grandir et d'entendre parler mariage. C'est dur de grandir sans un homme pour vous surveiller au loin mais ça, elle ne le pense pas encore, elle n'est pas assez mûre. Elle le sent juste, au fin fond de son petit corps. Tout doit retourner dans l'ordre. C'est impératif.

- « Dites moi que vous allez bien et promettez moi de rester. »

En donnant ses ordres elle s'était avancée et avait pris dans les siennes les mains du Vicomte. Enfin... Une main, c'est qu'il y a une toute légère différence de taille. Tandis que les yeux verts se plantent dans le regard du Tournel un bruit coupe leur échange. Elle lâche une main mais en garde une dans celle de l'homme. Là, une femme. Nanelle... L'épouse. Un nouveau sourire vient barrer son visage alors que sa petite silhouette se penche pour la saluer. Sa présence n'empêchera pas le Vicomte de promettre, hein?
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Actarius


Une étreinte comme une caresse au temps qui passait irrémédiablement. Une étreinte pudique, celle d'un père pour une fille. Puis revint le monde, le cours des instants qui déjà se perdaient. Un fil de paroles glissa. La fougue de la jeunesse, l'impatience teintée de curiosité, de naïveté, l'envie irrépressible de raconter les moments vécus, de savoir, de comprendre, de demander. Une envie si particulière à l'adolescence qu'elle offrait un joyeux mélange tempétueux duquel naissait bientôt une littérale débandade. Comme si d'un simple sifflement avait surgit un troupeau de rhinocéros lancés dans une folle course. Récit, projet, promesse...

Le Vicomte sourit. On peut même affirmer que son visage s'éclaira d'un sourire, ou alors oser une comparaison du genre: "comme un cheval qui galope, qui sourit à la vie". Mais restons sobre et modeste. Soyons efficace. Le Vicomte sourit donc, un rictus étincelant comme un soldat qui court dans une vaste et verte prairie, qui se rit de la vie. Dans son oeil d'ocre brûlé, oscillant entre le brun et le jaune, scintilla la joie. Le bonheur de retrouver un être cher, un bonheur préalable qui en annonçait d'autres dont celui de revoir ses enfants.

Aux premières paroles il demeura muet. Il ne voulait certainement briser cet élan enthousiaste de la jeune héritière. Il opposa son rictus si bien décrit, puis opina du chef à l'évocation de quelques projets. Toutefois, tandis qu'il s'apprêtait à répondre à cette demande de promesse, son épouse apparut. Le lien paternel se délia quelque peu, le faciès vicomtal revint au sérieux. Les traits marqués de son aimée, ces mots qu'il devinait étouffés par un profond mal, lui révélèrent l'imminence impromptue d'un mauvais augure, pire peut-être, d'un tragique événement. L'atmosphère se métamorphosa. Elle devint lourde, pesante comme un soir d'été avant l'orage.

Son regard se posa sur sa future filleule.

Je ne puis faire une telle promesse, Elissa. La noblesse compte bien des devoirs et celui de se battre pour de justes causes en fait partie...

Phrases transitoires, lancées avec une étrange solennité. Un éclair venait de briser la pesanteur. Les yeux du Vicomte avaient abandonnée "sa" petite étoile et s'étaient mêlés aux émeraudes tant adorées. L'orage allait éclater.

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Nanelle


La Vicomtesse resta sur le pas de la porte, quelque peu désappointée. Pendant le voyage, elle avait plusieurs fois imaginé les retrouvailles avec son époux et la façon de lui annoncer cette déchirante nouvelle, mais jamais elle n'avait imaginé être en présence d'une troisième personne. Son regard se perdit dans celui de son aimé. Un appel au secours, le besoin d'une bouée de sauvetage qui permettrait à cette mère inconsolable de sortir la tête de l'eau où elle s'enfonçait inexorablement.

Son regard demeura ainsi comme ignorant la présence de la jeune Jehanne. Elle l'entendit parler, perçut également une réponse de son époux mais sans toutefois comprendre de quoi il en retournait. Son esprit était reparti auprès de son enfant, de sa fille chérie qui l'avait quittée sans qu'elle ne puisse rien faire pour la retenir. Elle avait à ce moment là ressenti une grande colère envers la médecine qui ne lui avait pas donné de réponse, permis un miracle qui aurait pu sauver cette jeune fille qui avait encore tant de moment à vivre.

Puis reprenant quelque peu ses esprits, Nanelle s'approcha de son mari.

Bonjour Jehanne, ravie de vous revoir.

Puis se tournant vers son époux, elle glissa ses mains dans les siennes, essayant de retenir ses larmes.

Mon aimé, je viens de Saint Enimie, une chose terrible est arrivée à notre fille chérie. Après une grande respiration. Le Très Haut a... Il l'a rappelée à Lui... je... je n'ai rien pu faire... je suis désolée...

Ne pouvant soutenir le regard de son époux, Nanelle baissa les yeux. Elle se sentait responsable, elle avait fui le Languedoc après la mort de son dernier né, abandonnant ses autres enfants. Dans son esprit, il apparaissait comme une évidence que le Très Haut l'avait punie en la privant à nouveau d'une de ses filles. Si elle était restée auprès des siens, elle aurait peut-être pu la guérir...

Serrant un peu plus fort les mains de son époux, la Vicomtesse sentit ses jambes se dérober sous elle, les dernières forces l'abandonnèrent, un voile passa devant ses yeux, puis ce fut le trou noir.

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Actarius


Ses mains saisirent celles de son épouse avec bienveillance. Le sérieux avait abandonné le visage vicomtal, l'anxiété s'y devinait désormais. Déjà les premières gouttes perlaient au coin des yeux aimés, bientôt viendraient le tonnerre, l'averse, il le savait, il le ressentait du plus profond de son être.

L'orage éclata, la sentence tomba. Terrible, tragique, infinie. L'instant se figea dans la douleur la plus pure qui fut. Comme aux temps ancestraux, comme lorsque la première foudre vint déchirer le ciel annonçant la sombre et fragile destinée humaine. Dans ce silence assourdissant, le regard vicomtal s'éteignit. La réalité se dissipa. De ses entrailles naquit ce puissant cri, celui-là même qui lui déchira la gorge sans parvenir à s'échapper. Les lèvres demeurèrent closes. Aucune parole ne vint. La vie se dissipa de ce valeureux guerrier, elle s'évanouit. Lui qui avait baigné dans le sang des batailles, côtoyé la mort tant de fois, lui le féroce, le phénix, le magnifique perdait pied.

Des nimbes jaillirent des images éparses, désordonnées. Puis, ce fut le néant. Enfin, la lumière éblouissante. Et aussi brusquement que l'atonie avait frappé, réapparut la réalité. Un tremblement, un tressaillement plutôt, avant que la force de ces mains chéries ne disparût. Le temps d'un clignement d'oeil, l'homme, aussi anéanti fut-il, reprit le dessus. Le mari cueillit son épouse dans ses bras. Le geste relevait plus de l'instinct, du réflexe que de la réelle intention tant la douleur demeurait omnisciente.

Il souleva le corps inerte de son aimée et l'emmena jusqu'au siège où il la déposa machinalement. L'esprit encore vide, il se retourna. Son regard désincarné croisa le feu d'une chevelure, puis ce fut ces petites perles. Et alors, de manière aussi soudaine que surprenante, alors qu'on aurait pu croire que jamais plus parole ne franchirait le rempart de cette bouche figée en un étrange rictus, alors rejaillit cette voix. Plus grave, étrangement douce et posée, totalement inappropriée en pareille circonstance.

Elissa, voulez-vous bien aller chercher de l'aide pendant que je veille mon aimée.

Ce n'était certes pas là une question. Il y avait même fort à parier que si le soleil couchant de ces mèches ne lui était apparu, le ton aurait été bien plus sec, vif, pour ne pas dire impérieux. Revenant à sa femme, il s'accroupit et lui prit une main. Il la caressa cette main, espérant voir ses paupières se lever. Il la baisa comme aux premiers jours.

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Jehanne_elissa
Elle qui s’attendait à une gentille visite de la Vicomtesse, une de ces visites au départ embarrassantes mais qui à la fin aurait certainement créé des liens entre la filleule fascinée et l’épouse enamourée. Et bien, petite Goupil, tu t’es trompée.

En regardant avec un peu plus d’attention le regard de la Vicomtesse, c'est-à-dire en déplaçant toute son attention qui était entièrement donnée à son retour, les yeux humides de la Volpilhat perçurent… Un chaos. Peu de mot pour décrire ces visages sans expression tellement le cœur en ressent des contradictoires : douleur, tristesse, perte, tragédie, impuissance, amour. Comme ils sont étranges ces visages du deuil. Car son petit doigt –très doué- lui avait soufflé à l’oreille… « Deuil »… Malgré son jeune âge elle avait vu des personnes heurtées par la mort d’un proche, il y avait eu Tante Pol, Clémence de l’Epine et son Eilinn. Toutes trois avaient des traits indescriptibles en ces instants, tout comme Nanelle. Alors elle se douta qu’il se passait quelque chose de grave.

Instinctivement elle s’’état décalée, puis avait entendu. Puis son regard s’était tourné vers Actarius et là, là, autant vous le dire, c’est le drame. Etait-ce bien des larmes, ces petites gouttes cristallines naissant au creux de ces yeux d’ordinaire si durs ? Comment était-ce possible que son Magnifique à elle pleure ? Insidieuse panique qui vient serrer l’estomac de Jehanne. Et cet air si triste, si abattu.. Fascinée, mortifiée, étonnée, elle regarde son parrain avec des yeux ronds comme des soucoupes. Puis la surprise passe et la douleur vient enserrer son petit cœur, étau que tous connaissent s’ils sont vus un jour un être aimé souffrir. D’autant plus si l’être aimé est tellement idéalisé, tellement magnifié qu’on le pense complètement immunisé à la douleur et à lapeine, si on le pense tellement fort qu’il peut survivre à toute guerre, tout deuil, tout coup dur.

Elle esquisse alors l’ombre d’un pas pour se rapprocher du Vicomte ayant, il faut le dire, occulté la Vicomtesse tellement voir Actarius dans cet état la trouble, l’obsède et la blesse. Mais là encore les événements s’enchaînent trop vite pour la petite Volpilhat, ni un ni deux Nanelle s’effondre et Actarius la rattrape. Il s’en fallait de peu. La bouche de Jehanne Elissa s’est ouverte, pour laisser s’échapper un cri de surprise mais il reste étrangement coincé au fond de sa gorge et sa bouche reste tout autant étrangement ouverte sans émettre le moindre son. Sens-tu cet affreux sentiment d’inutilité Volpilhat ? Sens-tu que tu es incapable de faire quoi que se soit ? Oh oui, elle le sent. Mais elle sent aussi surtout en cet instant que son Magnifique Parrain aime trop, aime trop son épouse. Elle sent que son Prince ne sera jamais sien. L’image du brillant Chevalier disparaîtra t-elle pour laisser la place à l’unique, et la plus légitime, et la plus raisonnable, de père de substitution ?


Elissa, voulez-vous bien aller chercher de l'aide pendant que je veille mon aimée.


Elle cligne plusieurs fois des yeux. Cette voix la ramène petit à petit à la réalité et ses réels problèmes : l’épouse de son Parrain vient de s’évanouir. Alors il est temps d’être utile et de sauter sur l’occasion. Il est temps de l’aider si tu l’aimes, petite Volpilhat. Son regard vert coule alors sur Nanelle inconsciente et à son petit cœur de se serrer de nouveau. S’il la perd, là, la peine sera surement insurmontable… Et peut-être cette peine lui coûtera la vie ?

Alors elle prend ses jambes à son cou et se dirige vers les cuisines : les cuisines des demeures nobles sont souvent les pièces les plus habitées.



    ***


Après une course, après avoir crié à bout de souffle dans les cuisines que la Vicomtesse de Tournel venait de s'évanouir, après avoir demandé la personne la plus qualifiée, et après les avoir traînés dans les couloirs du mas, Jehanne Elissa est de retour auprès des époux. Enfin... Dans l'encadrement de la porte ouvrant la pièce ou ils se trouvent. Adossée au mur et sans faire de bruit elle regarde, une bonne femme de la demeure connaissant le langage des simples à ses côtés, ainsi qu'un homme réputé très doué pour faire des saignées. La bonne femme élève la voix pour dire quelle a des sels si nécessaire, les deux médicastres d'appoint attendent gentiment dans l'encadrement eux aussi qu'on leur donne la permission d'entrer.

Jehanne Elissa, elle, plongée dans un surprenant mutisme n'attend aucune permission pour rien du tout. Son visage est fermé et l'expression de ses yeux semble lointaine, si lointaine que personne ne semble pouvoir un jour la faire revenir. Tout va bien: elle respire, elle voit, ses yeux sont clairs, ses battements de cœur sont réguliers, non, tout va bien. C'est juste un de ces moments ou vous êtes là sans être là. Elle attend peut-être un appel de retour à la réalité, un appel qui sera surement entendu uniquement s'il vient d'Actarius. Une fois de plus, la mort plonge ce jeune esprit si gourmand de vie et de rires dans ses propres profondeurs morbides quelle ne connaît que très peu. Et les rares fois ou elle avait côtoyé le deuil il en avait été de même. Cette autre partie de soi que l'on découvre dans le pire et que l'on ne sait apprivoiser.

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Actarius


L'évanouissement de son épouse avait eu le mérite d'empêcher le Vicomte de sombrer. Il posa son oreille sur la poitrine de son aimée et relâcha un soupir de soulagement, une simple perte de connaissance. Son regard de Sienne caressa ce corps durant de longs instants alors qu'un mystérieux rictus apparut sur son faciès. Elle était belle et désirable, toujours autant malgré les années. Jamais l'épouse aimante n'avait failli, jamais encore. Et pourtant, le deuil ne l'avait pas épargné. Combien de fois avait-elle pansé son guerrier de mari ? Combien de fois avait-elle dû s'inquiéter ? Comment avait-elle pu supporter la perte de son enfant, puis d'un second ? La mort rôdait comme un brigand aux alentours de la maison d'Euphor. Elle frappait de plus en plus fréquemment.

Pourtant, il faudrait la force de se relever, de continuer encore et encore. Le rictus devint sourire. Un sourire sincère, parfaitement inopportun. Il serait venu tôt ou tard, il serait venu lors d'une animation, d'une rencontre, de retrouvailles. Le deuil demeurerait, mais la vie, elle, suivrait son cours. C'était dans l'ordre des choses. Oui, le Vicomte souriait. Ce n'était certes pas là du bonheur ou de la joie. Mais plutôt l'effondrement d'une partie de lui. Finalement, peut-être que s'il n'avait pas inexplicablement souri à ce moment-là, alors ne l'aurait-il plus jamais fait.

La gravité revint néanmoins, elle s'insinua cependant que des pas se faisaient entendre. L'écho se dissipa avant de s'arrêter net, ce fut à cet instant qu'il se retourna alors qu'une voix s'élevait. Fallait-il vraiment réveiller son épouse, la rappeler à sa douleur immédiatement ? Il hésita un instant, mais répondit rapidement. Sa voix avait renoué avec ses intonations habituelles. L'excitation s'était évanouie et une sorte de pesante sérénité emplissait la pièce désormais.

Emmenez mon épouse dans ses appartements, laissez-la se reposer... mais veillez sur elle et intervenez si sa vie vous semble en danger. Ce disant, le Phénix se releva tout à fait. Allez, je viendrai la veiller un peu plus tard.

Sur ces mots, les deux médicastres improvisés s'exécutèrent tant bien que mal et bientôt la Vicomtesse fut déposée dans sa couche. Son corsage fut dégrafé afin de mieux laisser l'air aller et venir dans son corps tourmenté. Non loin de là, dans le cabinet le mari avait suivi le cortège des yeux et son regard était finalement tombé sur la jeune Volpilhat. Il approcha, la saisit soudainement par la taille, la souleva et la serra contre lui avec une infinie tendresse.

Il avait envie de parler sans savoir ce qu'il pouvait bien dire. La demoiselle avait assisté à une scène terrible, sans doute avait-elle besoin d'un peu de réconfort. Mais... lui aussi en avait besoin. Le geste put paraître déplacé, d'autant plus que la jeune fille n'était plus si jeune. Cette étoile n'était pas pour lui un objet de convoitise ou un être de substitution. Non... elle était sa protégée. Il la regardait comme aurait pu le faire un père. Il aurait donné son existence pour elle comme il l'aurait volontiers sacrifiée pour que pût vivre sa propre fille.

Elissa... Le reste ne vint pas, l'écho de ce prénom par lequel il aimait l'appeler se figea. Un ange passa et sans doute avait-il les traits de Margot.

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Jehanne_elissa
Elle avait finalement du bouger de l'encadrement de la porte pour laisser passer le cortège médical d'occasion. Elle était allée au milieu de la pièce toujours étrangement atone. Jehanne Elissa ne comprenait plus grand chose, elle sentait un vide en elle, un de ces vides autant effrayant qu'attrayant, autant destructeur que salvateur. Car il est bien plus agréable de ne rien comprendre et s'éloigner de la douleur plutôt que de la cerner, la palper dans son affreuse et crue réalité.

Puis ils se retrouvent tous les deux, Actarius et elle. L'immense regard vert se pose alors sur son Magnifique mais malheureusement ce n'est pas pour autant qu'il retrouve une expression définissable. Le retour à la réalité s'effectue lentement par le contact au corps de celui qui deviendra son parrain dans le futur et là, les pieds ne touchant pas le sol, serrée contre le buste de cet homme si fort elle reprend pied, peu à peu, comme l'on s'éveille de long sommeil. Petite Goupil qui voit à nouveau clairement la pièce, esprit qui sort des brumes pour sentir le tissus de sa robe contre un torse et alors elle se blottit et reste silencieuse.

Combien de temps? Et qu'est ce que le temps dans ces moments infinis? Ne serait-ce pas une barrière à la vie, une barrière empêchant de vivre ces moments bénis que de calculer méticuleusement le temps? Elle reste là serrée contre lui et respire lentement... Tout se calme et la même sensation de plénitude qui l'envahissait avant le malaise de la Vicomtesse revient à nouveau. Il est là... Il est là... Il est là. Elle s'écarte alors un peu, toujours dans ses bras et regarde le visage du Vicomte. N'est-il pas à cette heure ou le Chevalier de Siarr reste éperdument enfermé en Fenouillèdes et ou tante Pol est en voyage son seul point de rattache, son seul repère? Son tuteur non légal mais celui du cœur, celui qu'elle a choisi.


- « Je n’aime pas vous voir triste... Ca vous va mal au teint.


L'ourlet carmin des dents du bonheur de la Volpilhat s'étire alors. Volontairement la petite rousse a mis bien loin son étrange trouble des minutes passées: elles aura toute la vie pour y revenir dessus mais par contre elle a l'impression qu'elle n'a que peu de temps pour faire revenir le sourire sur le visage de son Parrain. Il est son urgence car elle l'aime et lorsqu'on aime l'être chérit devient bien plus important que sa propre personne. Innocemment elle dépose un baiser sonore sur la joue mal rasée du Vicomte, geste ô combien peu conventionnel, proximité ô combien interdite mais geste d'enfant et naturel envers quelqu'un qu'elle vénère presque. Personne n'est là pour la voir et la réprimander, son vilain et ennuyeux maître de quadrivium, trivium, étiquette et autres joyeusetés qui font des jeunes nobles de gentil toutous conditionnés, n'en saura rien. Et si il y avait bien un trait de caractère prépondérant chez l'héritière Goupil c'était bien un infaillible et désespérant naturel.

- « Vous pouvez me parler vous savez, je me suis bien plainte dans les lettres envoyées. On ne devrait jamais être triste. »
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