--Sorguina
Fable cruelle du Sans-Nom
"Life's but a walking shadow, a poor player
That struts and frets his hour upon the stage,
And then is heard no more. It is a tale
Told by an idiot, full of sound and fury,
Signifying nothing."
Shakespeare, The Tragedy of Macbeth
Introduction
La timide lumière du cierge vacilla sous la brise légère. Dans l’âtre, les dernières braises luisaient silencieusement, jetant des ombres inquiétantes sur les marmites et les ustensiles de cuisine suspendus au mur de galets. La nuit était maintenant tombée depuis plusieurs heures mais la petite vieille, recroquevillée sur son tabouret, poursuivait inlassablement son patient travail de couture.
"Qu’en dis tu, mon mignon ?" dit-elle, s’arrêtant enfin pour arborer son ouvrage presque terminé. Le gros chat roux qui ronronnait jusqu’alors près du feu leva une oreille et ouvrit paresseusement l’œil pour jeter de sa pupille claire un regard indifférent sur le tricot. "Je vois… tu n’en as cure, et tu as bien raison…il est temps de nous égayer un peu par des choses plus amusantes." Disant cela, elle se hissa péniblement de son tabouret et avança à pas lancinant vers le volet encore ouvert. L’ayant refermé, elle se dirigea vers un vieux placard vermoulu et en tira une petite fiole remplie à moitié d’un liquide vermeil. "Il nous en reste encore bien assez", dit-elle au félin qui se prélassait toujours, levant et faisant retomber sa queue à intervalles réguliers devant le foyer mourant.« Viens là, stupide bête », appela la vieille. Le chat se contenta d’émettre un miaulement nonchalant. Sa maîtresse approcha à pas pesant et saisit l’animal par le col. Mais l’animal, dés qu’il fut dans ses bras, bondit gracieusement jusqu’à terre et fila vers l'issue du logis, fermée par une lourde porte de chêne qu’il se mit à griffer obstinément.
« D’accord, mon beau, nous allons aller au dehors » dit la vieille de sa voix grave et lente. Elle se dirigea à son tour vers la porte et fit basculer le loquet de métal.
La porte s’ouvrit sur l’immensité sombre d’une vallée boisée. Le vent s’était levé et la forêt d’Iraty bruissait comme un vaste et paisible océan avant la tempête. De lourds nuages de pluie s’accrochaient aux montagnes environnantes, obscurcissant davantage le paysage nocturne. Loin des villages et de leur agitation, la bicoque de la vieille, îlot perdu de civilisation au milieu de l’étendue sauvage, se dressait modestement du haut de son promontoire rocheux dépouillé d’arbres. Tout était calme. On n’entendait plus que le bruit du feuillage environnant et, par intermittence, le hululement mystérieux d’une chouette ou la plainte d’une bête nocturne.
« Te voila satisfait ? » demanda la vieille au félin qui se tenait à présent immobile et attentif à quelque distance de la chaumière. « Tu aimes les histoires n’est ce pas ? J’ai une histoire passionnante pour toi ce soir…une histoire que le Maitre lui-même dirige comme il l’entend. Le Maître a toujours su mener les histoires de façon passionnante… »S’étant approché du chat, elle s’assit à ses côtés sur l’herbe humide et but lentement le contenu de la petite fiole. Quelques instants s’écoulèrent. La vieille et son animal, immobile l’un comme l’autre regardaient le ciel opaque et bas.
Alors, le vent se leva petit à petit. La faible bougie s’éteignit. Les braises étaient déjà mortes. Lentement, les nuées dérivant sous le souffle impétueux des cimes s’écartèrent pour laisser paraitre une lune éclatante et froide. Les montagnes pâlissantes dévoilèrent leurs majestueuses aspérités.« Regarde, mon mignon ! » s’exclama la vieille exaltée, pointant de sa main ridée la face livide de l’astre. Le félin roux dressa l’oreille comme un guetteur inquiet.« Le Maître est à l’ouvrage ! Ils seront bientôt trois de plus à se trouver broyés dans son sinistre théâtre, trois marionnettes qui ne se doutent pas encore que la farce cruelle commence… Les décors sont déjà posés et les acteurs sont prêts sans le savoir, l’auteur ricane dans les coulisses. Que le spectacle commence… »
Au loin, comme attirée par l’écoute du conte qui allait être dit, la chouette s’était tue.
"Life's but a walking shadow, a poor player
That struts and frets his hour upon the stage,
And then is heard no more. It is a tale
Told by an idiot, full of sound and fury,
Signifying nothing."
Shakespeare, The Tragedy of Macbeth
Introduction
La timide lumière du cierge vacilla sous la brise légère. Dans l’âtre, les dernières braises luisaient silencieusement, jetant des ombres inquiétantes sur les marmites et les ustensiles de cuisine suspendus au mur de galets. La nuit était maintenant tombée depuis plusieurs heures mais la petite vieille, recroquevillée sur son tabouret, poursuivait inlassablement son patient travail de couture.
"Qu’en dis tu, mon mignon ?" dit-elle, s’arrêtant enfin pour arborer son ouvrage presque terminé. Le gros chat roux qui ronronnait jusqu’alors près du feu leva une oreille et ouvrit paresseusement l’œil pour jeter de sa pupille claire un regard indifférent sur le tricot. "Je vois… tu n’en as cure, et tu as bien raison…il est temps de nous égayer un peu par des choses plus amusantes." Disant cela, elle se hissa péniblement de son tabouret et avança à pas lancinant vers le volet encore ouvert. L’ayant refermé, elle se dirigea vers un vieux placard vermoulu et en tira une petite fiole remplie à moitié d’un liquide vermeil. "Il nous en reste encore bien assez", dit-elle au félin qui se prélassait toujours, levant et faisant retomber sa queue à intervalles réguliers devant le foyer mourant.« Viens là, stupide bête », appela la vieille. Le chat se contenta d’émettre un miaulement nonchalant. Sa maîtresse approcha à pas pesant et saisit l’animal par le col. Mais l’animal, dés qu’il fut dans ses bras, bondit gracieusement jusqu’à terre et fila vers l'issue du logis, fermée par une lourde porte de chêne qu’il se mit à griffer obstinément.
« D’accord, mon beau, nous allons aller au dehors » dit la vieille de sa voix grave et lente. Elle se dirigea à son tour vers la porte et fit basculer le loquet de métal.
La porte s’ouvrit sur l’immensité sombre d’une vallée boisée. Le vent s’était levé et la forêt d’Iraty bruissait comme un vaste et paisible océan avant la tempête. De lourds nuages de pluie s’accrochaient aux montagnes environnantes, obscurcissant davantage le paysage nocturne. Loin des villages et de leur agitation, la bicoque de la vieille, îlot perdu de civilisation au milieu de l’étendue sauvage, se dressait modestement du haut de son promontoire rocheux dépouillé d’arbres. Tout était calme. On n’entendait plus que le bruit du feuillage environnant et, par intermittence, le hululement mystérieux d’une chouette ou la plainte d’une bête nocturne.
« Te voila satisfait ? » demanda la vieille au félin qui se tenait à présent immobile et attentif à quelque distance de la chaumière. « Tu aimes les histoires n’est ce pas ? J’ai une histoire passionnante pour toi ce soir…une histoire que le Maitre lui-même dirige comme il l’entend. Le Maître a toujours su mener les histoires de façon passionnante… »S’étant approché du chat, elle s’assit à ses côtés sur l’herbe humide et but lentement le contenu de la petite fiole. Quelques instants s’écoulèrent. La vieille et son animal, immobile l’un comme l’autre regardaient le ciel opaque et bas.
Alors, le vent se leva petit à petit. La faible bougie s’éteignit. Les braises étaient déjà mortes. Lentement, les nuées dérivant sous le souffle impétueux des cimes s’écartèrent pour laisser paraitre une lune éclatante et froide. Les montagnes pâlissantes dévoilèrent leurs majestueuses aspérités.« Regarde, mon mignon ! » s’exclama la vieille exaltée, pointant de sa main ridée la face livide de l’astre. Le félin roux dressa l’oreille comme un guetteur inquiet.« Le Maître est à l’ouvrage ! Ils seront bientôt trois de plus à se trouver broyés dans son sinistre théâtre, trois marionnettes qui ne se doutent pas encore que la farce cruelle commence… Les décors sont déjà posés et les acteurs sont prêts sans le savoir, l’auteur ricane dans les coulisses. Que le spectacle commence… »
Au loin, comme attirée par l’écoute du conte qui allait être dit, la chouette s’était tue.