Hembert le Douanier, incarné par Linexiv
Confortablement installé dans le bureau des douaniers près des portes, autrement dit, à demi-claustrophobe sur un tabouret bancal, bénissant Aristote pour labsence de pluies nocturnes peu compatibles avec les fuites du toit, Hembert douanier de son état se demandait encore ce quil lui avait pris de se vanter auprès du prévôt.
« Jsais lire moi » Punaise, il aurait mieux fait de se la fermer. Collez-le douanier quelle avait dit et lui, il en avait été heureux, en plus. Sil avait su
Cétait classe, pourtant, douanier, vêtements aussi beaux que ceux des maréchaux sans risque de se ramasser un coup dépée. Et en plus, à toi de décider qui entre ou pas en Touraine, marchands, nobliaux, paysans, si tu disais non, ben ils restaient à la porte et alors ils se confondaient tous en belles paroles. Des « Messire Douanier » et pleins de trucs dans ce genre là. Enfin, sur le papier.
Personne ne lui avait précisé que ça voulait surtout dire passer ses nuits à se les geler dans un bureau misérable, porte et fenêtre ouvertes pour plus de réactivité quils avaient dit. Et tout ça pour rien, yavait jamais personne
Quelques ivrognes : à observer de loin de préférence pour létat de ses chausses. Quelques attardés qui savaient où ils allaient et qui ne se gêneraient pas pour le mettre plus bas que terre sil osait leur adresser la parole parce quen mission pour leurs nobles maîtres
De toute façon, en cas de groupe, c'est-à-dire plus de un, il appliquait ses consignes personnelles : lumière éteinte et assis à côté de son siège.
Mais il ne fallait pas croire pour autant quHembert nétait quun trouillard désuvré nayant que sa bouteille pour supporter le froid de la nuit. Dabord, les nuits nétaient plus aussi fraiches et puis surtout, il sadaptait en fonction de la situation. Lui et sa bouteille. Par exemple, là, malgré une nuit riche en mouvements, cétait la saison pour les chats semblait-il, il avait tenu bon et parvenait encore à garder un il ouvert, prêt à partir dès la relève annoncée.
Quant à savoir pourquoi il navait pas appliqué son adage en voyant apparaitre dans le gris de laube un dangereux groupe de deux personnes, pas la peine de chercher très haut : yavait du jupon.
Et cétait franchement plus intéressant que sa belle amie de verre vêtue parce quen plus cétait plutôt rare. Contrairement à ses collègues affectés aux autres portes, la nord en particulier, pour ne pas la nommer, le quartier sud-est nétait pas connu pour être fréquenté par des dames.
Hep, vous là !
Le « là » fut terriblement accentué alors que le malheureux Hembert tendait le bras pour garantir son équilibre. Dans sa précipitation, il avait négligé le fait que son amie verte avait eu une grande sur, et peut-être même une cousine ?
Lavait pas pris sa lanterne non plus. Cétait plus la nuit après tout. Mais pas encore le jour. Bref, il ny voyait pas grand-chose à part la certitude quelles nétaient que trois, enfin deux. Il ferma un il pour gagner en concentration et jubila en considérant quelles semblaient jeunes. Enfin celle de gauche, la petite, parce que la grande
Trop grande
Alors que la petite, attifée nimporte comment certes mais bien plus aguichante à son goût que lautre avec sa jupe trop serrée
Et puis trop grande, beaucoup trop grande et ce nétait pas à lhomme de lever la tête
Tandis que pour la petite, pas besoin ! Sans doute quelle devait travailler avec la perche pour attirer à elle les clients.
Et ça marchait sur le douanier frustré en tout cas.
Et ben Mignonne ! Tu sais pas qula porte est fermée à cette heure ?
Menfin on peut ptre sarranger ?
Hembert le Douanier, incarné par Linexiv
Hembert navait jamais été considéré comme une lumière, certes, il savait ses lettres, mais cétait à peu près tout. Ce nétait pas une tête brûlée non plus, bien trop pleutre pour cela, mais consciencieux, à ses heures, genre, lorsquil navait pas abusé de la bibine et quil était encore capable de penser avec sa tête. Un anonyme bien brave engoncé dans son train-train quotidien et qui plus est, peu favorisé par Dame nature. Bref, tout autant de circonstances atténuantes qui contribuèrent à expliquer pourquoi le douanier fut incapable de relever quil ne connaissait pas de Fernand.
Et elle lui faisait du Messire en plus
Dire que le malheureux bonhomme commençait à ne plus se sentir était plus quun euphémisme. La dernière fois
La dernière fois
quil sétait retrouvé aussi proche dune femme
La dernière fois
Impossible de sen souvenir, de se souvenir de quoique ce soit dailleurs, lespèce de chemise qui sécartait un peu trop
Gloups. Et elle sapprochait encore un peu plus, elle nallait quand même pas ? Cela ne pouvait pas arriver à un pauvre gars comme lui, cétait trop
Les lèvres qui se posèrent sur les siennes, retirées bien trop vite alors que les mains deviennent baladeuses
Sa respiration qui devenait difficile alors que les mots atteignaient de moins en moins son cerveau obscurci. Continuer. Profiter. Profiter. Quelques paroles susurrées, trois bribes captées, « portes » et surtout « autre douanier ».
Instant de lucidité ou pas. La relève. Fallait pas quon le surprenne. Pas maintenant, pas alors quil allait enfin conclure ! Bouger. Le pauvre homme en bafouilla
Sortir
Porte
Clefs
Bureau
Et Hembert de sécarter précipitamment pour vaciller, légèrement débraillé, en direction du bureau doù il ressortit bien vite un trousseau de clefs à la main, fort pressé de poursuivre son affaire avant que sa chance ne tourne. Fallait dire quil était bien convaincu dune chose, le Hembert et quen plus, il avait raison, pareille occasion ne se représenterait pas de sitôt.
Heureusement.
Tout content damener son trophée, convaincu dêtre désormais un véritable matador, il sapprocha de sa conquête dun pas sensé être triomphant mais que la boisson rendait pitoyable, lèvres en avant, luisantes, déformées dans un rictus juste obscène.
Hembert le Douanier, incarné par Linexiv
[Morne réveil]
Plus proche on a été convaincu de décrocher la lune et plus dur est le réveil. Constatation classique mais que le pauvre Hembert découvrait juste, douleur et humidité en plus. Pour la première, pas la peine de chercher plus loin que du côté de son nez qui semblait avoir doublé de volume. Du côté de larrière du crâne aussi. Bref, un beau mélange qui résonnait avec la coutumière gueule de bois avec, au milieu de tout ça, limage récurrente dun poing en mouvement. Quant à lhumidité, il fallait la relier avec les ricanements des lèves-tôt qui entouraient le garde qui venait de lui verser un bon seau de flotte sur la tronche, remède universel.
Rapidement recollé sur ses pattes et entraîné par une maréchaussée peu désireuse de voir laffaire du douanier bourré sébruiter, Hembert en profita pour chasser quelques vapeurs dalcool de manière à établir sa version des faits alors quune sourde angoisse naissait au creux de son ventre.
Il était vraiment mal là. Sêtre fait rétamé par deux bonnes femmes, ce nétait même pas descriptible, des plus crédibles en plus, et surtout complètement ridicule. Bien entendu, si le pauvre douanier avait eu les idées plus claires, il serait sans doute arrivé à la conclusion que vu la force dudit poing, même, ou justement, en considérant la taille de la mégère, cétait plus que louche. Mais Hembert nen finissait pas de cuver et les élancements en provenance de son nez déformé naidaient pas à une réflexion objective.
Deux bonnes femmes. Non seulement il sétait fait avoir mais en plus il sétait fait rossé, sa virilité venait vraiment den prendre un coup là
Tout ça pour
pour
Les clefs
Elles lui avaient forcément volé les clefs et ouvert les portes pour laisser entrer des hordes de brigands, elles avaient
Léger regard par-dessus les épaules de son escorte, rien dinhabituel à noter, quelques paysannes se dirigeant vers la place du marché, des ivrognes qui rentraient, rien qui pouvait laisser entrevoir une quelconque conséquence quant à sa mésaventure. Et dailleurs, si les clefs avaient été dérobées, ses futurs ex-collègues arboreraient une mine différente et ne sembêteraient pas à le soutenir.
Maigre lueur despoir qui sanima dans les yeux piqués de sang de livrogne douanier, oui, il avait peut-être une chance de sen sortir
A condition de faire la bête, et ça, fallait reconnaître quil savait bien la faire apparemment
Quelques rues plus tard, au château, dans laile réservée à la Connétablie, Hembert eut donc le privilège de bafouiller des explications devant son supérieur. Lesquelles, pour en faire un résumé, se bornèrent à la répétition de demi-phrases oscillant autour de « jsuis sorti pour
parce quil fallait que je sorte
menfin
Puis jme souviens plus
Jcrois que jsuis tombé et que jme suis cogné
. »
Le Chef des douanes nétait pas crédule, juste fatigué, et particulièrement heureux de débuter sa journée avec un pauvre type puant la vinasse. De ce fait, sil releva la légère- incohérence entre un nez cassé et la grimace quamorçait Hembert lorsquil se passait convulsivement la main à larrière de la tête, il décida que le plus simple pour linstant était de le laisser décuver et ordonna aux gardes de balancer le douanier au trou.
Cette réjouissante manuvre effectuée, il put, en toute quiétude, se concentrer sur ses occupations journalières.