Au moins, le moine arrête ses hurlements. C'est toujours ça de gagné. Il couine bien un peu, mais c'est moins désagréable que les grincements précédents.
Loué soit le Très Haut ! Il m'envoie l'un de ses messagers divins pour que j'arrive plus vite auprès des reliques de ses saints !
Norf de norf, mon frère ! J'suis Bacchus, ma. C'est point l'Très-haut qui m'envoye, ne vous déplaise.
Salive perdue... L'olibrius est trop occupé à tenter de monter en croupe pour tenir compte des sages paroles de Bacchus. Celui-ci attrape le moine par le col de sa bure, et manque le lâcher tant le contact en est poisseux. Il le hisse néanmoins en croupe, et l'on repart.
Aimé, regarde, nous voyageons sur un cheval solaire !
En route !! En route vers les reliques saintes !
Bacchus se penche sur l'encolure de Grisonne. Le moine, dans son dos, répand un fumet bien pire que celui des cochons de Dame Anne. Pour tout dire, il pue. Le brave Bacchus en serait tout incommodé s'il n'avait la ressource de renifler la crinière de sa jument.
Mais ça a pour effet de mettre au galop le vieil animal, qui bientôt écume, sous la double charge - triple si on compte Aimé, lequel ne doit pas peser bien lourd.
Partagé entre la pitié pour Grisonne d'une part, et de l'autre son inquiétude pour le vicomte, Bacchus balance. Ralentir l'allure ? Accélérer ?
Le fol se remet à brailler, sur un air de chanson à boire qu'il n'a certainement pas apprise au monastère. Bacchus ne balance plus. C'en est trop : les narines pincées, les oreilles douloureuses, il se penche encore plus. Tant pis pour Grisonne, elle se remettra à l'arrivée.
Villages et essarts défilent. De temps à autre, une commère se signe au passage de l'équipage.
L'est p't'être point solaire, ma Grisonne, mais l'est point du Sans-nom non plus, norf de norf ! Kêk les gens vont se penser ?!
Tout ça parce qu'il a voulu rendre service...
A l'approche de St-Jean-de-Bournay, Bacchus sent croître son inquiétude. Il met Grisonne au pas, pour ne pas risquer de renverser un enfant ou un vieillard. Les passants ont le visage grave, effrayé. On se chuchote des choses, on désigne clairement la route de Meyrieu. La jument, épuisée, avance tête baissée. Bacchus avise un homme qui, avec son tablier de cuir et son marteau en main, a tout l'air d'un maréchal-ferrant. Il parlemente quelques instants, obtient un cheval frais en échange de Grisonne et de quelques écus. Le nom de Dame Anne est connu jusqu'ici.
La silhouette du château se dessine enfin. Sur le rempart, des gens s'agitent, des cris fusent, mais on ne comprend pas les mots. Et puis ce grand trou, sur le chemin de ronde, ce hourd à demi-effondré ...
Par la malfoi ! Derrière sa grosse moustache, Bacchus est blême. Un accident. Le mur a cédé, peut-être à cause des gels de l'hiver passé. Il y a sans doute des blessés, des morts, qui sait ?! Et là, à l'entrée de la barbacane, Messire Thiberian qui demande la porte.
... un physicien ! un prêtre ! ...
Bacchus n'est ni l'un ni l'autre, mais par les sabots roses d'Aristote, il entrera ! Dame Anne est déjà bien assez éprouvée comme ça. C'est point possible que le Très-haut, après sa mère, son frère, sa marraine, bientôt son époux, lui vole aussi celui qui lui a tenu lieu de père.
Il descend de cheval, attrape le moine par la manche, et se poste derrière Messire Thiberian.
En voici un, de prêtre. La porte, marauds !