Enelos
L'heure était venue. L'hymne à la cruauté avait sonné dans leurs esprits. C'était le moment ou jamais de montrer de quelles cuillères se chauffaient les vilains. Opération "papillote de garde" enclenchée...
La discrétion était de mise pour cette sortie nocturne, mais l'éclopée complètement à côté de ses sandales après la beuverie du soir -fallait du courage pour combattre-, suivait tant bien que mal la petite troupe hétéroclite: épis de maïs débordant des poches, "gling gling" évoquant la collection de cuillères pendue fièrement à sa ceinture, visage peinturluré de boue de guerre, elle avait même pour l'occasion agrémenté son décolleté d'un surplus de cailloux, de glands et de chiffons. Bien sûr, la cerise sur le gâteau, -ou plutôt la pomme-, le petit panier de pommes qu'elle se trimballait en main.
Bien évidemment, elle s'était précautionneusement enrubannée dans une cape noire. Le genre de déguisement très pratique pour se battre quoi.
Devenue aussi discrète qu'une chauve-souris, elle se glissait dans la pénombre en jetant quelques regards furtifs autour d'elle, un pan de la cape de Cyr empoigné fermement dans la main. N'étant pas reconnue pour son sens de l'orientation, se perdre serait fatale pour sa futur vie sociale. La Boussole lui collerait comme une seconde peau flasque et molle, accompagnée d'une bonne poignée de honte. De plus, se perdre au milieu des clodos lui serait fatale tout court. D'ailleurs, pourquoi les prisons se trouvaient toujours dans des endroits sinistres ? Dans les contes, les héros avaient toujours un piège à déjouer. Là, c'était un simple garde qui gardait la porte d'entré. Mais la blonde n'était pas née de la dernière pluie, ce n'était qu'une "façade" cet air penaud. Elle savait que derrière le voile, il y avait un piège. Elle en était même sûre. Un chien enragé, une horde de garde se trouvait à l'intérieur. Un truc digne des dangereux criminels qui s'y trouvaient. En tant que tête pensante, elles s'étaient parées à toutes éventualités, d'où l'attirail original qui pendait à leurs ceintures. Elles étaient vraiment armées jusqu'aux dents. Enfin, surtout elle. On n'est jamais trop prudent.
C'est qu'elles étaient drôlement coordonnées les donzelles, au grand étonnement de tous. Pas un mot échangé, juste quelques regards furtifs avaient suffis.
Le travelo et la limande glissaient langoureusement vers le garde, poitrine exagérément mise en valeur, tandis que les deux autres complices se préparait mentalement. Un léger froncement de nez alors que la blonde admirait le travail de charme, lui rappelant le gros vent qu'elle s'était mangée de la part d'un certain Rafm le soir même. Déjà qu'elle ne prenait pas les devants envers la gente masculine, alors s'y en plus elle s'y essayait et qu'elle se prennait un râteau... C'était du découragement. Le rouge lui monta aux joues. La promesse se fit à l'instant même : les yeux de papillons, rangés au placard. Et pis c'est tout.
Un léger coup de coude dans les côtes offert par sa complice brune, Pissenlit en sortie de sa torpeur, manquant presque de se ramasser sous la force du coup. Déjà qu'à la base elle luttait pour ne pas tanguer...
Fouillant alors des yeux l'endroit à la recherche d'une entrée secrète susceptible de les faire s'insinuer en prison sans attirer l'attention du garde, la blonde posa une main peu rassurée sur l'épaule de sa complice en murmurant :
Mhm, j'pense qu'il serait préférable qu'tu passes en première, au cas où tu vois... Faudrait pas qu'il arrive du mal aux pommes, hein. Vas y, j'te suis, j'surveille tes arrières, et toi mes devants ... !
Grouille !!
Et hop, une bonne bourrade dans le dos de la brune en retour pour l'inciter à se glissait en première dans la gueule du loup.
*hips*
Enelos
Léger sourire satisfait au coin des lèvres. L'Art de faire des autres le dindon de la farce et de se réserver le boulot le moins crevant. Contrairement à d'autres, elle n'avait jamais reçu un entrainement de "guerrière", toujours prête à décamper au moindre danger, et ne parlons pas de son jeu de poignée qui était des plus pitoyable. Elle serait capable de se trancher la tête sans l'aide de personne. C'était juste que ça avait de la gueule d'avoir une épée battant contre sa cuisse. Et un cadeau ne se refusait pas...
Son truc à elle, s'était rester les bras croisés derrière la nuque, admirant les autres suer sang et eau à sa place. A la rigueur de temps en temps balancer un ou deux projectiles sur la tête d'un ennemi, histoire de faire genre qu'elle participe. Un travail de dirigeant, de tête pensante quoi. Le Cerveau. Mais là, la situation était différente. Ou presque. D'un geste ému, elle tapa du poings au niveau de son coeur, regard porté vers la forteresse. C'était ses amis qui croupissaient comme des rats en taule, et surtout, surtout, elle n'allait pas se coltiner le barde dans les pattes pendant que Sa Seigneurie se reposait les oreilles. C'était injuste.
Tac tac les tic tac, action.
Son sourire s'effaça bien vite lorsqu'elle remarqua que son "dindon" prenait la poudre d'escampette en direction des geôles, la laissant plantée comme un légume au milieu du fumier dont lequel elle pataugeait avec ses jolies bottes. Ni une ni deux, elle adopta la formation "crêpe" et s'élança à la poursuite de la brune, pommes menaçant dangereusement de passer par dessus bord, une main portée à sa ceinture pour faire taire les traitres de cuillères, une autre remontant son bustier devenue trop petit pour son décolleté outrageusement remplis. Être une femme de nos jours, c'est pas si facile...
- Psssst...dépêche, ça bouge par là.....
La face blonde manqua d'entrer en collision avec le fessier de la brune. Redressant la tête, des mèches blondes éparpillées sur le visage, elle se releva prestement, le souffle coupé. Petit coup d'oeil à droite vers l'opération séduction, au cas où le garde aurait l'idée de regarder ailleurs que dans le décolleté de ces donzelles, puis de nouveau l'attention porté sur sa complice qui mettait en oeuvre une ingénieuse façon d'ouvrir cette foutue grille à l'air moqueur.
Mais qu'est ce que tu fous 'vec ça... ? Ah je vois...
Avec sa propre notion de "vérification de solidité", elle décocha un bout coup de botte dans la grille, ce qui eu juste pour effet d'ajouter un bruit supplémentaire à la farandole de "gling gling" des cuillères. Vous avez dit discrétion ?
J'crois qu'c'est bon... On tire à deux ?
Shhht fait pas trop d'bruit p'tain...
-Craquement de nuque, relève les manches que t'as pas, et vas y qu'tu chopes la bandoulière d'la besace et que tu tires, tu tires, quatre mains qui tentent tant bien que mal de faire céder la grille sans faire trop d'bruit. Et vas y qu'tu dis ta gueule à la grille grinçante qui finit enfin par capituler sous la force des deux donzelles après plusieurs minutes d'acharnement, et un ongle cassé du côté de la blonde. -
Saloperie. J'me vengerai !
Ongle mort, c'est pas ton fort. Un mauvais présage, sans doute. Ou une illusion. Manquerait plus que le croassement sinistre du corbeau, avec l'effluve d'urine et de déjections qui vint se perdre dans les narines des deux donzelles une fois la "porte" vaincue. C'est que ça chlinguait sévère dans les prisons.
La blonde lança un regard dubitatif à sa complice, tout de suite moins motivée à l'idée de combattre ses odeurs et les rats pour seulement quelques pommes. Plus glauque tu meurs.
N'ayant jamais vraiment été en taule pour confirmer les ragots des mégères du coin, elle ne savait pas ce qui l'attendait. Ils périssaient souvent de froid, de faim et de soif d'où l'idée très intelligente de la blonde de les rassasier en pommes (à défaut d'orange...) et de leur fournir quelques vêtements. Enfin ça, elle n'avait pas encore totalement décidée.
Vraiment perplexe, la blonde resta soudée au seuil du beffrois, pas décidée à ouvrir la marche.
Euh... Ça m'fout les miquettes toute cette humidité...
Oh Oh Y'a quelqu'un !?
Seul l'écho et quelques jérémiades lui répondirent, et un grand moment de solitude s'installa.
Enelos
... L'ange passe, les jérémiades cessent, une brise lui apporte au creux de l'oreille la douce voix de son éclopée favorite. Pissenlit ? Pissenlit plisse le bout du nez. La brise lui a une nouvelle fois envoyé une effluve pisselaire dans les nasaux. Un arôme d'audace flotte autour d'elle, la main droite empoigne une cuillère-de-la-mort, le panier de pomme est fourré dans les mains de sa collègue, tandis qu'elle lui caresse le dos dans le sens du poil avec ses flatteries. Pissenlit s'en cogne, est-ce un secret qu'elle est fabuleusement mince et cruellement belle blonde ?
La tige blonde se glissa alors dans la cavité à botte de souris, une brune à ses talons, léger sourire sinistre papillonnant sur les lèvres. Elle se voyait déjà victorieuse, les taulards en mode groopie l'acclamant pour son courage hors du commun, adulée, adorée, vénérée, araignée...
Rhaaa saloperie casses toi de là!
T'y pas que l'araignée voulait elle aussi faire partie de ses fantasmes... Pis quoi encore, l'en avait déjà assez de repousser ses fans la nénette... Alors un arachnide, non merci...
Sans un mot, et d'un coup de cuillère bien placé, l'intruse rejoignit sa toile et la blonde repartie à ses pensées... Idolâtrée, bénie, merveilleusée... Dans ce contexte la quoi.
L'étroit couloir n'était que faiblement éclairé et désert, à l'exception de rongeurs trouillards qui détalaient comme des lapins à l'approche des deux gueuses. De la lumière scintilla au fond de la galerie, et d'un bref coup d'oeil par dessus son épaule, la blonde vérifia que son dindon était toujours présente. La jeune femme avait peine à avancer parmi les irrégularités du sol, son genoux étant toujours douloureux et la cicatrice encore trop fraîche...
toujours douloureux et la cicatrice encore trop fraîche...
T'vas voir un peu comme j'traite les nobles, trainée !
La voix claqua comme un fouet. Un gémissement de surprise mourut dans sa gorge dans un bruit de sifflet cassé, et d'un geste maladroit, elle laissa la cuillère s'échapper de ses mains qui cogna contre le sol humide dans un bruit métallique.
Pissenlit se stoppa nette et se tourna silencieusement vers sa complice, n'osant plus bouger, un air de Gaston sur le minois, se mordillant la lèvre inférieure.
Euh... désolée ?
Pissenlit et Dindon ne vont pas tarder à sortir l'artillerie lourde...