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[RP] Le Petit Conservatoire d'Istanga

Istanga
Le Palais de la Découverte

Plantée devant la bâtisse, j'attends le verdict d'Ubik. La caravane est arrivée ce matin, précédée par deux gardes de Vitrolles. Je les avais complètement oubliés, ceux-là! Et, forcément, ça m'énerve et quand je suis énervée, je me débarrasse de la cause. Pas manu militari mais presque, je boute les deux oiseaux vers la Gascogne, où se trouve leur maître, mon cousin Samuel.

Nous sommes maintenant entre nous, et je regarde avec fierté tout mon petit monde, prêt à obéir au claquement de mes mains qui sont, au demeurant, très belles. Longues et fines, elles manient le rasoir avec élégance et douceur. Mais cela fait longtemps que je n'ai rasé quiconque. Il faut que je me refasse la main sur Robert Arctor ou bien sur Thot ou bien sur.....


Malédiction!


D'un seul homme, quatre têtes masculines se tournent vers moi, pétrifiées. D'un geste explicite de la main, je les délivre de leur peur et leur signifie d'aller voir ailleurs si j'y suis. Ils se retournent, ne me laissant que la vision de leurs dos obéissants.

Je viens de me rendre compte que je suis l'unique représentante de la gent féminine dans cette maisonnée et ça, ça ne va pas. Il me faut du froufrou et de la gaieté, des rires de gorge ridicules qui me permettent de me sentir supérieure. Pour le coup, je suis énervée et pas qu'un peu. Mais là, il m'est difficile de me débarrasser de la cause. Il me faut une péronnelle vive mais polie, qui sache coudre, cuisiner, faire le ménage, mais surtout, ouvrir la porte et supporter mon caractère. Il me faut une portière. Je note pour plus tard : mettre une annonce à la mairie. Mon aparté terminé, un claquement sec des mains ramène l'attention des quatre hommes sur moi.


Arctor, je vous verrai plus tard pour les travaux. Pour le moment, débrouillez-vous, et déballez tout à votre idée. J'ai des lettres à écrire.

Sans plus attendre, je traverse la maison et entre dans le jardin en friche, découvre un banc de pierre moussu et m'y installe avec mon écritoire portatif, cadeau de ma soeur. C'est d'ailleurs à elle que je vais adresser la première de mes lettres de Guyenne. Auparavant, je sors celle que j'ai reçue ce matin et la relis en souriant.

Citation:


Mimizan, en face du port, le 11 juin au soir

Istanga,

Nous sommes bien arrivés à destination.
Ce matin, Enored nous a présenté notre future demeure. Au rez-de-chaussée, son auberge irlandaise dont je n'ai point encore retenu le nom. La batisse permet de loger toute la famille et nos alliés aux étages. Il va de soi qu'une place vous y est reservée pour toi et Darius lors de votre prochaine visite.
A moins que ce ne soit moi qui vienne en premier.
J'oscille toujours entre plusieurs idées entre lesquelles il me faudra faire un choix.
La Gascogne est une terre prometteuse. Les possibilités sont légion. Dois-je m'engager dans la vie publique ou est-ce le temps pour moi de me cantonner à la simplicité ? Cette dernière alternative m'ouvre la porte de la liberté et de la tranquillité d'esprit. Je laisserai le destin en décider, c'est à dire que je m'en remets entièrement à la succession des événements sans tenter d'en influencer le cours.
Cette option fataliste devrait plaire à Darius. Comment va-t-il au fait ?
Est- ce que votre installation à Montauban se déroule bien ? Que se passe-t-il dans ce duché qui t'a décidé à t'y établir ?
Je me réjouis d'avoir de tes nouvelles. Les autres aussi bien sûr mais je déplore de voir peu Samuel et notre irlandaise a son humeur des grands jours ... tous les jours.
Je mets ça sur le compte des effets de cette satanée guerre.

N'oublie pas que j'ai chez moi des denrées et des écus qui te reviennent de plein droit. je les garde dans un coffre sécurisé le temps que tu voudras.

A bientôt,

Flore


Je n'ai plus de parchemin, mais j'ai patiemment gratté l'encre de ceux sans intérêt, que je gardais par avarice sans doute, et je puis ainsi rétutiliser à loisir la peau, en développant mes arabesques qui recouvrent la médiocrité des mots écrits par des médiocres, de ceux que j'ai bannis de mes souvenirs.

Citation:


Le 15 juin à Montauban, de bon matin,
Sur un banc moussu, non loin de ceux qui ont accepté la mort.

Ma Flore, ma Gol,

Il faudra qu'un jour je te parle des pigeons. Mais un autre jour...

Je suis heureuse que tous soyez arrivés à bon port et prêts à vous lancer dans la Gasconnattitude. Même si tu t'encroûtes en te laissant vivre, je viendrai un jour t'y chatouiller les pieds.

Pour Darius et moi, tout roule comme je l'aime. Je vais de découverte en découverte.

En parlant de découverte, j'ai trouvé une grosse bâtisse, dont le responsable du Cadastre m'a accordé l'usufruit. Ubik est arrivé avec mes malles et mon mobilier, sans oublier Anahita et Mithra que j'ai retrouvées avec un plaisir mitigé. Donc cette demeure est apte à accueillir mon petit monde, et je laisserai une chambre à ta disposition.
J'ai choisi un endroit relativement cossu mais surtout très calme, sans voisins susceptibles d'être gênés par la vue des panthères ou la musique.

Eh oui! la musique! J'ai en effet décidé d'ouvrir un conservatoire de musique orientale. Ce n'est qu'un prétexte, tu t'en doutes, mais je t'exposerai mes projets de vive voix. Car nous nous verrons bientôt, n'est-ce pas?

Au fait, tant que j'y pense! J'ai décidé de confier Darius à un précepteur, Zarathoustra. Je l'ai rencontré à l'église de Montauban, alors que nous consultions un placard annonçant l'excommunication de Sancte. Tu t'en doutes, Darius m'a assaillie de questions, l'homme a entendu et nous en sommes venus à discuter. Je l'ai invité à passer chez moi.

Sinon, que dire ? J'ai un peu fouiné, tu me connais... et leur concordat est tout aussi inacceptable que celui de Provence. Quand même, ne trouves-tu pas abusif ce poids de l'église sur les affaires politiques? En tout cas, moi je dis non, non et non au Service du Baptême Obligatoire qui me renvoie l'image d'un Dieu aux yeux bandés qui accepterait en son sein une armée d'hypocrites en mal de pouvoir. C'est pas beau la vie?

Et aussi... il faut que je te dise... Sancte se présente à la mairie de Montauban. A cette annonce, je me suis fendue d'un large sourire, tu peux me croire! Je ne puis m'empêcher de faire la relation entre la mystérieuse fleur que nous avons découverte, mon désir soudain de m'établir en Guyenne et cette candidature. Ne dirait-on pas que le destin a guidé mes pas en ces lieux?

Je vais m'arrêter là pour le moment, mais ne t'inquiète pas : rien au monde ne pourrait m'empêcher de donner de mes nouvelles à ma petite soeur.

Si j'avais du gruau sous la main, j'inaugurerais le lancer de gruau par pigeon, mais ... je crois qu'ça va pas être possible. Mais je te promets de dédier une pièce de la maison à la bataille de gruau.

Haut les coeurs! Je t'embrasse.

Istanga

Oh! j'avais oublié les denrées et les écus! Quand je pense que certains me disent vénale... Garde les donc pour moi et si tu en as besoin, n'hésite pas à te servir.


La lettre n'est pas urgente : un pigeon normal suffira. Il n'est point besoin d'user la patience de Dieu en abusant de ces pigeons nourris au Super-son. De plus, cela m'évite de perdre mon temps en recherches infructueuses pour trouver un prêtre acceptant de bénir un pigeon supersonique.

Le banal emplumé lesté envolé, ne me reste plus qu'à rédiger une annonce, écrire à Alexandra, à.....

On verra plus tard. Je suis bien, là.

_________________
C'est toute l'histoire de ma vie.
--Ubik


Quoi? Bob, l'éponge d'Istanga?

Robert se sentait très vieux, ce matin là. Il était arrivé la veille, tout heureux d'enfin arriver à destination, car le voyage avait été tendu. Malgré les autorisations reçues, il n'avait pu empêcher la peur de le gagner en traversant le Languedoc. Après avoir supporté l'ambiance provençale, devrait-il maintenant risquer sa vie à escorter des meubles?

Fort heureusement, aucune anicroche et son plaisir fut à son comble ce matin, lorsqu'il aperçut Istanga, flanquée de Darius, qui l'attendaient. Mais le plaisir s'était mué en hébétude après quelques heures passées à écouter les élucubrations de son amie. Cette manie de la digression qu'elle possédait au plus haut degré lui faisait perdre tous ses moyens intellectuels. Il savait parfaitement qu'elle le moquait, avec son amie Enored. Elles l'appelaient le cerveau lent. Un jour, il leur montrerait sa valeur.

Pour l'heure, il s'évertuait à trouver un sens à la conversation qu'elle lui servait depuis l'aube, où il était vaguement question de musique et de pigeons supersoniques, en passant par la création d'un poste de guette au trou.
C'est donc avec un soulagement visible qu'il s'entendit donner l'ordre de tout déballer, tandis qu'elle s'isolait pour écrire.

Il donna ordre à Thot et Harris de décharger les quatre carrioles, rien que ça, qui débordaient de toutes parts, prenant soin lui-même, aidé de Darius, de prendre en charge les malles contenant le plus précieux des contenus : les livres et manuscrits de toutes sortes qu'Istanga avait rapportés de ses pérégrinations en Orient. Elle n'avait pas rapporté que ça, d'ailleurs! Lingots de métaux précieux, cornes de rhinocéros, sachets de musc, pierres de jaspe, pièces d'étoffes appelées thargou qui se fabriquent avec la laine des chameaux blancs, et dont il se demandait encore ce qu'elle comptait en faire, figuraient également dans l'inventaire qu'il serait fastidieux de dérouler ici..

Même si elle lui coupait souvent ses moyens, Arctor n'en demeurait pas moins admiratif devant celle qui était devenue son amie.

*C'était, à n'en pas douter, une femme généreuse malgré ses accès colériques, aux idées élevées, emplie de grandeur d'âme et qui considérait ce monde comme un atome de poussière flottant au centre des autres planètes, ou plutôt comme un simple point imperceptible parmi les autres points de l'espace.
Elle aurait voulu que sa maison soit le lieu de rendez-vous où se rencontreraient les gens de mérite et où accourraient sans cesse les représentants de la science et, malgré les coups de la Fortune qui en auraient abattu plus d'un, elle possédait encore de tels trésors que même les ambitions les plus vastes n'auraient pu en espérer de pareils dans les circonstances les plus favorables. *

Il espérait de tout coeur que sa volonté soit faite comme elle l'entendait.


* Passage tiré de "Histoire du sultan Djelal-ed-Din Mankobirti, prince du Kharezm"
Auteur : Moḥammad ibn Aḥmad ʿAlī al-Nasawī, Chihab al Dīn


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Fonce Hasselhoff !
Zarathoustra
Dis-voir, gamin, le quartier d'Oane Vira, tu connais?

Après avoir passé les remparts, Zarathoustra n'était plus très sûr du chemin à prendre. Aussi avait-il interpelé un morveux des rues, qui lui répondit sans hésiter, en pointant un doigt vers l'autre rive.

Ouais, c'est le quartier des rupins. Vous passez le pont et c'est tout de suite à gauche, pouvez pas louper.

Le scribe voulut s'engager sur le dit pont, mais le gamin lui barrait opiniâtrement la route. Après avoir hésité à lui envoyer un coup de pied au cul pour voir s'il pouvait traverser sans l'aide du pont, il se dit que ce n'était pas très éducatif. Il lui tendit donc un écu, que le mioche lui arracha avant que de s'éloigner gentiment.

Radin.

Il traversa donc le pont et observa la rivière dont le cours devait être docile, puisque il n'observa point les ladreries qui pullulent habituellement dans les zones inondables, mais des maisons bourgeoises, mais des parcs entretenus.

La! Le Coq Hardi. Il n'était plus très loin.

38. Il y était. Il cogna l'huis par trois fois, et clama:


Ho la maisonnée, c'est Zarathoustra.

Sous son bras, quelques livres.
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Eins thut Noth.
--_darius
Aujourd'hui, Darius a retrouvé son âme de sale mioche et, depuis plus de deux heures, a épuisé toute la patience de Robert et Istanga. Il court à travers la maison en poussant des cris d'orfraie, recouvert d'un thargou et brandissant le précieux exemplaire d'une traduction de l'Avesta.

Il est interdit de pisser dans la rivière! beugle-t-il à tout va, lorsque des coups frappés à la porte lui font faire demi-tour et se précipiter pour ouvrir.

Devant lui, le bonhomme marrant à qui Istanga a demandé de venir pour parfaire son éducation. Celle-ci étant quasiment inexistante, le précepteur aura du travail...


Salâm! Entrez, m'sieur! Je vais chercher Istanga. Laissant l'homme en plan, il repart en hurlant.

Istangaaaaaaaaaaa! Iléla, iléla! Istangaaaaaaaaa!

Evidemment, Istanga a entendu et arrive affolée.

Oh! Mais que.... Darius! File t'habiller convenablement, et ne touche pas à ça ! crie-t-elle en lui retirant brusquement le précieux ouvrage des mains.

Elle se tourne, rougissante, vers Zarathoustra.

Veuillez nous excuser! Tout est en désordre et Darius s'ennuie tellement qu'il nous fait la vie impossible. Mais suivez-moi au salon. On pourra au moins s'installer sur le sofa.

Elle l'entraîne dans une pièce et, lui indiquant des coussins posés au sol :

Asseyez-vous. Désirez-vous boire une boukhra?
Zarathoustra
La paix à toi, mon petit. Va, va donc.

Il jeta un regard furtif mais attentif au bouquin que trimballait le gamin, duquel lui venait son nom, et le peu de doutes qu'il avait se dissipa quant aux origines de ces deux néo Montalbanais. Il suivit son hôte et ne se fit pas prier pour s'installer confortablement.

Volontiers.

Il ne savait pas exactement ce que c'était qu'une boukhra, bien qu'il en eut vaguement entendu parler de la bouche de frères Réformés revenus de pèlerinage en Andalousie.

Il décida de ne pas attendre plus avant pour rentrer dans le vif du sujet.


Je n'ai pas de certificat en bonne et due forme attestant de ma capacité de précepteur, si tant est que la chose existe, comme pour le vin ou le fromage. Il vous faudra me faire confiance ou vous passer de mes services.

A vrai dire, j'ai bien pensé à produire un faux, comme à chaque fois que l'on me demande un papelard. C'est un réflexe. Mais l'envie de me payer votre fiole, comme on le fait d'un douanier ou d'un fonctionnaire par trop zélé, n'y était pas.

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Eins thut Noth.
Istanga
Un bon point pour lui, il a accepté l'alcool de figue sans poser de question. Il connaît donc la boukhra, preuve de sa curiosité, tout au moins pour les alcools et spiritueux. Je gage que le spirituel suivra, quand bien même aucun certificat ni aucune lettre d'accréditation ne me soit présenté.

Et puis, à vrai dire, j'aime bien sa franchise.


Si vous aviez produit un faux, je l'aurais sans doute remarqué, ou pas. Je n'attache de toute manière aucun crédit à ces documents. Je pense être capable de juger un homme sans avoir une armée de moutons qui me bêlent ses louanges...

Je l'examine un instant et reprends :

Si vous pouviez commencer tout de suite, cela m'arrangerait. Cela arrangerait tout le monde d'ailleurs ici. Vingt écus la journée, un repas et du vin à volonté. Si cela vous convient, j'appelle Darius.

Je n'attends pas la réponse, puisqu'il est venu avec des livres sous le bras, c'est qu'il a bien l'intention d'accepter. Et puis, n'est ce pas lui qui me l'a proposé?

Darius! Viens ici!

Je me tourne vers Zarathoustra.

Par quoi allez-vous commencer?
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C'est toute l'histoire de ma vie.
Zarathoustra
Fort bien. J'imagine que le petit sait lire? Il semble bien qu'il soit même familier des ouvrages religieux. C'est tant mieux.
Rhétorique, religion, et politique, constitueront l'essentiel du programme accéléré que je vous propose. Ainsi, qu'un minimum de connaissances militaires, qui gageons-le, lui seront utiles.

Bien que j'écarterai la scolastique, domaine en désuétude auquel s'accrochent encore quelques bigots, cet enseignement s'appuiera sur des lectures, mais aussi et surtout sur des exercices pratiques, pour lesquels il sera nécessaire de sortir se confronter au monde. On ne forme dans un bureau confiné que des culs de plomb.

Pour le reste, les voyages et les choses de la vie achèveront de lui forger l'âme. pour les voyages, j'ai cru comprendre qu'il avait déjà donné. Pour les choses de la vie, il a l'âge de découvrir ça tout seul.

Il faut que vous sachiez que je suis ardent partisan de la Réforme de la religion aristotélicienne, et Républicain. Si je ne compte pas faire dans l'endoctrinement, il est fort probable que cela se ressente dans mes enseignements, ainsi que dans les choix des textes étudiés. Il faut familiariser la jeunesse avec le monde qui naît et non celui qui se meurt.


Il vida son verre qui lui chauffa quelque peu les tempes.

Je suis prêt à commencer, le plus tôt sera le mieux. Darius, qu'en penses-tu? Il te faudra de la patience, et de la tempérance. Beaucoup.
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Eins thut Noth.
--_darius
Darius a accouru à l'appel d'Istanga. Il a craché dans ses mains et les a passées dans ses cheveux pour leur donner tenue correcte. Il aurait volontiers pris un bain pour éliminer l'odeur de chameau qu'il lui semblait surprendre sur ses vêtements, mais pas le temps. La culture l'attend...

Evidemment que je sais lire! pense le gamin en écoutant le vieux. Mais il ne dit rien car la suite l'intéresse. Il ne restera pas enfermé, note-t-il avec jubilation.

Mais on s'adresse à lui... Réfléchissant à peine, le voila lancé.


De la patience, j'en ai, car je supporte l'intendant de maman qui veut m'imposer d'apprendre la science du bornage. Moi je veux étudier les étoiles, alors les bornes et les limites...

De la tempérance, je sais pas ce que c'est. Est-ce que ça veut dire que je n'aurai jamais le droit de boire de la boukhra?
J'en ai jamais bu, Istanga ne veut pas...

Moi je l'aime bien ton programme, même si tu n'enseignes pas les mathématiques. Mais Istanga le fait, elle. Même si elle m'apprend plutôt des poésies. Tu veux que je t'en récite une ?


La politesse n'étant pas le fort du gamin, il déclame sans attendre :

« Cette céleste Roue à nos yeux suspendue
Est lanterne magique étonnant notre vue.
Du milieu, le soleil éclaire la lanterne,
Et nous tournons autour, images éperdues. »


Un regard à Zarathoustra, et il ajoute :

C'est un mathématicien astronome de mon pays, Omar Khayamm. Il parle des planètes, et de nous sur la terre. La terre tourne autour du soleil, tu le savais?

La question n'est pas anodine. Darius a remarqué que la plupart de ceux qu'il avait rencontrés jusqu'ici étaient ignorants de ce fait, et considéraient Istanga et Darius comme des illuminés, au mieux.

De cette réponse dépend la confiance qu'accordera ou non Darius à Zarathoustra et son enseignement.
Zarathoustra
Te voilà bien sûr de toi, Darius, en ton impétueuse jeunesse. Et voilà une belle strophe. Mais pour ma part, j'écoute la parole d'Aristote notre prophète, que la bise du printemps éternel lui caresse la barbiche en un harmonieux balancement, qui dit qu'autour de la Terre tournent les astres, et cette circonvolution parfaite est signe de la Création Divine.

Et moi aussi, je connais des poésies. Ecoute plutôt.


Et il déclama à son tour, avec emphase.

Hommes faillis, bertaudés de raison,
Dénaturés et hors de connoissance,
Démis du sens, comblés de déraison,
Fous abusés, pleins de déconnoissance,
Qui procurez contre votre naissance,
Vous soumettant à détestable mort
Par lâcheté, las ! que ne vous remord
L'horribleté qui à honte vous mène ?
Voyez comment maint jeunes homs est mort
Par offenser et prendre autrui demaine.

Chacun en soi voie sa méprison,
Ne nous vengeons, prenons en patience ;
Nous connoissons que ce monde est prison
Aux vertueux franchis d'impatience ;
Battre, rouiller pour ce n'est pas science,
Tollir, ravir, piller, meurtrir à tort.
De Dieu ne chaut, trop de verté se tort
Qui en tels faits sa jeunesse démène,
Dont à la fin ses poings doloreux tord
Par offenser et prendre autrui demaine.

Il s'agit de François Villon, pour certains homme de lettre, simple ribaud pour d'autres. Il dit qu'en matière de sciences, il se faut méfier des certitudes. Aussi n'en ai-je trop, et il me faudra plus qu'un poème pour me convaincre contre Aristote et Averroes, que sonnent pour leurs grâces les mille cloches de Babyloane. La science est une chose, la foi en est une autre.


Il fit claquer ses ouvrages en les déposant sur la table.

N'essaierais-tu point de précepter le précepteur? Il te faut faire preuve de discipline, et savoir que les divers trous que Deos a fait pour nous dans nos têtes sont constitués de manière telle que l'on ne peut écouter et parler en même temps.

Zarathoustra trouvait que ça partait assez mal. Il s'adressa à la maîtresse de maison.

Il semble qu'il ait été déjà instruit, et de bien exotique manière. Je me demande s'il n'est point trop tard, pour qu'il puisse assimiler une éducation aristotélicienne. Je reprendrais bien un verre.
_________________
Eins thut Noth.
Istanga
J'apprécie à sa juste mesure le programme éducatif destiné à mon diable de beau-fils, en accepte les termes d'un signe de tête, tandis que Darius prend la parole.

Je l'écoute amusée, le digne fils de son père, mais Zarathoustra, au vu de sa mine, ne semble pas goûter les prétentions scientifiques de Darius. Je sens comme une connotation méprisante dans sa manière de suggérer que l'éducation du gamin est sujette à caution.

Je décide pourtant de ne pas réagir de la façon épidermique qui m'est coutumière, et laisse couler. J'ai tout de même apprécié le poème de Villon, ce brigand poète dont le timoré Arctor m'avait entretenue, et me dis que ce n'est pas de sitôt que je trouverai quelqu'un prêt à partager son savoir avec ce sale mioche!

D'un geste brusque, je sers une boukhra au précepteur, en grondant à demi :


Qu'y puis-je, moi, à son éducation exotique? Je ne suis qu'une femme, après tout! Comment voulez-vous que je canalise la verve et l'autosuffisance de ce jeune homme? Son père était un astronome de renom, ainsi qu'un grand mathématicien, mais a laissé de côté l'éducation religieuse de Darius. De même que la politique.

Un peu agacée, je me sers un verre également, que j'avale d'un trait avant de reprendre :

Et c'est bien pour cela que je vous ai engagé! Mais si vous ne vous sentez pas de taille, dites le moi tout de suite.
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C'est toute l'histoire de ma vie.
Zarathoustra
Zarathoustra décida de s'arrêter au second verre, car il commençait à être ivre.

Allons! Il faut plier le bois quand il est encore vert. Nous allons commencer sans plus tarder.

Puis, en aparté, il s'adressa à Istanga.

Je vous serais tout de même reconnaissant de me mettre à disposition, si le pouvez, quelques ouvrages résumant les thèses essentielles de .. ces poètes mathématiciens astronomes, que je me fasse une idée de l'éducation reçue par votre garnement. Etaient-ils averroistes? Nous gagnerions ainsi un temps précieux.

Et aussi, pour sa propre curiosité, mais il le tut.

Darius, assieds-toi-donc. Que sais-tu des prophètes Aristote, Christos et Averroes?
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Eins thut Noth.
Istanga
Je soupire de soulagement à sa réponse. Lorsqu'il me prend à part pour m'exposer sa demande, je hoche la tête en signe d'assentiment, et lui réponds de même :

Darius vous a cité Omar Khayyam. C'était un esprit lucide qui méprisait les balivernes sacerdotales et qui, pour vivre en paix, avait adhéré au mysticisme des Soufis.C'était également un ivrogne blasphémateur.
Dans ses Quatrains, il s'élève contre les impostures, qu'elles soient de nature religieuse ou politique. Je ferai préparer quelques livres par mon intendant à votre intention.


Je me lève, tandis que Darius s'est assis et se prépare à répondre à Zarathoustra, et me prépare à quitter le salon pour me rendre au jardin. Quelques lettres à écrire et à lire, au calme.

Bien, je vous laisse à votre élève. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, demandez à Darius.
Quant à toi!
Je me tourne vers mon fils d'adoption. Si tu veux qu'on te considère comme un homme, conduis toi comme tel et cesse tes fanfaronnades! Tu as tout à apprendre avant de prétendre tout savoir et comprendre.

Satisfaite de ma tirade, je me retire.
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C'est toute l'histoire de ma vie.
--_darius
Darius a écouté sans broncher, se mordant la lèvre pour ne pas interrompre son précepteur. Il prête toutefois l'oreille aux vers de Villon et malgré son ignorance de la signification de quelques mots, n'en est pas moins touché par l'intensité ainsi déclamée par Zarathoustra.

Il retient même un ricanement en voyant Istanga s'agacer de l'affront bien léger que lui fait le précepteur en qualifiant son éducation d'exotique.

Levant les yeux au ciel, il subit la remontrance sans rien dire, lui réservant un chien de sa chienne pour plus tard. Pour l'heure, il doit répondre.

Ces trois hommes sont des prophètes.
Le premier c'est Aristote le Barbu, qui n'est pas doué en astronomie, le second, c'est Christos. Et le curé de Marseille m'a dit que c'est à cause de Christos que les prêtres n'ont pas le droit de se marier.
Moi je crois que c'est une invention des papistes.
Et ça c'est pas moi qui le dis, ni le curé de Marseille, c'est Istanga. Mais je ne sais pas ce que c'est, un papiste. Mais je crois Istanga.
Sinon, le dernier, c'est le plus jeune. Averroës.
C'est lui le plus malin. Il a repris les idées des deux premiers et les a améliorées. C'est celui que je préfère, mais Istanga dit que je n'ai pas le droit de le dire.


Il se tait alors, fixant son précepteur droit dans les yeux.
Toth, incarné par Istanga
Toth représentait la mort de la virilité. Tout en lui n'était que douceur, sourire et séduction. Ses traits d'une finesse exquise auraient fait pâlir de jalousie toute jeune fille à l'entour. Il prenait malin plaisir à en exalter la féminité en se fardant à la manière des "compagnons" du grand mais pitoyable Alexandre, et adoptait maintes mines effarouchées ou séduisantes, mimant ainsi les attitudes de toutes les femmes qui croisaient son chemin. Il était en quelque sorte un ethnologue et s'attachait à reproduire certains comportements féminins placés dans des situations inhabituelles.

C'est pourquoi lui fut dévolu le rôle essentiel de recruteur. Il allait se constituer un fichier de toutes les ressources humaines de Montauban. A terme, il devrait concocter un questionnaire dans lequel multiples choix seraient offerts en réponse à une situation donnée. Il était certain que cette méthode lui permettrait de trouver la candidate idéale au poste de portière.

C'est alors qu'il commençait à s'installer dans un état propice à sa réflexion que la Directrice des Opérations choisit de faire son apparition, créant ainsi un énorme gouffre entre la communication réfléchie et l'engueulade caractérisée.


Dites donc, Toth! Au lieu d'user votre temps imparti à la vie à rêvasser, employez le plutôt à me trouver une employée. Vous vous souvenez? Une portière! Et que ce soit rapide!

Un vent brûlant effleura le visage de Toth, rosissant délicatement son teint et amenant des larmes dans son regard. La honte d'être ainsi incompris, lui qui attachait pourtant une importance capitale à sa mission! Voulant sauver la face, il sourit finement et lui lança :

Peut-être que Môôdame fait peur aux gens du cru! Peut-être que si Môôdame promenait son cul dans les tavernes, elle trouverait l'oiselle rare! Parce que si vous ne me laissez pas faire mon travail comme je l'entends, il vous faudra en arriver à cette solution!

Istanga en resta coite, pantoise, bouche ouverte en un O parfait, les épaules lui en tombèrent. Scotchée pour de bon. Il lui fallait se ressaisir, coûte que coûte. Mais elle ne pouvait pas. Aucun mot ne sortait de sa bouche. Lessivée qu'elle était : mais pourquoi tant de haine.
Enfin, aux termes d'insupportables essais pour ne plus ressembler à une carpe sortie du marécage qu'elle n'aurait jamais dû quitter, fusa la réponse assassine.


Si vous l'dites!


L'affaire était close. Le valet avait abattu la dame, mais celle-ci ne le savait pas.
Zarathoustra
[Là ou ça précepte dur]

Je vous remercie.

Zarathoustra écouta la réponse de l'adolescent en silence, puis hocha la tête.

Tu n'as pas le droit de le dire, car c'est un blasphème, et il faut craindre le Très Haut, et ne craindre que Lui.

Ces trois prophètes, que leurs noms soient mille et mille fois loués, sont les envoyés de Dieu. Comment se pourrait-il alors que l'un dépasse les autres en quoi que ce soit? Représente-toi un tabouret à trois pieds, tels sont les trois prophètes pour la foi des hommes. Que l'on en enlève un, et nous voilà le nez par terre, comme les Romains, qui se cachent la vérité en ne voulant reconnaître Averroes comme prophète, car on ne saurait asseoir sa religion sur une foi bancale.

Que l'on en agrandisse un des pieds du tabouret, et nous voilà dans une position très inconfortable, tout de travers, imagine-toi un peu. Telle est la foi des Averroistes. Reconnaître pour tels les trois prophètes, ce sont les bases inébranlables d'une foi solide, et la vraie conduite du bon Aristotélicien.


Il attrapa l'un des livres de la pile qu'il avait amenée.

Attends donc un peu avant de juger l'aptitude d'Aristote, jeune fougueux. Et cesse donc de blasphémer à tout bout de champ. Sache qu'(il a vécu il y a de nombreuses et nombreuses lunes, de beaucoup plus de lunes que tu as de poils au menton.

Sache qu'avant lui, l'on affirmait à tout bout de champ que la terre était plate, toute plate, comme une table.


Il ouvrit le livre dont il s'était saisi.

Ouvre donc bien grand tes lusitanes, il s'agit d'un passage de la Vita d'Aristote.

Citation:
Par un jour sans nuage, Aristote avait convié ses disciples à admirer la voûte céleste. Tous s’émerveillaient de la beauté des astres, brillant comme des flambeaux sur un ciel d’encre. Le maître montrait à ses élèves comme les étoiles ont un mouvement caractéristique. Mais certains commençaient à avoir froid et voulaient rentrer se coucher.

Sargas : "Maître, ne serait-il pas plus profitable pour nous de discuter et d'étudier plutôt que de paresser ainsi dehors ?"

Aristote : "Ainsi donc, tu penses que nous paressons. Ne crois-tu pas que les sphères célestes soient les choses les plus parfaites qui existent ?"

Sargas : "Je ne sais pas."

Aristote : "De quelle manière se déplacent les astres, dis-moi ?"

Sargas : "Maître, ils se déplacent en cercles, fixés qu'ils sont sur des sphères cristallines et transparentes."

Aristote : "Bien. Et la Terre, quelle est sa forme ?"

Sargas : "L'observation des étoiles lors d'un voyages ou d'un bateau à l'horizon nous montrent qu'elle est ronde."

Aristote : "Ainsi donc tu écoutes fidèlement mes leçons. La Terre est sphérique, et le ciel se compose de sphères supportant les astres. Le cercle et le mouvement circulaire sont partout. Or quel mouvement est plus parfait que le mouvement circulaire ?"

Sargas : "Aucun maître, car il se suffit à lui-même et traduit la continuité. Le mouvement circulaire est le mouvement parfait par excellence."

Aristote : "Or un mouvement parfait ne peut être produit que par une puissance parfaite. Et la seule puissance parfaite, c'est Dieu ! Chers disciples, l'observation des cieux nous permet de comprendre comme sont bien agencées les sphères célestes. Et cette perfection porte la marque de Dieu."

Sargas : "Vous avez raison, maître, merci pour cette leçon."

Aristote : "Ne me remercie pas, remercie les astres ! Tiens, prend ces pièces et va nous cherchez un peu de vin chez Oinos"

Sargas : "J'y cours, maître"

Sargas revint avec du vin pour tous les disciples. Et ils restèrent encore un moment à contempler les étoiles.


Et qu'est-ce que tu dis de ça? Il te faudra t'imprégner de ces paroles, et lire souvent cet ouvrage. Je te le laisse, fais-en bon usage. C'est à dire pas pour caler une table, ou les foudres divines s'abattront sur toi sur le champ. C'tune façon de parler, mais fais attention quand même. Prends-en soin, il est imprimé de frais, selon les méthodes les plus modernes, qui permettent de reproduire autant d'exemplaires qu'il y a d'étoiles dans le ciel, et bientôt toute l'Aristotélité aura a disposition les Ecritures véritables.
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Eins thut Noth.
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