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[RP] Le Petit Conservatoire d'Istanga

Istanga
Le 13e jour

Nous sommes le 24 juin. Déjà 13 jours que nous avons élu domicile en Guyenne.
La matinée est calme : Darius s'est assagi et les leçons de son précepteur s'écoulent sans éclat de voix. Je vais en profiter pour mettre à jour mon satané journal, que j'ai quelque peu délaissé. Trop occupée à essayer mettre une certaine cohérence dans cette maisonnée, je me suis contentée d'y noter les banalités habituelles. Je prends ma plume et m'applique à combler les blancs laissés à l'exercice de ma mémoire.


Journal a écrit:


12 juin 1458
Nous avons emménagé. Ubik a ramené de Provence une partie de nos biens. Il devra y retourner.
Inventaire fait.


Je me lève et me dirige vers l'étrange meuble conçu par l'intendant, dans lequel il m'oblige à classer les documents importants. Je suppose que l'inventaire s'y trouve, cela s'avère exact. Je suis du doigt l'interminable liste sans y voir figurer le stock de parchemins et de précieux vélins dont j'avais pu faire l'acquisition aux termes de transactions acharnées.Il fera sans doute partie du second voyage.Ennuyée, je retourne m'asseoir et continue ma lecture.

Journal a écrit:


Envoyé Darius travailler à la mine.


Je souris. J'ai toujours considéré que, pour pouvoir changer les choses, il fallait les connaître. Si un jour Darius devient Commissaire aux Mines, il saura de quoi il parle. De même pour le travail aux champs, auquel je ne rechigne pas moi même de temps à autre.

Ainsi continue le journal. Je poursuis jusqu'à la journée du 15.

Journal a écrit:


15 juin 1458
Aujourd'hui, j'ai travaillé chez la Duchesse, mais je ne l'ai pas vue. J'ai gagné 18 écus.
J'ai eu des nouvelles de Kehl.


Un sourire à nouveau. C'est d'une manière peu commune, comme issue d'un autre âge, que ce message me fut porté. Le pigeon utilisé faisait partie d'une expérience dite "à l'aveugle" et n'a pu que voleter machinalement comme tout oiseau respectable, avant de s'abattre au pied d'un jeune gars noirci de suie. Le jeune ramoneur savoyard avait alors fait chemin vers Arles, ma dernière résidence, pour m'y porter le pigeon et les quelques lignes griffonnées rapidement par mon ami. Apprenant mon départ vers la Gascogne, il voulut m'y rejoindre mais s'égara du côté de Digne, ce qui lui valut d'être poursuivi par un méchant homme qui en voulait aux 5 malheureux écus que le gamin possédait.
En tout cas, je remercie cet homme qui a ainsi poussé le stupide ramoneur vers Montauban en lui faisant prendre ses jambes à son cou. Bref, le message m'avait été délivré, ce qui est somme toute le principal.

Je passe rapidement les journées du 16 et du 17, suffisamment renseignées pour en arriver au 18 juin.


Journal a écrit:


18 juin 1458
Ecrire à Kehl.
Darius à la mine.


Pas besoin de me lever cette fois. Il me suffit de tendre la main à droite de mon bureau, d'en ouvrir le tiroir toujours fermé à clé pour en sortir la copie de la lettre écrite ce jour-là. Mes gratte-papier ont bien travaillé à gratter l'encre d'anciens parchemins sans utilité autre que celle de servir de base à ma manie de la copie, manie inspirée de mon époux qui, au delà de sa mort, reste mon guide.

Copie a écrit:


De Istanga de Lendelin - Montauban - Duché de Guyenne
À Kehl Berger - Bourg - Duché de Savoie

Montauban, le 18 juin 1458

Cher Kehl,

C'est avec un plaisir non dissimulé que j'ai accueilli un emplumé porteur de vos nouvelles. Je reste toujours dans un grand émerveillement devant le miracle constant de la célérité et du flair de ces pigeons... Savez-vous que je songe fortement à faire reconnaître auprès des hautes instances toute l'importance de ces messagers inspirés par Dieu? Tout bon catéchèse se devrait d'intégrer cette notion à son enseignement de la foi, ne pensez-vous pas?

Donc, comme vous pouvez le constater, je vais bien et mon imagination folâtre n'a rien perdu malgré les blessures. Oui, je dis bien les blessures car, outre celle, bien physique, que j'ai reçue au combat, il en est d'autres qui restent inscrites et dont j'aurai du mal à me défaire. Le sentiment d'avoir été une fragile embarcation ballottée par les vaguelettes des traîtrises de tous bords. Il ne me reste plus que l'amertume d'une idée brisée, qui n'a même pas eu le temps d'émerger. Il ne me reste plus qu'un profond dégoût pour un pays que je croyais être mien.

Mais qu'à cela ne tienne, je m'en suis sortie et j'ai choisi la Guyenne et, plus particulièrement Montauban. Oh! Je vous vois déjà serrer les lèvres à l'évocation de Montauban, puisqu'ici demeure l'un de ceux qui sont vos ennemis. Donc Montauban, terre de réformés? Ceux-ci sont-ils vraiment les monstres qu'on se plaît à décrire? Je trouve en cette ville matière à discourir. On y entend maintes idées et opinions, les voix s'élèvent souvent, mais il y a de la vie ici. Comme nulle part ailleurs, de ce que j'ai connu. Sauf peut-être la Confédération Helvétique.

J'y pense... Pourquoi ne viendriez-vous pas me rendre visite? En observateur éclairé comme j'ai eu le plaisir de le constater? Et les contradicteurs sont toujours utiles, n'est-ce pas? Nous pourrions vous loger sans peine, je suis en passe d'ouvrir un conservatoire de musique orientale, dans une grande maison au bord du Tarn.
Je sais bien que ma démarche peut vous paraître pour le moins impertinente, mais je sais également que vous saurez me pardonner cet écart de conduite dû à ma trop grande franchise. Me taire n'a jamais été mon fort.

Avec toute mon amitié,
Istanga de Lendelin



Je la pose sur la table, sors du tiroir la réponse reçue quelques jours plus tard.


Kehl qui envoie une vraie lettre à Montauban, maintenant qu'il n'a plus besoin d'un pigeon medium pour trouver l'endroit a écrit:


Bourg, le 20 juin

Chère Istanga,

Heureux d'avoir de vos nouvelles. Montauban ne me donne pas de frissons, vous savez je ne suis pas aussi religieux que vous pouvez le penser. J'ignorais que les réformés s'étaient installés là-bas. Pour trouver des réformés, en Savoie nous avons Genève, c'est beaucoup plus prêt !

Bref. Je suis soulagé que vous ne courriez plus les risques que vous courriez dans le pays des félons. Les autres anciens loyalistes sont-ils aussi à Montauban, ou se sont-ils installés ailleurs en France ? Pour ma part, je n'ai aucun respect des gens qui vivent en Provence, mais je suis convaincu d'avoir été utilisé par l'empire. C'est moins dramatiques que vous, puisque je n'ai pas du m'exiler dans un autre pays, mais c'est quand même frustrant et assez proche de ce que vous éprouvez visiblement. La situation est assez regrettable, mais c'est en se trompant qu'on apprend, d'un autre côté. Aujourd'hui la Savoie se remet de l'état dans laquelle la guerre l'a laissée, et nous espérons en faire un duché fort, grâce à notre seule volonté, puisque les éléments ne nous sont pas favorables. Nous appartenons toujours à l'empire et nous ne le quitterons j'espère jamais, mais nos "frères impériaux" n'ont plus du tout la même image, étant donné l'attitude qu'ils ont eue. Nous avons aussi eu quelques soucis avec les autorités du Lyonnais-Dauphiné, en rentrant chez nous. La Provence a trempé notre caractère, mais elle nous a aussi fait considérer nos voisins différemment.

J'ai entendu des rumeurs selon lesquelles le duc de Savoie envisageait d'inviter les anciens loyalistes provençaux pour une cérémonie en Savoie, pour leur rendre honneur. Vous vous souvenez sans doute de lui : c'est Pardalis, le vicomte qui dirigeait ma lance à Arles. Si cette rumeur est vraie, et que vous y répondez favorablement, ce sera un plaisir de vous voir à nouveau. En tant que membre de la Compagnie de Saint Maurice, il ne nous est pas formellement interdit de quitter la Savoie, mais si nous ne la quittons pas c'est bien vu, donc je ne pense pas pouvoir me rendre en France, surtout dans une région aussi éloignée que la Guyenne. Si la situation évolue je vous tiens au courant, ce serait une joie d'aller dans votre pays, et les débats m'attirent plus qu'ils ne me repoussent, comme vous le savez.

Toutes mes amitiés,

Kehl Berger



Je prends plaisir à la relire. Je souris quand même en me demandant ce qu'il penserait de moi s'il savait que j'ai voté pour Sancte. Sans doute son ton se durcirait-il? Peut-être pas... Mais je n'ai pour le moment aucune envie de le crier sur les toits.

Et puis j'en ai assez d'être enfermée. J'opte pour une sortie vers le marché. L'on m'a rapporté que Meimonides, boucher de son état, vendait sa viande au prix dérisoire de 17 écus et deux deniers. J'espère que ce n'est pas de la carne.

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C'est toute l'histoire de ma vie.
Istanga
Paisiblement étendue sur un voile arachnéen, je souris à la vie lorsque fusent vers moi, soufflant leurs haleines puantes, Trichelieu l'archevêque sodomite, flanqué de l'insane Rehael. Pour le coup, le réveil est difficile, et je tombe de mon sofa.

Hargneuse, je le suis. Et pour longtemps. L'annonce de la nomination au poste de Connétable des Saintes Armées de cet imbécile patenté et patelin de Rehael a hérissé ma peau de picots empoisonnés. Porc épic je serai. Epique, sûrement pas. J'en ai soupé des guerres.

Et puis, j'ai reçu une lettre de ma soeur. Je suis heureuse des nouvelles qu'elle me donne, mais ai le coeur serré à l'idée qu'elle se fasse baptiser. Bon, c'est vrai, elle va aussi se faire anoblir. Par notre cousin Deubs. Je suis curieuse de voir cette cérémonie de près. Et elle me racontera son voyage en Espagne.

Tout compte fait, une humeur plus sereine me revient. Je vais bientôt revoir Flore.


Darius! Prépare tes bagages! Nous allons chez ma soeur en Gascogne!
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