Zazanilli
Cette affaire l'avait ruinée. Déjà qu'elle n'était pas bien riche... Mais elle l'avait si bien planifiée en Aztéquie -il n'y avait là-bas que ça à faire- qu'elle se devait de la conduire à bien. Histoire de pouvoir se dire qu'elle n'avait pas passé ces semaines à ne rien faire, hormis éviter les sujets fâcheux avec Géricault, et prendre un calpulli.
Budget restreint implique moyens restreints. Les annonces détaillées qu'elle s'était imaginées s'étaient donc réduites à quelques mots (économie de parchemin !) et le vieil homme pouilleux qu'elle avait envoyé en Occident promulguer la nouvelle n'avait certainement pas les qualités d'un vaillant messager, mais il ferait l'affaire.
Pour l'Orient, son choix s'était arrêté sur un gamin crasseux à qui les quachtlis feraient grand bien, et qui s'excitait à l'idée de parcourir la province en distribuant donc les petites bouts de papier, sur lesquels on pouvait lire :
Citation:On recherche !
"Un gars bien".
Contacter Zãzanilli.
La jeune fille avait donc fabriqué une sorte de table branlante -un chef d'uvre !- ainsi que trouvé une caisse qui ferait l'affaire de siège. Installé le tout en place principale, elle était prête.
- S'cusez ma p'tite, vous gênez, vous et votre barda !
Elle se retourne, plante ses prunelles noires dans ceux de l'inconnu qui l'interpelle, et d'un ton très convaincu :
- J'ai payé ma place, triple idiot de pécari rasé ! Va t'plaindre au calpulli, si ça t'déranges ! J'bougerai pas d'un poil de moustique !
Zãzanilli est une menteuse très douée. Se désintéresse de l'homme qui la regarde maintenant l'air ahuri, pour chercher des yeux la gosse, celle pour qui elle fait toute ces histoires. Ah, la voilà.
- T'as préparés tes poux ? On en donne à ceux qu'ont pas l'air trop timbrés, histoire qu'ils aient pas trop peur de nous - si, il parait que j'fais peur -, on sait jamais.
Bon, t'es prête ?
La jeune fille s'éclaircit sa voix, avant de tenter de se faire entendre des gens qui passent.
- Ho ! Hum. Ho !
J'suis Zãzanilli. Oui, celle des p'tits papiers, celle-là même, oui, c'était une merveilleuse idée que ces annonces, je sais !
Donc, j'cherche une sorte de "Gars bien", voilà. Capable de supporter la gamine que voici. Elle désigne la petite. Travail rémunéré !
C'est elle qui payera... Si elle trouve l'homme qu'il faut ! Elle a, dans le ciboulot, une liste de questions in-dis-pen-sa-bles auxquelles les prétendants au poste se devront de répondre, pour les départager... Mais départager un groupe à l'effectif inférieur à un consiste en une tâche assez ardue. Parce que pour l'instant, elles n'ont guère de succès.
La Décap' se retient d'insulter ceux qui la regarde fixement sans se décider à lui parler, opte plutôt pour un chuchotement à l'oreille de la Prunette :
- Si on s'met à danser, ça va en attirer, t'penses ?_________________
Prune
Tri d'poux.
Boîte numéro 1, check. Boîte numéro 2, check. Boîte numéro 3... Check ! De la boîte avec les poux vivants près à être tués, en passant par ceux tués près à être caramélisés, puis ceux caramélisés tout court, Prune est organisée et ca s'voit. Mais n'ayez crainte, c'est seulement la dernière boîte qui sera mise à disposition, celle prête à être présentée aux n'oeils des gourmands et portés à leurs bouches. Quoi que Prune les aime nature. Toute façon, c'est son sang qu'elle mange, avec en bonus, des protéines. Son élevage la nourrit, pas entièrement, mais grâce à celui-ci, elle a pu survivre, une fois, y'a longtemps.
Ca s'reproduit vite ces bestioles, ca démange, ca gratouille, ca chatouille et ca pique parfois. Ils viennent se loger juste derrière les n'oreilles, au niveau de son occiput, de sa nuque, vers ses tempes... Mais chez Prune, vu qu'elle a une tignasse pas possible et que c'est un élevage, ben elle a permis le logement sur toute sa tête.
- T'as préparés tes poux ? On en donne à ceux qu'ont pas l'air trop timbrés, histoire qu'ils aient pas trop peur de nous - si, il parait que j'fais peur -, on sait jamais.
Bon, t'es prête ?
Prunette pose sa boîte numéro 3 en évidence et écrit une petite pancarte qu'elle met devant.
Citation:PoUs. pour mangé si vous avé fin.
Fière de sa petite pancarte, elle sourit à sa Décap'. Oué, j'suis prête !
Elle avait fait attention de se laver la figure avant de venir, parce que la route ça fait de la poussière et pis la poussière ça se colle sur la figure et pis oui, c'est sale. Mais bon, ca aide à bien s'camoufler quand on est sur les ch'mins. Surtout la nuite. Et pis sans la crasse, ca fait ressortir ses n'oeils marrons, nickel pour séduire.
Se tenant droite, ses p'tites mains dans l'dos, elle attends en se balançant doucement d'avant en arrière en souriant et clignant des n'oeils aux inconnus qui passent.
Un pou, t'y veux ? Gratos ! Gratos qu'il est mon pou caramélisé !
Puis à d'autres :
J'suis la reine des poux caramélisés, t'y veux pas m'épouser ?
Prune se marre intérieurement en voyant la tête des gens, mais tente de rester impassible au dehors. Oui, c'est du sérieux.
[...] j'cherche une sorte de "Gars bien", voilà. Capable de supporter la gamine que voici. Travail rémunéré !
Oué, c'est vrai, depuis quelques temps, elle devient un peu teigneuse. Surtout d'puis que sa soeur a rejoint les Dieux. Et puis elle grandit la p'tite, y'a pas à dire. Les centimètres, elle en prend et vite. Les hormones commencent à la travailler aussi.
- Si on s'met à danser, ça va en attirer, t'penses ?
Danser ? Oué, ca, y'a pas d'problème, elle sait y faire. Elle a apprit sur l'tas, en observant. Et pis avec la musique, ca va tout seul. P'ti popotin à gauche, p'ti popotin à droite, et hop, on claque des doigts. Facile.
Oh qu'oui que ca va attirer du monde ! T'as un instrument d'musique ? Un sac de haricots secs ? Un récipient pour taper d'ssus ? Comme ça, ça résonnera dans les ruelles et pis ca ameutera l'monde et les mâles ! hihi !_________________
Soeur de Kalamité, fille de la Vieille Pouchka
"In otin ihuan in tonaltin nican tzonquica"
Ozomatli, incarné par Zazanilli
L'orient.
Un immense terrain de chasse inexploré.
L'éphèbe avait accompagné une caravane de marchands, suivit par deux esclaves femelles ainsi que son lama blanc, qui répondait au nom de Saphi. Le voyage s'était passé sans encombres, exception faite des crachas incessants du lama, et des habituelles rebellions de l'esclave muselée. D'ailleurs, ces deux là s'entendaient à merveille.
Ils ne s'étaient pas attardés dans les villes qu'ils avaient traversées, prenant juste le temps de dormir dans des abris de fortune et s'arrêtant dans les marchés pour trouver de quoi se sustenter. Quatre jours de marche s'étaient ainsi écoulés, sous la ronde brûlante du disque solaire.
Enfin ils arrivèrent dans l'Autre Province.
Le jeune mexicatl ne cessait d'arrêter les passants pour leur poser une question récurrente : Où se trouvait celle qu'on appelait Zãzanilli ? Au fur et à mesure qu'il avançait, les réponses se faisaient plus précises : il y avait de l'argent à gagner, il était question d'une fille, l'affaire semblait facile. Ozomatli avait un don pour renifler les richesses, il avait ça dans le sang. Là en l'occurrence, un délicieux fumet de quachtlis venait lui chatouiller les narines...
Ce Singe là ne vivait que pour l'or.
La nature l'ayant doté d'un physique faible, il ne pouvait accomplir de tâches monumentales. Mais il était rusé comme un chacal, et savait se servir de sa tête de stratège pour exercer tous type de métiers lucratifs. Il vendait tout ce qu'on proposait de lui acheter. Jusqu'au corps que les dieux lui avaient façonné.
Il se remémorait souvent les sages paroles d'Acatla, riche bienfaitrice qui l'avait entretenu : "Trouve-toi une femme qui a des diamants aux oreilles, use de ta beauté pour l'épouser et vis à ses dépends.".
Mais les princesses ne couraient pas les rues, et encore moins les rues que fréquentaient Ozomatli. C'est pourquoi il avait vu comme une aubaine cette pluie de papiers, soufflés par une inconnue mystérieuse à la recherche d'un compagnon. A en juger par les moyens déployés pour trouver le mâle idéal, c'était à n'en pas douter une reine orientale, une déesse à la jupe d'or, terriblement esseulée... à qui il devait porter secours.
La joie inondait son esprit.
Il plongea ses mains dans l'eau d'un puits et s'en aspergea le visage pour se décrasser de la poussière du voyage. Il ordonna à l'Esclave Pure de lui démêler les cheveux, puis frotta ses dents avec une branchette fibreuse et passa une huile fine sur ses épaules. Une coupelle d'eau lui renvoya l'image d'une tête jeune aux traits aussi doux que ceux d'une femme, sabré par deux yeux rieurs et sournois.
Il attacha le lama ainsi que les deux esclaves l'entrée d'une taverne, suivit une dernière indication et se rendit sur la place du Clan.
Perdu au beau milieu des étals où se pressaient les acheteurs et les caissons de marchandises bariolées, il pensa ne jamais parvenir à son but.
... Travail rémunéré !
Il percuta la bedaine d'un homme en se retournant. Après avoir essuyé une pluie d'injures, il put se dégager de la masse et se présenter au comptoir. Le temps de reprendre son souffle, il s'appuya sur le bord de la table et articula :
C'est toi.. Zãzanilli ?
Redressant la tête, ses yeux vifs passèrent de la femme qui lui faisait face, à la gamine boudeuse qui l'accompagnait. Il attendit la réponse, sceptique, sur le point de reprendre sa recherche ailleurs. La princesse ne devait pas être loin...
Ozomatli, incarné par Zazanilli
L'esclavagiste retira prudemment sa main du bois vermoulu qui faisait office de table. Cette dernière avait probablement été confectionnée avec une épave de pirogue qui datait d'avant la naissance de son arrière grand mère. D'ailleurs, maintenant qu'il y pensait, il reniflait comme un parfum d'algues en décomposition qui flottait aux alentours. Une vraie table de mendiants, ouais.
Oui, c'est moi, Zãzanilli.
Non ? Si. Non... Mais si, c'est elle. Alors la fameuse princesse aux mille sacs de quachtlis, dont l'or coule par les mains et la bouche, la fille de roi à la robe de jade qui se baigne dans les rubis, celle qui siège sur un trône plus haut et plus brillant que le soleil... C'est elle ? C'est cette femelle à peine sortie de l'enfance, vêtue comme un sac, accoudée à un attirail dégoté sur un tas de fumier ?
L'homme ne prononce pas un mot, mais la déconvenue se lit très clairement sur son visage. Une main invisible vient se saisir de son rêve de grandeur, et en faire de petites miettes balayées par un grand vent plein de cruauté.
J'imagine que tu viens pour l'annonce ? Ça consisterait à supporter la Prunette un certain temps, lui t'nir compagnie. Voire l'épouser, quand elle aura l'âge. On a encore l'temps.
Un oeil très sceptique se tourne lentement vers la demi-portion, et s'arrête sur la morve qui lui barbouille le nez. Un silence énorme s'installe, comme une grosse chape de métal qui statufie tout ce petit monde. Par derrière, le bruit du marché comble heureusement le creux de la conversation, et une mouche entame un solo en bourdonnant en tourbillons au dessus de la tête d'Ozomatli. Sans trop savoir pourquoi il adresse un sourire rigide à la gamine, extrêmement embarrassé, tandis qu'il tente de trouver une réponse adéquate à formuler pour vaincre le ridicule. Une foule de questions se presse à la porte de sa bouche, parmi elles :
Mais c'est qui cette mioche ? C'est payé combien ? Pourquoi vous engagez pas une nounou ? Ca serait pas plus honnête de lui dire que vous l'abandonnez ? A la rigueur, je peux épouser la grande soeur ? C'est une impression ou elle a un oeil qui louche ? Elle est malade, c'est ça ? Je peux voir un responsable ?
Après réflexion, il juge qu'il n'a pas fait tout ce chemin pour revenir bredouille. S'il y a quelques chose à gagner, il faudra qu'il l'obtienne. Son instinct de négociant reprend le dessus : d'abord, allez dans le sens du client. Il reprend une figure humble et ouvre les mains pour se proposer :
Et... qu'est ce qu'il faut faire pour être choisit ?
Ozomatli, incarné par Zazanilli
Parler, ça il sait faire.
Il a même un mal fou à contrôler sa langue, qui transgresse avec joie la frontière de la vérité pour céder à des mensonges éhontés. Ca lui vaut une certaine réussite en tant que canaille du négoce, il saoule l'esprit des acheteurs avec des paroles qui leur font voir de la qualité, là où il n'y a que du toc. Sa besace regorge de soit-disant fioles de sang d'aztèque pour les offrandes aux dieux (des bouteilles remplies avec du jus de lapin), de colliers de métal peint en or et d'un monticule de babioles prétendument miraculeuses que les vieilles femmes lui arrachent, en l'écoutant réciter son flot de boniments sur les vertus du produit.
Mon nom est Ozomatli.
A chaque fois qu'il parle, ses mains accompagnent les mots par habitude.
Je suis né dans les collines de l'Orient, aux abords d'Huamantla. Et j'ai grandit dans les steppes d'Occident, au clan de Cuamantzingo.
Petit frottement de nez.
Jamais mangé de poux. Quand j'étais gamin je me régalais avec des fourmis, en revanche.
Bon là vient la question ennuyeuse. Ozomatli ? Se battre ? Son physique de fillette lui ôte même la possibilité de soulever une jarre de pulque. Il n'y a qu'à voir ses épaules minces et les creux de maigreur qui se fichent entre ses côtes quand il soulève le bras. Si la nature ne l'avait pas doté d'un immense instinct de survie ainsi que d'une tactique à toute épreuve (à savoir : fuir le danger), il n'aurait pas fait long feu parmi ses pairs. Heureusement il a cessé d'être rudoyé par les mâles de son âge maintenant que sa renommé de marchand d'esclaves s'est étendue dans le pays, lui assurant la protection de quelques grands dignitaires.
Il tente une réponse raisonnée.
Je maîtrise bien la sarbacane.
Qu'est-ce qui lui fait peur... Une foule d'images lui passent en tête... Les guerriers mangeurs de cervelle, les araignées, le tonnerre, Saphi l'albinos cannibale, les jaguars, les malédictions divines, devenir pauvre, les pénuries de pulque, les nymphomanes, les tremblements de terre...
J'ai peur... des dieux, ô Zãzanilli, eux qui peuvent nous éteindre le soleil.
A tout hasard il tente la carte du fervent adorateur, ouvrant ses deux mains vers le ciel, pieux comme un prêtre.
Évidement que je suis un gars bien. Je n'ai jamais été traîné devant la justice, je ne connais pas la prison, je n'abuse jamais du pulque ni des drogues. J'ai pour moi l'honnêteté et la soif de réussir. Tu sais, je ne suis pas un paresseux. Mon ardeur au tâche est grande, d'autant plus si le travail est bien payé..
Aïe. Est-ce qu'il en a trop fait ? Il en a trop fait. Son oeil légèrement anxieux sonde celui de la jeune femelle, avant qu'il ne se presse de reprendre le fil.
Si je devais te surnommer... Ce serait... Je t'appellerais... Huitzilin* !
Il découvre une rangée de dents nacrées en la désignant du doigt.
Car tu es comme l'oiseau-mouche en apparence. Minuscule.. Haute en couleurs. Et ton bec m'a l'air piquant.
Il retient un éclat de rire tout en jetant un coup d'oeil à l'enfant Prune qui est restée silencieuse durant l'échange.
*Colibri