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[RP] Le Paon et la dinde (ou vipère ? )

Sidfiala
- Fermé ? Humph.

Qu'est ce que c'était cette manie de fermer les tavernes si tôt ? A Thiers d'où elle venait ou encore à Tonnerre où elle avait passé un petit moment, jamais les portes n'étaient verrouillées et quand bien même cela était, les habitués savaient toujours où le tenancier cachait la clé pour pouvoir venir même en dehors de la présence du tavernier, c'était une question de confiance. A croire qu'ici à Epinal, ça ne marchait pas comme ça et que la confiance c'était quelque chose de bien spécial, voir d'inconnu.

Sidie lâcha un soupir devant le manque d'enthousiasme et d'aide évident de son interlocuteur. Il était clair qu'il était vexé depuis tout à l'heure, juste avant leur course effrénée. S'il y avait bien quelque chose dont elle avait horreur c'était qu'on lui serve une soupe à la grimace dans un repas trop long. La bouderie l'agaçait, surtout quand les reproches qu'on avait à lui faire avaient déjà été dits. Il était à croire que l'orgueil d'Erchinoald était bien plus démesuré qu'elle ne l'avait pensé au départ et qu'il avait dû maintenant comprendre que la récolte prometteuse de miel avait été en grande partie le moteur des agissements de la jeune femme.

Le miel. Sidie perdait la tête devant du miel. Et cela faisait trois semaines qu'elle n'en avait pas goûté ne serait-ce qu'une once. Si en plus elle savait qu'un nectar doux et savoureux se trouvait à portée de main, et qu'il était suffisant pour assouvir son désir de sucrerie, elle aurait été capable de presque n'importe quoi. Alors oui, elle avait affiché de grands sourires et fait quelques compliments pour s'attirer l'intérêt du Paon, espérant qu'il serait d'une efficacité redoutable et qu'elle pourrait ensuite repartir avec son trésor, lui en cédant une partie. Maintenant qu'elle y songeait, ils n'avaient pas scellé leur accord par une poignée de main et certaines choses faisant partie des négociations étaient restées en suspens. C'était sans doute cela qui avait apporté le mauvais oeil sur cette soirée et fait tout capoter. Inutile de s'entêter donc. L'affaire était vaine et le Paon boudeur devenu de compagnie désagréable.


- Tant pis, j'aviserai.

La première étape tout de suite : nettoyer. Sidie posa le seau sur la margelle du puits et plongea les mains dedans pour les ressortir en creuset et passer de l'eau fraîche sur sa figure. Elle passa lentement ses mains sur son front, puis ses pommettes afin d'ôter ce qui avait pu commencer à sécher et recommença l'opération plusieurs fois jusqu'à ce que du bout de la pulpe de ses doigts, elle ne sent plus de coagulation et puisse se rassurer également sur la superficialité de sa plaie. A défaut de la vue, il lui restait au moins le toucher. La toilette faite, elle se retourna vers Erchinoald et lui lança :

- Rentrez chez vous pour vous reposer, je vais faire de même. La soirée a été éprouvante et je cuide qu'elle le fut pour vous également.

Elle empoigna l'anse du seau à demi plein pour l'emporter avec elle dans l'ascension qu'elle allait devoir refaire pour rentrer à son campement et fit quelques pas avant de se retourner et de rajouter.

- Bonne nuit Erchinoald. Et puis... cessez donc cette bouderie. C'est insupportable.

Inutile d'attendre davantage, l'essentiel avait été dit. Sidie accentua donc son pas pour se hâter de rentrer. S'il y avait un bilan à faire de cette soirée, il aurait été bien mitigé. Quelque part, ils avaient tous les deux perdu. Elle le miel et lui ses espoirs d'une folle nuit d'ébats. Un petit sourire se dessina sur les lèvres de Sidie. La vengeance avait un goût presque aussi sucré que le miel auquel elle n'aurait pas droit.
S'il y avait une chose qui était certaine, c'était que ce soir, ce n'était pas elle qui serait seule dans sa couche, seule avec sa solitude : elle rejoignait son compagnon et sans aucun doute ses moqueries quand il apprendrait l'échec de la récolte. Oh non, la solitude n'était pas sa seule compagne, en revanche, elle serait celle du Paon ce soir.
Erchinoald
Fermé, répéta-t-il. Avec les étrangers qui rôdent dans le village, on est jamais trop prudent.

La voix était plate, neutre, mais le sous-entendu était clair, donné sans pincettes. Erchinoald observait les inconnus, comprenait leur fonctionnement, devinait leurs pensées, prévoyait leurs gestes. Il avait fait quelques progrès récemment, notamment avec les femmes. Certaines restent néanmoins imprévisibles, du moins en partie. Le Paon n'était pas étonné que Sidie lui refuse ce qu'il voulait. Elle avait eu une éducation ainsi, même si briser ces barrières aurait flatté son égo. Il avait perdu, tant pis. Son lot de consolation était de voir qu'il avait assez d'influence sur elle pour la rendre d'humeur exécrable, et cela, rien qu'en restant silencieux quelques instants. C'était toujours cela de gagner.

Éprouvante, oui, dit-il en posant le dos de sa main sur son front en une pause théâtrale. Visiter un parc avec des animaux hideux, gravir une colline, courir pour fuir le bourdonnement d'insectes, un véritable parcours du combattant ! Il glissa un œil moqueur sur la jeune femme qui prenait le sceau et s'en allait. Inutile de lui demander deux fois de rentrer chez lui, il n'attendait que cela depuis un moment. Le blond se leva donc, et commença à faire quelques pas lorsqu'elle lui lança des dernières paroles auxquelles il répondit avec un sourire moqueur :

Cachez cette hideuse cicatrice. Sa vue m'insupporte.

Il la salua en inclinant la tête, ne cessant pas de la regarder, railleur, et prit la direction de sa chaumière dans le centre du village. En fin de compte, cette nuit n'avait pas été une pure perte puisqu'il y avait des leçons à en tirer. La première, préparer soigneusement sa prochaine sortie. La seconde, ne pas s'abaisser ne serait-ce que pour ramasser le mouchoir d'une femme. La troisième, ne pas perdre son temps avec les dindes qui ne savent pas apprécier l'élégance, la prestance et la délicatesse des Paons -et qui confondent ces derniers avec des coqs de basse-cour. La quatrième, courir avant d'aller dormir, le sommeil n'en est que plus réparateur, et vous avez meilleure mine lorsque vous croisez vos amis au petit matin ; car lui n'est seul que le temps de se reposer, et n'est pas obligé de jouer les meubles en taverne.
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