Milo
Il avait promis. Mais cela ne s'était pas fait sans mal.
Et le voici, aujourd'hui, l'arrière train de sa fille calé dans sa main droite, couffin dans la main gauche, à contempler d'un oeil torve les bains où ils devront se baigner. Officiellement pour se laver, car le géant, aux dires de la rouquine, ne sentait guère bon. Encore plus que d'habitude. Et ce qu'il craint par dessous tout ? Le regard des autres, les étrangers, sur son corps meurtri. Sentir la pitié s'accumuler dans leurs yeux à mesure qu'ils le détaillent, l'observent, cachés derrière leur apparente joyeuseté. Celle qui lui donne envie de leur balancer son poing dans la trogne, juste pour les voir tirer une autre grimace que l'habituelle. De douleur, cette fois.
Il suit la rouquine, saluant à peine le tenancier. Trop occupé à jeter des regards mauvais à droite et à gauche, espérant ainsi dissuader un quelconque autochtone à venir l'observer. Qu'il se rince l'oeil sur sa femme s'il le souhaite, sans se faire prendre, mais pas sur lui. Mais les vieilles habitudes ont la vie dure, et celle d'afficher un sourire ironique de revenir au galop, amusé de voir la jeune femme jouer aux précieuses. Il se retint cependant de faire une quelconque remarque, car elle était en position de force, même si elle ne le sait peut-être pas encore.
Il pose sa fille dans son couffin et ôte à son tour ses vêtement, se cachant le plus possible derrière les piliers, allant jusqu'à enlever le gant noir qui ne le quittait que rarement, massant sa senestre nerveusement tout en observant sa fille. S'il est une chose qu'il ne se lasse pas de contempler après son amante, c'est bien elle. Le sourcil se hausse, la gorge est raclée et le regard suit le léger déhanché provocateur de Breiz, incitation à la rejoindre sans plus attendre.
C'est donc toujours en scrutant attentivement les environs qu'il entre un peu dans le bain, restant tout près du bord. Scène hilarante que celle de voir un géant apeuré par une étendue d'eau qui ne doit pas être plus grande qu'un étang. Oui mais voilà, même si Karyl lui a donné un semblant de cours de natation, le blond ne sait pas nager. Et c'est un sérieux problème lorsqu'il est l'élément préféré d'une amante désirée.
Aussi, collé à la pierre comme si sa vie en dépend, le géant observe le petit rouquin patauger dans l'eau, l'esprit peu assuré.
- T'es sûre qu'on va pas s'noyer ?
Milo
Fébrile, le regard sondant les eaux claires, il attend avec anxiété la réponse de sa femme. Qui sait ce qui peut se cacher, parmi les volutes de vapeur qui s'échappent de l'eau chaude dans laquelle ils baignent ? Et lorsque le petit rouquin commence à l'éclabousser, son seul réflexe est de reculer encore plus, se cognant la hanche contre le bord dur du bassin, plutôt que de riposter à son tour. Il hausse les épaules, quand la réponse est donnée. Pas profond, peut être, mais il est persuadé que le milieu du bassin est mortel si d'aventure il osait y mettre un pied.
Même lorsque la jeune femme passe derrière lui, caressant les sillons profonds inscrits dans sa chair, geste qui a pour habitude de l'apaiser, ne fait que le garder dans sa position de garde à vous, raide comme un piquet. Il n'est pas à l'aise et elle le sait. Alors, comme toujours, elle essaie d'apprivoiser ses douleurs, son passé. Visitant inlassablement les tranchées creusées par le fouet incontrôlable.
Il l'imite, alors qu'elle s'assied dans l'eau. Ne se détendant toujours pas, bien au contraire, évoluant avec une lenteur ridicule, cherchant du regard le petit rouquin. Et de se prendre en plein visage, une gerbe d'eau accompagnée d'un éclat de rire cristallin. Le petit rouquin a trouvé sa cible, et ne semble pas prêt à la lâcher.
Géant qui se cale contre la rouquine, genoux repliés sous son menton, les deux mains sous l'eau à plat, comme pour trouver un appui. Et de se laisser faire, crispé tandis que Gauvain continue inlassablement son assaut. Il aimerait bien riposter, lui aussi. Mais sa peur le bloque. Ce n'est que lorsque sa femme passe un bras autour de son cou, lui assurant qu'il ne risque pas de se noyer, qu'il consent enfin à relâcher un peu ses muscles. Un peu, mais pas trop. Allant même jusqu'à éclabousser à son tour, mollement, l'enfant roux lorsque celui-ci, mort de rire, essaie de les approcher.
- Je t'ai vu Lilla räv, pas la peine de te cacher. 'Fin pis entendu surtout. Et, à voix basse, pour que seule les oreilles de la rousse puissent l'entendre. Me lâche pas, Breiz. On a beau jouer, me lâche pas.
S'il le pouvait, il se retournerait et se cramponnerait à son cou, comme une moule à son rocher. Mais, carrure et taille n'aidant pas, c'était tout bonnement impossible. Aussi continue-t-il de se concentrer à rendre la monnaie de sa pièce à Gauvain, tandis que la jeune femme continue de lui savonner les cheveux. Trop occupé à sa survie pour se rendre compte qu'elle joue à la poupée avec lui.
Milo
Oui je le sais.
Rassuré. Mais la part de peur qui sommeille en lui est encore trop présente pour qu'il se détende complètement. Et l'enfant, celui qui ne fait que jouer, n'est pas non plus étranger à ce malaise qu'il ressent. Un instant, la panique reprend le dessus tandis que la jeune femme abandonne son cou pour venir poser sa main devant ses yeux.
Et les secondes lui paraissent une éternité, lorsqu'enfin la vue est retrouvée, la main de sa femme passée de nouveau autour de son cou, anneau marital lui raflant un peu la peau. Et les Azurs de se tourner vers Gauvain, amusé de le voir mettre autant de coeur à l'ouvrage. Là encore, ce n'est que lorsque la jeune femme consent à lui masser la nuque et les épaules qu'il se détend encore un peu.
Jusqu'à ce qu'une petite main lui chatouille le cou, provoquant un sourire, lui qui depuis le début a le sourire aussi crispé qu'une nonne entendant pour la première fois de sa vie des allusions graveleuses. Il sait que le petit garçon veut jouer, qu'il aimerait bien que le blond qui lui sert de beau-père entre dans la danse. Lui aimerait répondre avec autant de ferveur, mais il n'ose pas.
- Oui... C'est rare que vous puissiez rester tranquille tous les deux comme ça.
Et, pour laisser la mère et l'enfant seuls dans ce rare moment d'intimité, il se tourne vers sa fille, remontant un peu les marches afin de la contempler un peu. Chose dont il ne se lasse pas, comme tout bon père un peu trop gâteau et niais qui se respecte devant le moindre geste de sa progéniture. Laquelle dort à poings fermés, bougeant parfois à demi en émettant de drôles de borborygmes. Rendant les Azurs encore plus brillantes que d'habitude.
Une légère vaguelette tapotant sa hanche lui rappelle le pourquoi de sa présence ici. Lentement, il se retourne, observant une fois encore le bassin, avec une lueur de défi. Il est un homme, et là encore, comme tout homme qui se respecte, un égo qui ne craint rien lorsqu'il s'agit de ne pas passer pour un pleutre. Aussi avance-t-il de quelques pas dans l'eau, s'enfonçant encore plus loin que tout à l'heure. Aidé, sans réellement s'en rendre compte, par la vue du symbole bleuté, rehaussé par un halo flamboyant. Comme la toute première fois.
Tout près, si près qu'il peut sentir la chaleur de son corps. La senestre de se tendre, tout aussi fascinée que les Azurs et d'esquisser les contours pourtant maintes fois parcourus. La respiration se fait plus lente, au diapason de ses battements de coeur, s'imprégnant de l'étrange tatouage. Ne se lassant jamais, recouvrant de sa présence la frêle silhouette féminine et celle de l'enfant, jusqu'à ce que ce dernier le tire de ses songes, en lui lançant une nouvelle gerbe d'eau.
Et le géant de se rendre compte tout le chemin parcourut, avant d'émettre un "ho!" sonore, et de rendre la monnaie de sa pièce au petite rouquin, droit comme un i, pour essayer de masquer son trouble. Eclaboussant aussi bien sa femme que l'enfant, afin de ne pas laisser de nouveau la panique l'envahir.
Milo
Un hurlement. Qu'il reconnaîtrait entre milles, tant il est habitué depuis plusieurs semaines maintenant à l'entendre. Aussi vivement que l'eau lui permet, c'est à dire trop peu, il se retourne pour jeter un oeil sur... Une femme, penchée sur sa fille. Au diable les cicatrices, envolée sa peur et aux orties ses cicatrices. Il se met à marcher aussi rapidement que l'eau le lui permet, trop lentement à ses yeux, s'approchant de l'inconnue.
Il se moque de savoir ce qu'elle fait là, il se moque même de savoir si elle est armée. Tout ce qu'il voit, c'est le danger courbé sur la petite blonde. Les muscles endoloris, les sens au ralenti, lâchant une salve de jurons, il grimpe les marches qui le séparent de son enfant. Courant les derniers mètres qui le séparent de sa progéniture, bousculant de l'épaule l'étrangère. Pour éloigner sa fille du danger.
Rapidement, il la récupère, maudissant intérieurement son amante de l'avoir obligé, dans un certain sens à se baigner à son tour. D'une part parce que, serrant le petit corps emmailloté contre le sien, il prend conscience d'être nu comme un vers. D'autre part parce que, tout ceci ne serait pas arrivé s'il avait pu rester en dehors de l'eau. Raison de plus pour éviter d'y retourner.
- Touchez pas à ma fille vous !
Les paroles sont sifflées, tandis qu'il se recule, frissonnant sous la morsure des courants d'air. Croisant les doigts pour que la rousse, dans sa bonne idée de vouloir prendre un bain, ai réagit assez vite pour récupérer ses dagues. A condition qu'elle les ai fourré quelque part dans ses vêtements.