Beltaine
Beltaine avait à peine eut le temps de refermer la bouche, scrutant la salle en quête dune quelconque réaction, quune voix des plus bougonne la fit presque sursauter, derrière elle, près du feu quelle venait de quitter. Elle fit aussitôt volte-face, menton relevé, sourcils froncés sur prunelles dopaline frondeuses, droite et raide comme la justice, soulevant légèrement les talons pour se grandir un peu.
Héla mon gars !!!
Causer fort cest le seul moyen que jconnaisse pour sfaire entendre
Si cest le silence que tu veux, tes pas au bon endroit j'crois
À moins que vous ayez dbien drôles déglises dans lcoin
Alors
.
Léger silence de quelques secondes justement, juste le temps pour elle de ravaler un «Va cuver ton mal de crâne ailleurs» et autre «Tu ferais bien dlaisser tes écoutilles sencrasser un peu plus». Cest que le râleur, si il avait guère la mine des bons jours, navait pas si mauvaise mise. Pis il ne fallait pas quelle oublie trop vite quelle venait de se mettre dans la situation quelle maîtrisait le moins
..avoir besoin de quelquun.
Le livreur lui, regardait ostensiblement ailleurs, genre » Jla connais pô, notez bien que la suite ne me concerne pas hein ». Encore un courageux celui là quoi.
Essai de sourire plus détendu, pour lavenant il y avait de lentraînement à prévoir, air farouche qui sestompe, léger raclement de gorge.
Alors
.
Tu sais te servir dune plume toi ? jveux dire pour faire un courrier quoi
Si tu me dis oui
.
*Ton plus traînant à en être limite bas *
Et qutu veux bien maider un peu
Ben
* Ton reprenant sa surfaite assurance *
Promis j'pousse pas la chansonnette !
Parce que là, question te casser les oreilles, tu vas découvrir que jai un don certain !
Et de jouer de la hauteur de talon pour lui faire prendre toute la mesure de la menace, et de pencher un peu la tête dans une moue denfance pas si lointaine genre « Hein dis
allez
.steeeuuu plaiiiiiit »
Beltaine
Le visage de Beltaine séclaira dun immense sourire soulagé et agrémenté dun petit quelque chose de victorieux qui en dautres temps cathodiquo-plasmatiques lui aurait sûrement laissé échapper un criard « Ouaaiis cest gagné, cest gagné, yes we did it » mais fort heureusement pour les oreilles du Jacouillet ce temps là nétait pas encore.
Certes il était bourru le sieur, mais peut être bien quil était gentil lui aussi au fond, quelque part. En tout cas sans en chercher plus avant ni la source, ni la pleine mesure face au risque de le voir changer rapidement davis, Belt rangea définitivement son air farouche, posa son Sac à dos, Sac à dos, heu non excusez je mégare, son baluchon et le paquet sur la table en se calant sur la chaise en face de lui.
Clin dil au livreur qui commençait à marquer quelques signes dimpatience « Bouge pô toué, ça arrive tu vois ben », puis ses doigts triturant pensivement le papier, il y eut un blanc, un de ceux couleur dailes dange qui passe, parce que maintenant quelle avait trouvé « de quoi écrire » se posait la question
. du quoi dire.
Voix douce et basse tant par promesse faite que par une soudaine et bien nouvelle angoisse de la page blanche
Ben lui écrire merci
....
Belt se mordit la lèvre et la moue dubitative posa son menton dans sa paume alors que ses doigts pianotaient le bout de son nez. Cest un peu court jeune fille !
Ce nest pas quil ny avait rien se baladant entre le cur et la cervelle de la donzelle, bien au contraire, mais les sentiments lui semblèrent à cet instant faits de la matière des nuages, denses, cotonneux, filants, aux formes étranges, familières, intimes
..mais impalpables, insaisissables.
Sa bouche souvrit sans quaucun son nen sorte, mode carpe au bord de lasphyxie
.qui finit par se jeter, oh linstinct de survie, dans le premier torrent de mots qui passent
Pis lui dire quon mavait jamais fait si beau cadeau alors quelle me connaissait même pô, que je sais pas quand je porterais sa trop jolie robe mais que je la garde soigneusement même sil va me falloir un plus grand baluchon maintenant pour pas la froisser, que je penserais à elle bien souvent et que si je retrouve un aimable bonhomme comme toi, heu vous, je lui donnerais des nouvelles de temps en temps.
Que je mexcuse dêtre partie si vite comme ça mais que heu
.en fait
.ben elle était trop gentille, je me serais sentie trop bien chez elle et si jétais restée plus, ben peut être que je serais plus partie, pis que je l'aurais déçue, et je devais partir
.même si jai pas vraiment de raison à ça et
bah
nan ça on le dit pas hein
jarriverais pas à expliquer
Ah pis aussi lui dire que parce quelle a un ami que personne il laime, faut dire quil est pas bavard, pis quand il lest il a un drôle daccent et des yeux tout sévères, quil est un peu bizarre quoi, il me rappelle un oncle à moi en fait qui me faisait presque peur mais que jaimais bien, enfin lui dire que si elle tient au taciturne cest quil doit le mériter et quil faut pas quelle se laisse emmer
heu embêter par les autres quoi
Ah vi pis elle cest dame Felinia quelle sappelle
Heu
voilà..
Comment ça sécrit ça ? Pouvez en faire de jolies phrases croyez?
Beltaine
Le Jacouillet restait coi devant sa tisane gnolesquement améliorée ne semblant décidément plus bien comprendre ce que le cheveu sur la soupe que Beltaine était sur son heure tavernicole voulait exactement.
Le dos droit, raidi par lappréhension de la présence du boulanger, jeu de doigts nerveux sur la table, la jeune hère errante sapprêtait à reprendre limpidement les choses par le début et à lui demander de sortir plume et vélin quand, dans un nouveau coup dil discret préalable vers le comptoir où les piliers paillardisaient maintenant en grasses gammes, elle vit la silhouette clodiquante du tavernier se diriger droit vers eux. Un « Aïe » silencieux mais corporellement irradiant, froncement de sourcil, bouche qui se crispe dans la moue du gamin qui voit arriver droit sur lui la large paume correctrice qui lui cuit déjà la joue rien que dy penser.
Mais au lieu de cela deux bols de garbure épaisse aux prometteurs relents dails qui lui mirent directement en émoi les glandes salivaires et un petit quelquechose dans le regard du tavernier, un de ces petits quelquechose brefs comme un battement de cil, imperceptible ressenti diris qui saccrochent et tissent soudain entre deux âmes un éphémère mais étrangement familier fil dAriane.
Et ce fil là désignait lombre discrète dune tablée déserte, et celui qui en tenait la pelote la Belt naurait su expliquer pourquoi mais elle lui offrit son plus sincère sourire. Elle lavait cru enseveli à jamais dans les oubliettes de la douleur ce sourire là depuis que ceux de son « clan » nétaient plus, que seule, apeurée, haineuse elle avait vécu, grandi en évitant lhumain. Et puis dame Felinia et son taciturne, ce bougon de Jacouillet et maintenant le tavernier
. Fragilement il renaissait, dangereusement peut être aussi
léger frisson en regardant l'homme revenir à son comptoir avant dapostropher son scribe migraineux.
Il a ben raison ! on sra aussi bien là-bas !
Et de déménager dautorité en quelques aller-retour baluchon, paquet, pèlerine en boule puis tisane et bouillasses vers ces quelques mètres de plus entre elle et son fournisseur culinaire involontaire du matin.
Elle fit signe au livreur dapprocher et poussa devant lui son pourtant si alléchant et odorant bol de soupe. Elle craignait quil ne simpatiente et ne quitte ce lieu sans ce bout de parchemin griffonné devenu sa quête du jour. Sacrifice il faut bien lavouer grandement tempéré par ces pains quelle navait fait encore quentamer et qui sauraient calmer avec rassurante certitude le chant de ses grenouilles destomac jusquau surlendemain au moins.
Puis elle se posta face à Jacouillet toujours assis à la même place et la suivant dun regard impénétrable faire son petit déménagement
Bon on sy met ? jveux pas vous embêter trop longtemps, zavez surement mieux à faire !
Main qui se tend vers lui soudain, prête à prendre et serrer la sienne pour mieux linviter à la suivre vers lautre table, mais qui se reprend, retombe, déroutante instinctive familiarité, effet pervers dun reste de sourire sincère, revêtir durgence son hermétique armure et juste ajouter, de cette mine espiègle moult fois éprouvée et maîtrisée.
Allez, veneeeeez, un ptit modèle et hop laffaire est faite ...
Heresie
Les buveurs de bière solitaires sont redoutables : on ne sait jamais combien de chopes ils ont déjà ingurgitées.
L'homme avait piqué du nez sur le comptoir, se vautrant machinalement dans la flaque qui se formait sous lui. Faut dire qu'il manquait de chance aujourd'hui, les places pleines de monde, la flotte et pas un client en vu. Bref ! Il en était donc là, créant des bulles de morve à chaque ronflement et serrant mécaniquement sa pinte de la main gauche. Avouons quand même que l'aubergiste savait recevoir : un bon feu, du calme et un bon brassage, manquait plus que la peau de bête pour parfaire la scène. Mais non, la poisse lui collait aux bottes, maintenant on lui pourrissait de nouveau son rêve en braillant à tue tête. Lui qui se voyait gambadant nu au milieu des près, chassant les papillons de multiples gestes graciles à l'aide d'un filet de roses... Il grogna et, poussant mollement sur ses bras, se redressa. Le coude se lève, la pinte se vide, il se retourne, fixe la salle et cherche du regard l'origine de ce désastre.
Personne ? La plèbe avait l'air calme, des paysans pour la plupart, et vers le fond une gamine qui se prostituait, du moins à ce qu'il pouvait en voir. Rien d'inhabituel sauf sa choppe vide. Il déposa un écu sur le comptoir tout en faisant signe au tavernier.
La bière est la preuve que Dieu nous aime et veut que nous soyons heureux.
Et le voilà de nouveau plongé dans le précieux breuvage, attendant que la pluie cesse pour reprendre sa route.