--Phocas
Par les cornes molles du diable c'est' y pas possible c' froid !
J'espère que ce village s'ra le dernier et qu'on m'a bien informé.
Au détour d'un chemin, alors que les premiers feux de Saint Aignan se devinent, ses chausses mouillées et roides de gel lui rendent la marche pénible. Mais il espère être si près du but, si proche de sa proie, qu'il ne sent plus les difficultés.
Si celui qui l' a renseigné quelques jours plus tôt ne l' a point trompé, elle serait là ! Il allait enfin pouvoir songer à son retour et à la récompense que le Duc lui a promis.
Le regard fixé sur le village, il avance en se remémorant les dernières semaines passées.
Opportunité à saisir de se faire une belle somme. Une mission simple, ramener une donzelle en fuite auprès des siens. Rien de compliquer. C'est ce qu'il avait cru le jour ou topant dans les mains du Duc il avait signifié son accord. Il avait bien essayé au début de se rassurer en mettant son échec sur le compte de l'avance qu'avait sur lui la fille ingrate et la chance peut être qui l'accompagnait.
Et il s'était persuadée que la chance changerait de compagnon de route.
Les jours avaient laissé place aux semaines et toujours point de donzelle. La garce savait brouiller les pistes. Elle avalait les lieux, passant de villages en bourgades en laissant parfois si peu de traces qu'il l'avait à plusieurs reprises perdue pendant plusieurs jours.
Il avait cru qu'elle resterait dans sa Champagne natale, mais que nenni, la bâtarde qu'elle était ne reculait devant rien et avait poussé chemin jusqu'en dessous de Lyon.
Lyon ! Il avait cru arriver à ses fins. Il s'était adjoint la compagnie d'un maraud avide de quelques écus gagnés surtout malhonnêtement, et encore plus décidé quand il su que l'objet du contrat était une donzelle à mater.
Dans une ruelle où elle avait logis, ils avaient mis en place leur guet-apens . La chance n'avait hélas toujours pas changé de camp, et la jouvencelle s'était échappée non sans leur faire goûter de sa lame avant. Il avait sous-estimé sa proie et sa mission.
Le maraud lyonnais préféra rester dans les faubourgs sombres des quais du Rhône. C'est donc seul qu'il avait continué sa quête.
Il était sur le point de renoncer.
Mais un soir, un soir où il n'était point encore trop imbibé d'alcool,, la chance avait choisit un nouveau camp et l'attendait en taverne.
On dit les femmes bavardes, certains hommes le sont tout autant. Et celui qui racontait sa rencontre avec une jeune et jolie femme blonde, peu farouche et armée venant de champagne et qui allait faire visite à son amie d'enfance, devint le temps de quelques chopes son meilleur ami du moment.
Après avoir aidé le pèlerin à faire détails de sa rencontre, il avait été persuadé de tenir à nouveau les rênes.
La jeune bachelière devait être à coup sûr l'amie de celle qu'il cherchait. Elles venaient toutes deux du même village, et le voyageur lui avait dit avoir entendu la fille parler de fuite en évoquant son amie. Trop de coïncidence pour douter de l' avoir enfin retrouvée.
Arrêté à l'entrée du village, il fait le point rapidement. Il lui faut cette fois réussir. Le duc ne donnera rien contre rien.
Il sait qu'il doit inspirer la confiance et sentir l'honnêteté pour passer inaperçu.
Habitué, en quelques secondes il se compose un tout autre visage et une fière allure. Seuls l'usure de ses vêtements et sa boucle d'oreille peuvent encore témoigner de sa réelle existence.
Il n'en a cure, il est confiant.
Bel homme, il sait que sourire et écus bien distribués ouvrent les portes facilement.
A nous deux la bâtarde ! lance t-il au vent en dirigeant ses pas vers le centre de Saint Aignan