Luciedeclairvaux
[Angers campement de la Zoko nuit du 25 juin 1458]
Les armées angevines partiraient demain pour La Flèche, l'Ange de la Zoko le savait. Et on la laisserait là toute seule, ça aussi elle le savait. Elle avait eu beau supplier qu'on l'emmène, en charrette ou à dos d'âne ou même à dos d'Arnulf tiens. Rien n'y fit. Les déplacements de l'armée devaient être discrets et rapides. Ils ne pouvaient pas s'encombrer des blessés.
"Bientôt je serai sur pattes, je pourrai vous aider !"
"Non, on peut pas Blondie."
"Je ferai à manger tiens."
"Noooon !!! surtout pas."
Légèrement contrariée, la balafrée claqua des doigts pour faire venir Arnülf, le géant scandinave, portier de la forteresse de la Zoko, qui servait aussi bien à pousser les armes de siège, façonner les boulets ou cueillir des marguerites pour son secret amour. Il la prit délicatement dans ses gros bras et ils sortirent de la taverne.
Il la déposa sur son matelas de paille recouvert de peaux moelleuses, et elle étira ses jambes en grimaçant. Sa cheville surtout, écrasée par un cheval dans le feu de la bataille, était douloureuse et laisser penser qu'elle ne remarcherait peut-être jamais normalement. Le reste n'était qu'écorchures et éraflures, rien d'extraordinaire pour la mercenaire aguerrie. Arnülf retourna devant la tente, assis sur son trépied et voûté sur ses réflexions.
Le soir était encore clair en ce mois de juin. Le parfum de l'herbe chauffée au soleil tout le jour, embaumait. L'odeur des feux aussi, et du fer que l'on forge. Quelques effluves de soupe. Peut-être la fumée d'une pipe.
Les odeurs particulières et rassurantes de la vie du campement.
Où irait-elle demain, quand ils seraient partis ?... Même Arnülf partirait, pour protéger le Borgne : elle l'avait ordonné. Elle se tourna pour fouiller dans sa besace et en retirer sa flasque de l'ost gascon, souvenir d'une Barrique dont la gnôle avait été bue depuis belle lurette, et qu'elle remplissait consciencieusement avec les breuvages locaux. En l'occurrence le whisky de l'Écossais. Rien de tel pour remettre les os en place.
Le regard perdu bien au-delà de la toile, elle repensa aux derniers jours, à la mobilisation, aux combats, aux soirées avec l'Écossais, à leur révélation qui devait sembler insolite, à sa venue discrète, la veille, au campement. Si le Borgne l'avait coincé ici, il l'aurait tué, au moins pour faire plaisir à la Jarretière, et sûrement pour se faire plaisir à lui-même.
Elle repensa à leurs sourires face à Aurile qui les faisait tous deux parrain et marraine sans cérémonie, maîtres de la Zoko à égalité pour un temps, devant les yeux pétillants de la jeune fille.
Elle pensa à la Zoko, à cette scission qui s'était créée.
A ceux qui s'étaient évaporés en même temps que la disparition du Colosse, à la lettre de la Féline à qui elle devait répondre, à la réaction de son impitoyable chef qu'elle vénérait au point de faire une croix sur une compagne d'arme de la première heure.
A ceux qui étaient présents, au retour de la Prunette, protectrice et fine ; aux blessures de Bouchon qui était entre la vie et la mort et qu'on ne pouvait même pas recoudre parce qu'elle était au campement des Hospitaliers ; au retour du Moustachu qui l'attendrissait autant qu'il l'énervait, à ses frasques et son insolence. Incorrigible, celui-ci, pensa-t-elle en laissant un sourire s'étirer sur sa joue.
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Les armées angevines partiraient demain pour La Flèche, l'Ange de la Zoko le savait. Et on la laisserait là toute seule, ça aussi elle le savait. Elle avait eu beau supplier qu'on l'emmène, en charrette ou à dos d'âne ou même à dos d'Arnulf tiens. Rien n'y fit. Les déplacements de l'armée devaient être discrets et rapides. Ils ne pouvaient pas s'encombrer des blessés.
"Bientôt je serai sur pattes, je pourrai vous aider !"
"Non, on peut pas Blondie."
"Je ferai à manger tiens."
"Noooon !!! surtout pas."
Légèrement contrariée, la balafrée claqua des doigts pour faire venir Arnülf, le géant scandinave, portier de la forteresse de la Zoko, qui servait aussi bien à pousser les armes de siège, façonner les boulets ou cueillir des marguerites pour son secret amour. Il la prit délicatement dans ses gros bras et ils sortirent de la taverne.
Il la déposa sur son matelas de paille recouvert de peaux moelleuses, et elle étira ses jambes en grimaçant. Sa cheville surtout, écrasée par un cheval dans le feu de la bataille, était douloureuse et laisser penser qu'elle ne remarcherait peut-être jamais normalement. Le reste n'était qu'écorchures et éraflures, rien d'extraordinaire pour la mercenaire aguerrie. Arnülf retourna devant la tente, assis sur son trépied et voûté sur ses réflexions.
Le soir était encore clair en ce mois de juin. Le parfum de l'herbe chauffée au soleil tout le jour, embaumait. L'odeur des feux aussi, et du fer que l'on forge. Quelques effluves de soupe. Peut-être la fumée d'une pipe.
Les odeurs particulières et rassurantes de la vie du campement.
Où irait-elle demain, quand ils seraient partis ?... Même Arnülf partirait, pour protéger le Borgne : elle l'avait ordonné. Elle se tourna pour fouiller dans sa besace et en retirer sa flasque de l'ost gascon, souvenir d'une Barrique dont la gnôle avait été bue depuis belle lurette, et qu'elle remplissait consciencieusement avec les breuvages locaux. En l'occurrence le whisky de l'Écossais. Rien de tel pour remettre les os en place.
Le regard perdu bien au-delà de la toile, elle repensa aux derniers jours, à la mobilisation, aux combats, aux soirées avec l'Écossais, à leur révélation qui devait sembler insolite, à sa venue discrète, la veille, au campement. Si le Borgne l'avait coincé ici, il l'aurait tué, au moins pour faire plaisir à la Jarretière, et sûrement pour se faire plaisir à lui-même.
Elle repensa à leurs sourires face à Aurile qui les faisait tous deux parrain et marraine sans cérémonie, maîtres de la Zoko à égalité pour un temps, devant les yeux pétillants de la jeune fille.
Elle pensa à la Zoko, à cette scission qui s'était créée.
A ceux qui s'étaient évaporés en même temps que la disparition du Colosse, à la lettre de la Féline à qui elle devait répondre, à la réaction de son impitoyable chef qu'elle vénérait au point de faire une croix sur une compagne d'arme de la première heure.
A ceux qui étaient présents, au retour de la Prunette, protectrice et fine ; aux blessures de Bouchon qui était entre la vie et la mort et qu'on ne pouvait même pas recoudre parce qu'elle était au campement des Hospitaliers ; au retour du Moustachu qui l'attendrissait autant qu'il l'énervait, à ses frasques et son insolence. Incorrigible, celui-ci, pensa-t-elle en laissant un sourire s'étirer sur sa joue.
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