Enguerrand_de_lazare
Trois chevaliers. Ils étaient trois chevaliers à avoir bravé les recommandations sanitaires pour se rendre en ces terres dévastées par la mort noire.
"Cito, longe, tarde" disaient les maîtres, Galien en tête de la procession.
Depuis des siècles, ces mots là avaient résonné en tout lieu ou la mort pesteuse avait abattu sa faux.
« Cito, longe fugeas et tarde redeas. »
Pars vite, loin et reviens tard.
Précepte par certains acquis dès la première heure, qui s'étaient empressés de quitter les terres ravagées par la maladie pour rejoindre contrées plus hospitalières, préférant la chaleur d'un bon feu à celle d'un brasier de corps fumant, savourant vin de Touraine ou d'Anjou tandis que d'autres déglutissaient sang et pus. Ainsi en était il de l'espèce humaine, le plus pieux devenant démon face à la mort, l'effacé se transformant en bête sanguinaire pour sa survie, le médecicastre si prompt à guérir maux bénins et à se gargariser de sa science prenant jambes à son cou devant l'importance des risques encourus.
Pour l'heure, les trois licorneux accompagnés d'une demi douzaine d'hommes d'arme, et bientôt suivis par plusieurs autres de leurs frères et surs avançaient à contre courant de ce désespéré exode, les encore sains tentant de s'éloigner assez du souffle mortel pour ne pas périr en les cités et villages limousins transformés pour certains en véritables mouroirs, les morts devenus plus nombreux encore que les vivants.
Les autorités comtales avaient eu tôt fait de fermer frontières, les provinces voisines s'empressant de faire de même. Las. La profondeur des forêts, la taille des territoires à contrôler, la mort fauchant également garde frontières et patrouilles de la maréchaussée avaient fait que les fuyards n'avaient que fort peu été retenus par ces barrières si lâches, apportant avec eux dans les contrées voisines la maladie rampante, menaçant frères, surs, oncles ou tante ayant accepté de les héberger par bonté d'âme ou par obligation.
Ainsi en allait-il des épidémies, répandues par ceux là même qui tentaient d'y échapper. Ironie cruelle de ce fléau qui depuis des siècles, traversait l'Europe de part en part, s'arrêtant un instant, semblant faiblir, pour prendre plus d'ampleur encore en un autre endroit.
Laisser passer officiel tendu dune main gantée au poste frontière davec le Berry, sous le regard médusé du garde pour le moins surpris de voir ainsi troupe chevauchant vers ce quil croyait être la mort. Celui là naurait échangé son poste avec personne au monde. Perdu quil était sur cette frontière à ce jour quasi désertée, il ne risquait point, pensait il de voir arriver sur lui les miasmes putrides des contaminés. Si ce nétait cette fâcheuse toux apparue il y a deux jours et ces quelques crachats de sang de ce matin, il en serait presque heureux dailleurs.
Chevauchée le long de cette route jadis empruntée presque jour et nuit, résonnant encore du bruit des fantômes des calèches, charrettes, marchands ou simples paysans arpentant ce chemin reliant Berry et Limousin. Pas âme qui vive croisée sur des lieues et des lieues. Quelques mouvements furtifs par delà les bosquets, un couple aperçu au détour du chemin, sempressant de fuir parmi les sous bois, craignant de croiser là route de quelque patrouille militaire ayant pour mission dempêcher les fuyards de passer.
Cette impression de mort rampante pesait dun poids de plomb sur les épaules du Grand Maitre. Ce souffle passant par delà les collines, sengouffrant dans les vallées où courrait des cours deau pour lheure encore gelés, sinsinuant dans chaque demeure croisée, de la plus grande à la plus misérable, répandant son haleine nauséabonde sur quiconque se trouvait fol assez ou inconscient pour risquer de laffronter. Ce souffle là semblait plus puissant encore que le plus puissant des Roys. Rien ni personne ne semblait pouvoir larrêter. Pas même lhiver qui daventure permettait à la population de reprendre force assez, pleurant ses morts et réorganisant sa vie, avant que la Grande Noire ne revienne au printemps, avant même que les premiers oiseaux migrateurs ne regagnent les terres maudites.
Plus encore que cette impression là, cétait le silence qui avait recouvert les environs qui le plus angoissait le licorneux. Nul oiseau entendu. Nul écho de voix. Nul autre son que celui des sabots de leurs montures résonnant sur la terre gelée. Eux même sétaient tus, comme réduits au silence par lampleur de la catastrophe.
Combien de lieues encore avant quils ne croisent la route de quelque quidam.
Combien de temps avant dapercevoir once de vie dans ces terres désertées.
Regards échangés entre les trois chevaliers, tandis que dans leur dos, ils sentaient langoisse des hommes darme.
Ils avaient évité Guéret. Nul besoin de prendre risque de se retrouver dans foyer dépidémie majeure. La froidure certes étant mordante, mais ils étaient tous des plus habitués à ce type de climat et une nuit au dehors ne saurait les effrayer.
Courte nuit que celle là dailleurs. Hachée entre tours de garde et réveils brusque, leurs sens aux aguets leur interdisant tout sommeil profond et par là même réparateur. Rapide repas pris au petit matin, le soleil blafard encore dissimulé à lest derrière quelque colline. En selle à nouveau, cette fois ci en direction de Bourganeuf. Encore une nuit et ils seraient à Limoges. Encore une nuit et il serait revenu chez lui après des mois et des mois derrance. Encore une nuit et il reverrait ses amis restés en limousin, priant Aristote pour quil nen dénombre aucun parmi les morts fauchés par le Grand Mal.
Fin sourire dépité vers ses deux compagnons alors que pour une nouvelle journée la route déserte sétendait devant eux, dans leurs dos fines banderoles blanchâtres de fumée des cheminées de Guéret se détachant dans le ciel bleu marine. Au loin, derrière un petit bois en dautre temps certainement des plus accueillants, ils pouvaient apercevoir le pendant de ces volutes là. Noirâtre. Epais. Tachant les cieux de sa couleur de mort, semblant monter jusquaux célestes paradis, comme pour les contaminer à leur tour. Cétaient là les restes du Charnier, le brasier entretenu jour et nuit par les cadavres des pestiférés, et qui ne manquerait pas sous peu dêtre alimenté par nouvel arrivage de combustible humain.
Lôdeur entêtante du vinaigre des quatre voleurs, dont le linge noué sur leur visage était imprégné, lui semblait supplice chaque jour renouvelé. Il en allait toutefois de leur vie car sans ces précautions, certes dérisoires, ils nauraient aucune chance déchapper à la malédiction, à moins de faire partie de ces quelques trop rares chanceux qui réussissaient à nen point mourir voire à ne souffrir daucun signe de la peste, comme touchés par quelque grâce divine.
Un regard, à nouveau vers ses amis.
A sa senestre, Cerridween, la rousse, si chère à son cur. Celle à qui il devait tout. Celle qui lavait sauvé de sa perte. Celle qui Maistre darme de la Licorne, elle était chargée de lenseignement du maniement des armes aux écuyers et errants de lOrdre. Lourde tâche que celle là car dun bon apprentissage dépendait la vie dun chevalier. Il la savait des plus capable et ne doutait un seul instant quelle saurait perpétuer lexcellence guerrière de leur Ordre.
A sa dextre, Nith, compagnon de voyage calme et avisé. Diplomate était il au sein de leur Ordre. Là encore fonction importante et majeure. Un Ordre, si puissant fut il, nétait rien seul et sans allié. Voilà quelle était la mission de son frère. Et il savait combien elle pouvait parfois être éprouvant et difficile.
Dame, compagnons, il me tarde de retourner en ma demeure. Je lai quittée depuis si longtemps que jen aurais presque oublié son arrangement. Espérons quà linstar de ces campagnes traversées, elle nait par trop changé.
Haussement bref des épaules, tandis que sa main dextre désignait les environs.
En dautre temps ces terres là seraient joyeuses et animées, je vous lassure. Nous aurions pu faire bombance en quelque taverne de Guéret, ville réputée en Limousin pour ses tabourets. Peut être un jour pourrais je vous expliquer le pourquoi de ceci. Chaque voyageur croisé aurait été occasion dengager conversation, liant mille et mille rencontres riches et chaleureuses. Bourganeuf et ses auberges avenantes nous aurait ouvert ses portes et jaurais pu vous faire découvrir ses spécialités et ses lieux les plus animés. Et Limoges Ha, Limoges. Perle du Limousin. Vous
La lassitude soudain, eu raison de son envolée. Tristesse. Fatigue. Il nétait plus temps pour cela. Si Aristote et tous ses saints guérisseurs le voulaient, ils pourraient à nouveau goûter à ces simples plaisirs. Avant toute chose, ils avaient autre tâche. Autre préoccupation.
Le Grand Maitre de la Licorne reprit alors la parole, dune voix cette fois ci grave et empreinte de détermination.
Nous éviterons Bourganeuf comme nous avons évité Guéret. Une fois en Limoges, nous irons voir notre frère Stannis afin que de prendre connaissance de la situation, puis je vous accueillerai en mes terres du Bazaneix où nous pourrons trouver quelque repos réparateur et te mettre, Nith, à l'abri d'une possible contagion, de par ton état des plus faible. Ensuite, nous pourrons commencer à prodiguer soins et apporter sécurité aux routes limousines.
Regard embrassant lhorizon avant que de regarder à nouveau ses deux compagnons.
Il ne sera pas dit que la Licorne sest dédite de son devoir, mes amis.
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"Cito, longe, tarde" disaient les maîtres, Galien en tête de la procession.
Depuis des siècles, ces mots là avaient résonné en tout lieu ou la mort pesteuse avait abattu sa faux.
« Cito, longe fugeas et tarde redeas. »
Pars vite, loin et reviens tard.
Précepte par certains acquis dès la première heure, qui s'étaient empressés de quitter les terres ravagées par la maladie pour rejoindre contrées plus hospitalières, préférant la chaleur d'un bon feu à celle d'un brasier de corps fumant, savourant vin de Touraine ou d'Anjou tandis que d'autres déglutissaient sang et pus. Ainsi en était il de l'espèce humaine, le plus pieux devenant démon face à la mort, l'effacé se transformant en bête sanguinaire pour sa survie, le médecicastre si prompt à guérir maux bénins et à se gargariser de sa science prenant jambes à son cou devant l'importance des risques encourus.
Pour l'heure, les trois licorneux accompagnés d'une demi douzaine d'hommes d'arme, et bientôt suivis par plusieurs autres de leurs frères et surs avançaient à contre courant de ce désespéré exode, les encore sains tentant de s'éloigner assez du souffle mortel pour ne pas périr en les cités et villages limousins transformés pour certains en véritables mouroirs, les morts devenus plus nombreux encore que les vivants.
Les autorités comtales avaient eu tôt fait de fermer frontières, les provinces voisines s'empressant de faire de même. Las. La profondeur des forêts, la taille des territoires à contrôler, la mort fauchant également garde frontières et patrouilles de la maréchaussée avaient fait que les fuyards n'avaient que fort peu été retenus par ces barrières si lâches, apportant avec eux dans les contrées voisines la maladie rampante, menaçant frères, surs, oncles ou tante ayant accepté de les héberger par bonté d'âme ou par obligation.
Ainsi en allait-il des épidémies, répandues par ceux là même qui tentaient d'y échapper. Ironie cruelle de ce fléau qui depuis des siècles, traversait l'Europe de part en part, s'arrêtant un instant, semblant faiblir, pour prendre plus d'ampleur encore en un autre endroit.
Laisser passer officiel tendu dune main gantée au poste frontière davec le Berry, sous le regard médusé du garde pour le moins surpris de voir ainsi troupe chevauchant vers ce quil croyait être la mort. Celui là naurait échangé son poste avec personne au monde. Perdu quil était sur cette frontière à ce jour quasi désertée, il ne risquait point, pensait il de voir arriver sur lui les miasmes putrides des contaminés. Si ce nétait cette fâcheuse toux apparue il y a deux jours et ces quelques crachats de sang de ce matin, il en serait presque heureux dailleurs.
Chevauchée le long de cette route jadis empruntée presque jour et nuit, résonnant encore du bruit des fantômes des calèches, charrettes, marchands ou simples paysans arpentant ce chemin reliant Berry et Limousin. Pas âme qui vive croisée sur des lieues et des lieues. Quelques mouvements furtifs par delà les bosquets, un couple aperçu au détour du chemin, sempressant de fuir parmi les sous bois, craignant de croiser là route de quelque patrouille militaire ayant pour mission dempêcher les fuyards de passer.
Cette impression de mort rampante pesait dun poids de plomb sur les épaules du Grand Maitre. Ce souffle passant par delà les collines, sengouffrant dans les vallées où courrait des cours deau pour lheure encore gelés, sinsinuant dans chaque demeure croisée, de la plus grande à la plus misérable, répandant son haleine nauséabonde sur quiconque se trouvait fol assez ou inconscient pour risquer de laffronter. Ce souffle là semblait plus puissant encore que le plus puissant des Roys. Rien ni personne ne semblait pouvoir larrêter. Pas même lhiver qui daventure permettait à la population de reprendre force assez, pleurant ses morts et réorganisant sa vie, avant que la Grande Noire ne revienne au printemps, avant même que les premiers oiseaux migrateurs ne regagnent les terres maudites.
Plus encore que cette impression là, cétait le silence qui avait recouvert les environs qui le plus angoissait le licorneux. Nul oiseau entendu. Nul écho de voix. Nul autre son que celui des sabots de leurs montures résonnant sur la terre gelée. Eux même sétaient tus, comme réduits au silence par lampleur de la catastrophe.
Combien de lieues encore avant quils ne croisent la route de quelque quidam.
Combien de temps avant dapercevoir once de vie dans ces terres désertées.
Regards échangés entre les trois chevaliers, tandis que dans leur dos, ils sentaient langoisse des hommes darme.
Ils avaient évité Guéret. Nul besoin de prendre risque de se retrouver dans foyer dépidémie majeure. La froidure certes étant mordante, mais ils étaient tous des plus habitués à ce type de climat et une nuit au dehors ne saurait les effrayer.
Courte nuit que celle là dailleurs. Hachée entre tours de garde et réveils brusque, leurs sens aux aguets leur interdisant tout sommeil profond et par là même réparateur. Rapide repas pris au petit matin, le soleil blafard encore dissimulé à lest derrière quelque colline. En selle à nouveau, cette fois ci en direction de Bourganeuf. Encore une nuit et ils seraient à Limoges. Encore une nuit et il serait revenu chez lui après des mois et des mois derrance. Encore une nuit et il reverrait ses amis restés en limousin, priant Aristote pour quil nen dénombre aucun parmi les morts fauchés par le Grand Mal.
Fin sourire dépité vers ses deux compagnons alors que pour une nouvelle journée la route déserte sétendait devant eux, dans leurs dos fines banderoles blanchâtres de fumée des cheminées de Guéret se détachant dans le ciel bleu marine. Au loin, derrière un petit bois en dautre temps certainement des plus accueillants, ils pouvaient apercevoir le pendant de ces volutes là. Noirâtre. Epais. Tachant les cieux de sa couleur de mort, semblant monter jusquaux célestes paradis, comme pour les contaminer à leur tour. Cétaient là les restes du Charnier, le brasier entretenu jour et nuit par les cadavres des pestiférés, et qui ne manquerait pas sous peu dêtre alimenté par nouvel arrivage de combustible humain.
Lôdeur entêtante du vinaigre des quatre voleurs, dont le linge noué sur leur visage était imprégné, lui semblait supplice chaque jour renouvelé. Il en allait toutefois de leur vie car sans ces précautions, certes dérisoires, ils nauraient aucune chance déchapper à la malédiction, à moins de faire partie de ces quelques trop rares chanceux qui réussissaient à nen point mourir voire à ne souffrir daucun signe de la peste, comme touchés par quelque grâce divine.
Un regard, à nouveau vers ses amis.
A sa senestre, Cerridween, la rousse, si chère à son cur. Celle à qui il devait tout. Celle qui lavait sauvé de sa perte. Celle qui Maistre darme de la Licorne, elle était chargée de lenseignement du maniement des armes aux écuyers et errants de lOrdre. Lourde tâche que celle là car dun bon apprentissage dépendait la vie dun chevalier. Il la savait des plus capable et ne doutait un seul instant quelle saurait perpétuer lexcellence guerrière de leur Ordre.
A sa dextre, Nith, compagnon de voyage calme et avisé. Diplomate était il au sein de leur Ordre. Là encore fonction importante et majeure. Un Ordre, si puissant fut il, nétait rien seul et sans allié. Voilà quelle était la mission de son frère. Et il savait combien elle pouvait parfois être éprouvant et difficile.
Dame, compagnons, il me tarde de retourner en ma demeure. Je lai quittée depuis si longtemps que jen aurais presque oublié son arrangement. Espérons quà linstar de ces campagnes traversées, elle nait par trop changé.
Haussement bref des épaules, tandis que sa main dextre désignait les environs.
En dautre temps ces terres là seraient joyeuses et animées, je vous lassure. Nous aurions pu faire bombance en quelque taverne de Guéret, ville réputée en Limousin pour ses tabourets. Peut être un jour pourrais je vous expliquer le pourquoi de ceci. Chaque voyageur croisé aurait été occasion dengager conversation, liant mille et mille rencontres riches et chaleureuses. Bourganeuf et ses auberges avenantes nous aurait ouvert ses portes et jaurais pu vous faire découvrir ses spécialités et ses lieux les plus animés. Et Limoges Ha, Limoges. Perle du Limousin. Vous
La lassitude soudain, eu raison de son envolée. Tristesse. Fatigue. Il nétait plus temps pour cela. Si Aristote et tous ses saints guérisseurs le voulaient, ils pourraient à nouveau goûter à ces simples plaisirs. Avant toute chose, ils avaient autre tâche. Autre préoccupation.
Le Grand Maitre de la Licorne reprit alors la parole, dune voix cette fois ci grave et empreinte de détermination.
Nous éviterons Bourganeuf comme nous avons évité Guéret. Une fois en Limoges, nous irons voir notre frère Stannis afin que de prendre connaissance de la situation, puis je vous accueillerai en mes terres du Bazaneix où nous pourrons trouver quelque repos réparateur et te mettre, Nith, à l'abri d'une possible contagion, de par ton état des plus faible. Ensuite, nous pourrons commencer à prodiguer soins et apporter sécurité aux routes limousines.
Regard embrassant lhorizon avant que de regarder à nouveau ses deux compagnons.
Il ne sera pas dit que la Licorne sest dédite de son devoir, mes amis.
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