Lunedor
Excédée par les soupirs continuels de la valetaille qui tente de mettre un peu d'ordre dans la tente malemortienne avant le retour de la comtesse, Lune' entreprit de mettre à profit ce moment de calme comme on le lui suggérait de manière chaque fois un peu plus pressante, à savoir cesser d'être toujours dans le passage et aller faire quelques pas à l'extérieur, en prenant bien sûr garde de ne pas s'éloigner et de ne surtout jamais quitter le sentier. L'air revêche comme elle savait si bien le faire, elle revint quelques instants farfouiller dans ses affaires pour y chercher ce qu'elle y avait oublié. les domestiques s'efforçaient de ne pas la heurter alors qu'ils s'affairaient tous à ranger on ne sait quoi.
Elle ne fit que quelques pas à l'extérieur avant de s'asseoir avec précaution dans l'herbe fraîche de ce début d'automne. Machinalement, elle passa sa main sur la table de l'instrument avant de le caler sous son bras. Sa main gauche vint agripper le manche de bois léger. La jeune fille commença à jouer un de ces morceaux que l'on apprend dans les débuts de la pratique et que l'on joue à longueur de temps moins parce qu'on les apprécie que parce qu'on sait les jouer tout simplement.
Le court morceau joyeux achevé, elle s'essaya à une pavane plus difficile. Les minces doigts égrenaient avec maladresse les accords retors qui faisaient chanter les doubles cordes du luth. Elle fit une erreur, recommença, chuta à nouveau au même endroit. Respirant profondément, elle essayait de ne pas se crisper et de garder la souplesse d'exécution qui lui permettrait de venir à bout de cette oeuvre. voilà qui était fait. Elle avait toutes les notes et on reconnaître au moins vaguement la mélodie originale. C'était mieux que rien.
peut-être même qu'elle pourrait... Elle reprit la pavane au début, exposa le premier thème. C'est à la reprise qu'elle commença à fredonner:
Lo tems vai e ven e vire
Per jorns, per mes e per ans
E eu las non sai que di.. Une dissonnance soudaine vint interrompre la voix qui commençait à s'affermir. Elle s'arrêta de jouer.
Ce n'est donc pas encore aujourd'hui qu'elle y arriverait.
Ce refrain douloureux du rondeau de ses espoirs déçus revenait à nouveau la hanter. Chaque jour voyait s'éloigner un peu plus la perspective que ses rêves se réalisent. Quand elle croyait les toucher du bout des doigts, ils se dérobaient subitement à son étreinte. Il fallait qu'elle s'y fasse et qu'elle l'accepte, elle ne serait jamais une musicienne digne des trobairitz des temps anciens. Elle devrait se contenter de son petit talent quelconque.
NON! Hors de question! Ce serait l'excellence ou rien! Puis qu'elle ne pouvait atteindre l'excellence, ce serait donc rien!
Joignant le geste à la pensée, elle jeta son luth aussi loin d'elle qu'elle pût. Lune' ne prit même pas garde au bruit sec que fit l'instrument en se brisant sur une pierre particulièrement pointue du chemin. Elle ne jouerait plus jamais, elle se le jurait.
Puisque ce rêve là s'effondrait, elle se concentrerait sur son autre but, son objectif ultime, celui qui la tenait parfois éveillée la nuit alors qu'elle s'imaginait ce que cela ferait, ce qu'elle ressentirait le jour où il s'accomplirait, le jour où elle serait à nouveau libre. Libre d'aller où elle voulait, libre de faire ce qu'elle voulait et plus que tout, libre de ne plus avoir peur. Ne plus avoir peur de s'élançer sur un sentier inconnu, pouvoir courir à nouveau sans craindre de trébucher sur une racine ou une pierre. Ce jour-là elle pourrait respirer à nouveau sans entraves, délivrée du poids oppressant qui ne quittait jamais sa poitrine. Il savait se faire discret parfois mais il demeurait toujours là, tel une puce sur le dos d'un gueux.
Ses poings se serrèrent. Oui, ce serait un beau jour que celui-là. Le mot beauté retrouverait alors sa pleine et entière signification. Ces années seraient oubliées aussitôt, elle ne leur laisserait pas la possibilité de lui gâcher la vie par leur souvenir. Le Jour de Lumière viendrait et ce serait alors une joie telle qu'il n'y en eut jamais et telle qu'il n'y en aura jamais plus.
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Elle ne fit que quelques pas à l'extérieur avant de s'asseoir avec précaution dans l'herbe fraîche de ce début d'automne. Machinalement, elle passa sa main sur la table de l'instrument avant de le caler sous son bras. Sa main gauche vint agripper le manche de bois léger. La jeune fille commença à jouer un de ces morceaux que l'on apprend dans les débuts de la pratique et que l'on joue à longueur de temps moins parce qu'on les apprécie que parce qu'on sait les jouer tout simplement.
Le court morceau joyeux achevé, elle s'essaya à une pavane plus difficile. Les minces doigts égrenaient avec maladresse les accords retors qui faisaient chanter les doubles cordes du luth. Elle fit une erreur, recommença, chuta à nouveau au même endroit. Respirant profondément, elle essayait de ne pas se crisper et de garder la souplesse d'exécution qui lui permettrait de venir à bout de cette oeuvre. voilà qui était fait. Elle avait toutes les notes et on reconnaître au moins vaguement la mélodie originale. C'était mieux que rien.
peut-être même qu'elle pourrait... Elle reprit la pavane au début, exposa le premier thème. C'est à la reprise qu'elle commença à fredonner:
Lo tems vai e ven e vire
Per jorns, per mes e per ans
E eu las non sai que di.. Une dissonnance soudaine vint interrompre la voix qui commençait à s'affermir. Elle s'arrêta de jouer.
Ce n'est donc pas encore aujourd'hui qu'elle y arriverait.
Ce refrain douloureux du rondeau de ses espoirs déçus revenait à nouveau la hanter. Chaque jour voyait s'éloigner un peu plus la perspective que ses rêves se réalisent. Quand elle croyait les toucher du bout des doigts, ils se dérobaient subitement à son étreinte. Il fallait qu'elle s'y fasse et qu'elle l'accepte, elle ne serait jamais une musicienne digne des trobairitz des temps anciens. Elle devrait se contenter de son petit talent quelconque.
NON! Hors de question! Ce serait l'excellence ou rien! Puis qu'elle ne pouvait atteindre l'excellence, ce serait donc rien!
Joignant le geste à la pensée, elle jeta son luth aussi loin d'elle qu'elle pût. Lune' ne prit même pas garde au bruit sec que fit l'instrument en se brisant sur une pierre particulièrement pointue du chemin. Elle ne jouerait plus jamais, elle se le jurait.
Puisque ce rêve là s'effondrait, elle se concentrerait sur son autre but, son objectif ultime, celui qui la tenait parfois éveillée la nuit alors qu'elle s'imaginait ce que cela ferait, ce qu'elle ressentirait le jour où il s'accomplirait, le jour où elle serait à nouveau libre. Libre d'aller où elle voulait, libre de faire ce qu'elle voulait et plus que tout, libre de ne plus avoir peur. Ne plus avoir peur de s'élançer sur un sentier inconnu, pouvoir courir à nouveau sans craindre de trébucher sur une racine ou une pierre. Ce jour-là elle pourrait respirer à nouveau sans entraves, délivrée du poids oppressant qui ne quittait jamais sa poitrine. Il savait se faire discret parfois mais il demeurait toujours là, tel une puce sur le dos d'un gueux.
Ses poings se serrèrent. Oui, ce serait un beau jour que celui-là. Le mot beauté retrouverait alors sa pleine et entière signification. Ces années seraient oubliées aussitôt, elle ne leur laisserait pas la possibilité de lui gâcher la vie par leur souvenir. Le Jour de Lumière viendrait et ce serait alors une joie telle qu'il n'y en eut jamais et telle qu'il n'y en aura jamais plus.
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