Milo
[Quelque part entre le Limousin et le Berry]
Au nord approché, lumière aveuglante, halo jaunâtre qui n'a de cesse de venir taquiner leurs yeux, se montrant dès qu'ils osent les lever un peu trop haut pour observer la route devant eux. De part et d'autre de la route, les arbres, encore et toujours. Parfois, quelque piaillement d'oiseau, comme pour accueillir la petite famille.
Au sud quitté, un noble en proie avec ses démons. Enfin, à ce qu'on pourrait en dire. Vaxilart, laissé seul en un village du Limousin après avoir disparu depuis des jours. Et le paysage d'un comté plus fantôme qu'un vieux château quitté peu à peu, pour retrouver celui du Berry, qu'il n'a revu depuis nombre d'années.
Et dans leur sillage, une présence. Sourde, angoissante, lancinante. Il ne l'a pas remarqué au premier abord, trop occupé à avoir l'esprit rivé sur sa famille et en particulier sa fille. Petit être sans défense, étrange car elle ne sait pas encore communiquer avec lui. Qui pleure sans qu'il ne sache pourquoi, questions sans réponses qui tourbillonnent dans son esprit, le pire des tourments à ses yeux.
Car il le sait, ruminer ses inquiétudes ne fait qu'empirer les choses. Tout comme s'inquiéter du comportement étrange que la mère entretient avec la fille. Peut-être est-ce pour ça, qu'il ne l'a pas remarqué. Situation déjà vécue, lointaine et pourtant si proche, de celle où la mère se détache de l'enfant jusqu'à l'indifférence. D'abord par bribes, et qui sait, avec le temps et ce voyage, peut-être pour de bon.
Pourtant, parmi ses doutes et ses interrogations, il l'a senti. Une fois le monde civilisé quitté, lorsqu'il ne reste plus qu'un paysage jalonné de cultures éparses. Un picotement dans la nuque, différent de celui qu'il a ressenti plusieurs fois lorsqu'il n'était pas la proie. Un hérissement des poils, à peine perceptible, mais pourtant bien là. Inquiétant.
Alors, pour être sûr, pour que le doute se dissipe et qu'il puisse se concentrer sur l'étrange relation mère/fille, la charrette fut arrêtée. Elin, nichée contre lui dans son écharpe, laissée à Breiz. Pied à terre, Grani détaché, bâton récupéré par la senestre et baiser déposé sur le front de sa bien-aimée. Une phrase, une seule, claquant dans l'air comme les coups de fouet d'autrefois.
- Ne t'arrêtes pas avant la prochaine ville.
Azurs aux teintes verrouillées, neutres, froides, qui talonnent le hongre comme si leur vie en dépend. S'éloigner loin, si loin qu'en se retournant, il ne peut apercevoir que les doigts crochus des arbres, lorsqu'ils ne lui cinglent pas le visage. Mettre le plus de distance possible entre sa famille et cette menace. Réelle ou chimérique, il ne le sait encore. Mais dans le doute, il préfère les savoir en sécurité.
Le hongre est arrêté d'un geste sec, trop, à telle fin que le mord lui arrache un hennissement de douleur. Mais le géant n'en a cure, attention aux aguets, scrutant la flore épaisse de pars et d'autre de sa position. Il met pied à terre, attachant les rênes à la selle de l'alezan et raffermit d'une main ferme sa prise sur le bout de bois qui lui sert d'arme. Essayant d'oublier la moiteur de sa dextre, la douleur de sa senestre.
Un mouvement, au coin de l'oeil. Et une douleur, cuisante, alors que son corps bascule en avant. Mauvais réflexe, la main gauche est tendue pour amortir la chute, douleur irradiant sa paume et remontant le long de son bras. Il se mord la lèvre, pour s'empêcher d'hurler de douleur tant le choc est rude.
Instinct de survie, hasard ou geste mécanique, il se déporte sur la gauche tandis qu'un nouvel éclair, argenté cette fois-ci, passe devant ses yeux. Qu'il relève pour observer son assaillant, alors que la surprise laisse place à la colère. Brumes du passé qui s'étiolent, lorsque le visage se présente à lui. Il le connaît. Ce rictus amère sur les lèvres moqueuses, ces yeux froids et perçants. Un mercenaire, détroussé de la plupart de ses biens, lorsqu'il était encore à écumer les routes à la recherche de sa survie.
Il crache à terre, signifiant par là son mépris pour l'homme qui lui fait face. Autre moyen de gagner du temps, pour permettre à la rouquine de s'échapper, au loin. Et les coups d'êtres esquivés, tant bien que mal, l'acier entaillant le bois tendre de son bâton, arme dérisoire face au tranchant du métal. Les coups pleuvent, il esquive à peine. Le blond rit, le géant souffre. Le soldat réclame vengeance, le roturier craint pour sa famille.
Et la fatigue de s'accumuler, le rendant faible et las, quand la haine nourrit l'ennemi. Il est lent, trop, pour le mercenaire habitué à se battre. Quelques fois, il arrive à le repousser, le temps de reprendre son souffle, avant le prochain assaut, toujours plus violent que le précédent.
Jusqu'à qu'une autre douleur irradie dans l'une de ses cuisses. Il ne la sent pas tout de suite, l'adrénaline faisant bien son travail. Il ne s'en rend compte que lorsqu'il prend quelques secondes de repos. Quelques secondes qui suffisent à réveiller le tourment infligé par l'épée. Il s'infiltre, s'insinue, abat une à une les remparts érigées par le géant, remontant jusqu'à sa gorge en un cri rauque, alors qu'il tente le tout pour le tout contre cet homme qu'il ne connait que de vue.
Peu lui importe les coups, la colère se mue en haine, la douleur en rage. Si le bâton n'est que charpie, il lui reste encore une arme, cachée au creux de son bras, comme le lui a appris sa femme. Hurlement quasi bestial, il se jette sur son ennemi, atout maladroitement sorti, lui faisant perdre de précieuses secondes. Car il est plusieurs choses qu'il doit protéger, outre ceux qu'il aime. Cette blessure, qui repaît une terre toujours plus avide. Cette main, vêtue de noir et handicapée de moitié.
Et la bête, enchainée, de se libérer.
Peu importe le reste. Passé et présent ne font plus qu'un. Bête et homme, haine et douleur, il frappe sans regarder. Le roux se mélange au brun pour devenir vermeille, tout comme le fluide qui se répand sur l'humus pourri. Les couleurs fusionnent pour ne plus faire qu'un, un qui est sa cible.
Combat à mort qui se joue entre deux inconnus, dont aucun des deux ne sortira vainqueur. Le fracas des armes contre une pluie de larmes, ensanglantées, sang et sueur mélangés, pour le plus grand effroi d'une nature pétrifiée. Et la dague, libératrice, de se planter une dernière fois dans le corps de son ennemi.
Il se laisse tomber à demi sur lui, avant de glisser sur le dos. Vit-il encore ? Respire-t-il encore ? C'est le cadet de ses soucis. Azurs qui se plissent, tandis qu'il tente de rassembler ses idées. Mais l'excitation est retombée et en digne putain d'un soir, elle repart dans l'oubli aussi vite qu'elle était arrivée. Pour laisser place aux tourments, qui le ronge peu à peu. Son corps n'est plus qu'agonie, lui arrachant un hurlement de douleur chaque fois qu'il ose bouger, appuyant à chaque fois sur la cuisse blessée. Indignée du traitement infligé, elle le lui rend au centuple, supplice cuisant chaque fois que le cuir de son pantalon crisse sur la peau mutilée.
Le géant se mord la lèvre, tend la main petit à petit vers l'endroit où il a laissé l'équidé. L'idée que l'animal est peut-être mort ou pis, qu'il soit gardé par les compagnons du mercenaire ne l'effleure même pas, tant l'instinct de survie mêlé à celui de la peur est plus fort que tout.
Il doit les revoir une dernière fois, il ne peut pas mourir comme ça. Pas ici, pas tout de suite. Effleurer son tatouage, revoir sa petite main serrer si fort son annulaire, l'entendre réclamer un chat à pourchasser. Il ne doit pas... Sombrer.
Au nord approché, lumière aveuglante, halo jaunâtre qui n'a de cesse de venir taquiner leurs yeux, se montrant dès qu'ils osent les lever un peu trop haut pour observer la route devant eux. De part et d'autre de la route, les arbres, encore et toujours. Parfois, quelque piaillement d'oiseau, comme pour accueillir la petite famille.
Au sud quitté, un noble en proie avec ses démons. Enfin, à ce qu'on pourrait en dire. Vaxilart, laissé seul en un village du Limousin après avoir disparu depuis des jours. Et le paysage d'un comté plus fantôme qu'un vieux château quitté peu à peu, pour retrouver celui du Berry, qu'il n'a revu depuis nombre d'années.
Et dans leur sillage, une présence. Sourde, angoissante, lancinante. Il ne l'a pas remarqué au premier abord, trop occupé à avoir l'esprit rivé sur sa famille et en particulier sa fille. Petit être sans défense, étrange car elle ne sait pas encore communiquer avec lui. Qui pleure sans qu'il ne sache pourquoi, questions sans réponses qui tourbillonnent dans son esprit, le pire des tourments à ses yeux.
Car il le sait, ruminer ses inquiétudes ne fait qu'empirer les choses. Tout comme s'inquiéter du comportement étrange que la mère entretient avec la fille. Peut-être est-ce pour ça, qu'il ne l'a pas remarqué. Situation déjà vécue, lointaine et pourtant si proche, de celle où la mère se détache de l'enfant jusqu'à l'indifférence. D'abord par bribes, et qui sait, avec le temps et ce voyage, peut-être pour de bon.
Pourtant, parmi ses doutes et ses interrogations, il l'a senti. Une fois le monde civilisé quitté, lorsqu'il ne reste plus qu'un paysage jalonné de cultures éparses. Un picotement dans la nuque, différent de celui qu'il a ressenti plusieurs fois lorsqu'il n'était pas la proie. Un hérissement des poils, à peine perceptible, mais pourtant bien là. Inquiétant.
Alors, pour être sûr, pour que le doute se dissipe et qu'il puisse se concentrer sur l'étrange relation mère/fille, la charrette fut arrêtée. Elin, nichée contre lui dans son écharpe, laissée à Breiz. Pied à terre, Grani détaché, bâton récupéré par la senestre et baiser déposé sur le front de sa bien-aimée. Une phrase, une seule, claquant dans l'air comme les coups de fouet d'autrefois.
- Ne t'arrêtes pas avant la prochaine ville.
Azurs aux teintes verrouillées, neutres, froides, qui talonnent le hongre comme si leur vie en dépend. S'éloigner loin, si loin qu'en se retournant, il ne peut apercevoir que les doigts crochus des arbres, lorsqu'ils ne lui cinglent pas le visage. Mettre le plus de distance possible entre sa famille et cette menace. Réelle ou chimérique, il ne le sait encore. Mais dans le doute, il préfère les savoir en sécurité.
Le hongre est arrêté d'un geste sec, trop, à telle fin que le mord lui arrache un hennissement de douleur. Mais le géant n'en a cure, attention aux aguets, scrutant la flore épaisse de pars et d'autre de sa position. Il met pied à terre, attachant les rênes à la selle de l'alezan et raffermit d'une main ferme sa prise sur le bout de bois qui lui sert d'arme. Essayant d'oublier la moiteur de sa dextre, la douleur de sa senestre.
Un mouvement, au coin de l'oeil. Et une douleur, cuisante, alors que son corps bascule en avant. Mauvais réflexe, la main gauche est tendue pour amortir la chute, douleur irradiant sa paume et remontant le long de son bras. Il se mord la lèvre, pour s'empêcher d'hurler de douleur tant le choc est rude.
Instinct de survie, hasard ou geste mécanique, il se déporte sur la gauche tandis qu'un nouvel éclair, argenté cette fois-ci, passe devant ses yeux. Qu'il relève pour observer son assaillant, alors que la surprise laisse place à la colère. Brumes du passé qui s'étiolent, lorsque le visage se présente à lui. Il le connaît. Ce rictus amère sur les lèvres moqueuses, ces yeux froids et perçants. Un mercenaire, détroussé de la plupart de ses biens, lorsqu'il était encore à écumer les routes à la recherche de sa survie.
Il crache à terre, signifiant par là son mépris pour l'homme qui lui fait face. Autre moyen de gagner du temps, pour permettre à la rouquine de s'échapper, au loin. Et les coups d'êtres esquivés, tant bien que mal, l'acier entaillant le bois tendre de son bâton, arme dérisoire face au tranchant du métal. Les coups pleuvent, il esquive à peine. Le blond rit, le géant souffre. Le soldat réclame vengeance, le roturier craint pour sa famille.
Et la fatigue de s'accumuler, le rendant faible et las, quand la haine nourrit l'ennemi. Il est lent, trop, pour le mercenaire habitué à se battre. Quelques fois, il arrive à le repousser, le temps de reprendre son souffle, avant le prochain assaut, toujours plus violent que le précédent.
Jusqu'à qu'une autre douleur irradie dans l'une de ses cuisses. Il ne la sent pas tout de suite, l'adrénaline faisant bien son travail. Il ne s'en rend compte que lorsqu'il prend quelques secondes de repos. Quelques secondes qui suffisent à réveiller le tourment infligé par l'épée. Il s'infiltre, s'insinue, abat une à une les remparts érigées par le géant, remontant jusqu'à sa gorge en un cri rauque, alors qu'il tente le tout pour le tout contre cet homme qu'il ne connait que de vue.
Peu lui importe les coups, la colère se mue en haine, la douleur en rage. Si le bâton n'est que charpie, il lui reste encore une arme, cachée au creux de son bras, comme le lui a appris sa femme. Hurlement quasi bestial, il se jette sur son ennemi, atout maladroitement sorti, lui faisant perdre de précieuses secondes. Car il est plusieurs choses qu'il doit protéger, outre ceux qu'il aime. Cette blessure, qui repaît une terre toujours plus avide. Cette main, vêtue de noir et handicapée de moitié.
Et la bête, enchainée, de se libérer.
Peu importe le reste. Passé et présent ne font plus qu'un. Bête et homme, haine et douleur, il frappe sans regarder. Le roux se mélange au brun pour devenir vermeille, tout comme le fluide qui se répand sur l'humus pourri. Les couleurs fusionnent pour ne plus faire qu'un, un qui est sa cible.
Combat à mort qui se joue entre deux inconnus, dont aucun des deux ne sortira vainqueur. Le fracas des armes contre une pluie de larmes, ensanglantées, sang et sueur mélangés, pour le plus grand effroi d'une nature pétrifiée. Et la dague, libératrice, de se planter une dernière fois dans le corps de son ennemi.
Il se laisse tomber à demi sur lui, avant de glisser sur le dos. Vit-il encore ? Respire-t-il encore ? C'est le cadet de ses soucis. Azurs qui se plissent, tandis qu'il tente de rassembler ses idées. Mais l'excitation est retombée et en digne putain d'un soir, elle repart dans l'oubli aussi vite qu'elle était arrivée. Pour laisser place aux tourments, qui le ronge peu à peu. Son corps n'est plus qu'agonie, lui arrachant un hurlement de douleur chaque fois qu'il ose bouger, appuyant à chaque fois sur la cuisse blessée. Indignée du traitement infligé, elle le lui rend au centuple, supplice cuisant chaque fois que le cuir de son pantalon crisse sur la peau mutilée.
Le géant se mord la lèvre, tend la main petit à petit vers l'endroit où il a laissé l'équidé. L'idée que l'animal est peut-être mort ou pis, qu'il soit gardé par les compagnons du mercenaire ne l'effleure même pas, tant l'instinct de survie mêlé à celui de la peur est plus fort que tout.
Il doit les revoir une dernière fois, il ne peut pas mourir comme ça. Pas ici, pas tout de suite. Effleurer son tatouage, revoir sa petite main serrer si fort son annulaire, l'entendre réclamer un chat à pourchasser. Il ne doit pas... Sombrer.