Citation:De Léard, Comté du Maine, Domaine Royal, Royaume de France,
Le mois de juillet MCDLVIII, le XVIIIe jour.
Ma vassale,
Votre lettre me comble d'aise et me ravit.
Depuis notre entrevue en Paris, il m'était assurément complexe de vous mander précisément la situation en mes terres ; ceci car, comme vous en avez certainement entendu parler, une mobilisation massive visant à défendre le Maine m'a adoncques pris beaucoup de mon temps. Et, pour ne rien vous cacher, nos vassaux étant respectivement en Maine et en Anjou, vous paraissiez la mieux placée pour se faire.
Je n'avais point de trop grandes inquiétudes sur l'état de Versannat en vous la confiant, car je savais la terre en question en bon ordre. J'avais fais, comme vous en avez peut-être souvenance, mon arrivée en terre de Marche voilà maintenant cinq années, lors de ma reprise en main de la Vicomté d'Isle ; et les travaux d'entretiens du manoir avaient été effectués lors à ma demande, notamment par les services de Mestre Olagarrey, d'Aurillac, qui accepta dès lors de devenir nostre Mestre d'oeuvre attitré. Il a effectué à ce temps un travail fort satisfaisant à Isle, et m'a permis beaucoup plus que moi-même de vous transmettre ces terres en un état acceptable.
Le fait que vous ayiez remarqué le bon état des lieux indique donc que son travail fut bien fait.
C'est une information de taille à retenir pour la suite des évènements. J'en fais donc bonne note.
Pour la route d'Isle, je vous charge d'effectuer les réparations qui s'imposeront en vous appuyant sur vos serfs ; je pense que leur activité devrait suffire à lui redonner bonne mine. Quant au pont, il me fait souvenance l'avoir jà emprunté pour passer la Vienne, et avoir en effet constaté son état de délabrement.
Mais arguant sur la douceur de l'hiver et la résistance du bois utilisé, il est possible que mes espérances aient été... Sur-estimées.
Je vous invite donc à contacter à Isle mestre Olagarrey de ce pas pour entreprendre les travaux qui s'imposent. En effet, bien que le bois soit un matériaux peu coûteux, il me déplairait de devoir reprendre des réparations de façon fréquente. Aussi vous invite-je donc à lui faire commande d'un ouvrage de pierre, tout en insistant fortement auprès de lui pour que les travaux soient achevés avant l'hiver : car ayant déjà connu la chose, il me déplairait fort que le gel s'infiltre dans l'ouvrage, et le fragilise...
Vous puiserez en les fonds de la Seigneurie pour l'aménagement des routes, qui sera l'aménagement le moins coûteux.
Pour ce qui est du pont, vous me ferez suivre par la même voie le devis de mestre Olagarrey, auquel je mettrais mon aval et le financerais, à hauteur des neuf-dixièmes ; le reste serait donc, lors, à votre débit.
Pour les bovins, je ne puis que m'en montrer heureux. Vous semblez gérer la chose de main de maitre. Néanmoins, une remarque me parait ici nécessaire, que je me permets de vous énoncer :
Le problème majeur du bovin étant, au cours de l'hiver, qu'il coûte de l'argent au lieu d'en rapporter. Et, bien que celui-ci soit rentable (je n'en disconviens pas), il se trouve néanmoins que des dépenses de cette sorte créeraient néanmoins un déséquilibre dans les finances de la Vicomté : comment prévoir des chantiers, si de telles dépenses subviennent une fois l'an ? Quel intérêt de rapporter quinze mille écus, si elle en coûte deux mille de céréales ?
Je vous invite donc, ma chère, à vous mettre en lien avec Rufus, mon bras droit, qui est aussi Intendant d'Isle.
Il vous baillera ainsi les céréales qui profiteront aux bêtes, tout en vous évitant des dépenses plus lourdes que celles dont vous feriez l'objet en achetant hors d'Isle.
Et je vous invite de plus, et ce dans le courant de l'année à venir, à développer l'activité céréalière en vos terres ; ceci afin que, pour l'année prochaine, vous puissiez subvenir à l'élevage des bêtes au moyen de vos propres fonds propres. Ainsi, vous comme moi, nous n'y trouverions que contentement à voir ainsi chacun fonctionner dans l'auto-suffisance :
Vous entretiendriez le cheptel à prix infime, et je garderais mes céréales de façon à, lors de leur revente, pouvoir renflouer les caisses d'Isle.
Quant à la Vienne, vous n'êtes pas sans savoir qu'elle gagne en puissance à mesure qu'elle quitte Limoges ; ainsi, l'un des chantiers que nous développerons prochainement, à mon sens, sur les prochaines années, sera un possible développement de l'activité commerciale sur celle-ci. Il est ainsi bon que vous sachiez qu'à l'heure actuelle, plus sûre que la route et moins chère, la Vienne nous permet de faire transiter certaines de nos marchandises ; mais je vous avoues que l'idée d'avoir peut être à terme deux ou trois barges pour la descendre vers Saint-Junien, Etagnac, Confolens ou Chabanais, voire sinon de les remonter vers Limoges me séduit au plus haut point ; en nous évitant des frais de transport, elle nous assurerait probablement plus d'aisance. Mais ce n'est encore qu'une idée, et nous aurons le temps d'en reparler.
Néanmoins, je vous invite autant que faire se peut à effectivement y encourager la pêche : prix intéressants, baisse des loyers... A vous de voir ; du moment que le serf ne délaisse point son champ et peut aussi trouver son compte en l'affaire.
Mais néanmoins, à la lecture de votre courrier, des questions m'assaillent :
Vous parlez certes de la gestion des terres, mais qu'en est-il de celle de votre vie ? Comment vous portez-vous ? Et votre famille, ainsi que votre mère ? Je présume que les derniers drames récents doivent avoir entaillés furieusement la joie de vivre de votre chère mère ; il me serait regrettable qu'elle bascule dans la dépression... Faites m'en part ; et peut-être saurions-nous lui indiquer quelque juïu qui puisse, avec ses décoctions de pisse froide, lui rendre l'appétance et l'esprit.
Votre fiancé se porte-t-il bien ? Car, ma chère âme, tout autant que les terres, c'est votre aise personnelle qui m'intéresse ; sinon, comment gérer correctement des terres, le moral aux talons ?
Mais, devant ces questions quelques peu personnelles, je l'avoue, me viennent d'autres demandes.
Sauriez-vous ainsi, ma chère, en l'absence de vos voisins, pratiquer même état des lieux que celui que vous me fites de Versannat ? Je pense qu'ainsi, nous serions mieux à même d'envisager, et vous et moi, les aménagements qui s'imposeraient. Thias et Merignac auront besoin de quelques travaux, je le gage ; même si, je vous l'avoue, la bonne santé des terres me rassure.
Je me permets maintenant de basculer dans le personnel :
Vous ne serez ainsi peut-être pas sans savoir que votre suzerain a récemment perdu sa mère ; ainsi, la Comtesse Daresha de Riddermark s'en est allée rejoindre le très-haut, nous laissant en notre infinie douleur de fils.
Et une fois les obsèques pratiquées, vous devez savoir que nous sommes ainsi devenus Comte de Scye et Baron de Saint-Laurent.
Un état de fait qui nous permet d'envisager l'avenir, en tout cas financier, sur un pied serein, malgré notre détresse évidente. Ainsi, il est dans nos projets de rentrer bientôt en terre d'Empire afin que de subvenir, là-bas, aux besoins les plus urgents qui s'y trouveront.
Il est ainsi possible, ma dame, que Isle ait droit à un grossissement de ses finances.
Mais je m'inquiète pour vous, sachez-le. Et je m'interroge surtout sur votre entourage : ainsi, disposez-vous à votre proximité d'une personne de confiance qui sache manier les chiffres ? Car si tel n'était le cas, je me ferais fort de vous en bailler un pieux moine de Noirlac qui, gageons-le, saurait vous aider en ce sens ; ces gens n'ont pas leur pareil avec les virgules et autres additions.
En l'attente de votre réponse, et en remerciement de vos nouvelles fort heureuses,
Nous vous transmettons nos amitiés, et notre reconnaissance.
Sa Grandeur Adrian Fauconnier de Riddermark,
Comte de Scye,
Vicomte d'Isle et de Montbarrey,
Baron de Saint-Laurent.