Edern
Anjou.
Terre de folie...
À ce qu'on dit.
C'est la destination du Fou. Des tavernes bretonnes aux geôles mainoises, il n'a cessé d'écouter les petites phrases et les grands discours, les cris de guerre et les chuchotis inquiets. Il a guetté les froncements de sourcils, les airs entendus et attendu que l'hameçon soit mordu. Quelques tranquilles questions pour orienter comme il se doit une conversation vers ses sujets de prédilection : mouvements de pions, improbables nuds, avenirs orageux et matière à inspiration... Puis il a frappé aux bonnes portes, s'est vu prêter quelques clés sans lesquelles il ne s'amuserait pas tant. La dernière en date ? Ambassadeur ! C'est que le Maine, si haut en couleur, lui manque déjà... Bien sûr, il n'ira pas jusqu'à ouvrir les grands portails de chêne massif : ne l'intéressent que le pouvoir des mots et tous les moyens de le faire grandir indéfiniment, démesurément. Le temps passe ? Il le dépassera. Il a déjà commencé à se déployer, comme un soleil caché qui ne demande qu'à rayonner. Contre bien des apparences, aujourd'hui, il n'est pour cela qu'un seul duché...
L'Anjou, là où la folie est semée en contagion.
L'Anjou, là où les enfants sont en construction.
Alors il a passé contrat avec eux, naturellement, sans qu'il ne paraisse s'imposer ou les manipuler. Un tranchant contre un autre. De la subtilité il a l'expérience de plus de dix années ; après avoir bataillé à ses côtés, il va pourtant la partager avec ses puînés pour la première fois, non sans un certain émoi. Ils sauront en faire bon usage, il en est convaincu. Où, quand, comment ? Là n'est pas la question.
Apprendre et enseigner.
Être maître et élève...
Ils sont deux.
Karyl.
D'aucuns chassent rapidement les gamins qui n'ont que le "Pourquoi ?" à la bouche au lieu de se taire sagement. Pourquoi ? Pas à cause des réponses qu'ils peinent à fournir. Parce qu'ils ne le comprennent pas, cet alignement grave et terrible de huit lettres jetées tels des rochers dans le jardin de l'absurdité. Qui plus est chez un bonhomme assez libre pour laisser les mots s'échapper de ses lèvres sans que la barrière de maturité érigée par l'âge de raison ne vienne les retenir. Il en a dans le ventre quand sa mère en a plein le dos...
Calyce.
Caprice ou malice ? Un arbre généalogique à ne pas contrarier tout de suite. Amatrice de friandises en tout genre. Invitée à participer à Angers entre deux concours d'arnaque réciproque qu'il a remportés. C'est qu'elle serait presque douée, si elle ne se laissait pas innocemment piéger... Et surtout, surtout, elle lui a demandé de conter une histoire. La meilleure. La première depuis... depuis... des mois, avant la fuite, la falaise, la renaissance. Oui. Elle l'aura, son histoire. Et d'autres. Le temps de se refaire trouvère...
Une taverne. Choisie pour sa vacuité. Le Fou y a abandonné ses airs, moins pas par souci d'honnêteté - car on n'abuse que les abusés et il ne s'y intéresse pas - que pour mieux se concentrer sur l'ampleur de la tâche qui les attend. On ne jouera pas ici, pas encore ; on y apprendra les règles. Il est toujours temps... même à sept ans. Au double. Au double du double. Tous ont posé leurs instruments de mort sur la table, débarrassée de toute chope pour l'occasion. Il y a là un terrifiant lance-pierres, ainsi que des... épées ? Épées courtes ? Dagues ? Des bouts de lame emmanchés, en tout cas. Dangereux ? Peu importe. Il n'a aucune idée du niveau de ses maîtres d'armes, si ce n'est que Karyl sait "faire la épée" et que Calyce a déjà vécu la vigueur des champs de batailles. Un léger soupçon d'appréhension l'effleurera peut-être, tout à l'heure. Même si, après tout, il y a fort à parier que le maniement de l'épée n'est que l'affaire de quelques instants. Pourquoi échouerait-il là où des milliers de faibles d'esprit réussissent ? Vaudrait-il moins que ces soudards avinés et braillards qu'il éloigne de quelques phrases laconiques dans les bouges où il a décidé de s'établir pour écouter et jouer ? Moins que ces seigneurs qui ne se donnent même pas les moyens de leur arrogance ? Impossible. Une poignée de minutes et il sera un combattant aguerri, à n'en pas douter. Pourquoi a-t-il, soudainement, exigé d'être formé à d'autres armes ? Ce n'est certes pas nécessaire à la transmission du savoir dont il est dépositaire. Mais il s'agit là d'une autre partie... Dans une geôle mainoise, protégé par de fins barreaux, à la limite de l'embrasement, il a pris conscience de l'inédit d'une situation. Contre les guerriers, les bouchers, contre les forces du désespoir, la fureur noire, le Fou ne peut se battre. Impossible de faire entendre... folie... à qui n'entend pas les mots qu'on lui lance. Il lui manque un moyen de stopper la rage dans son élan, la forcer à écouter les paroles qui sont noyées dans la tempête sanglante. Et sans mourir, cela va sans dire... alors une lame de métal devra se trouver entre lui et son adversaire. Le moment est venu de s'entraîner.
On y est. Les bras croisés, le chapeau posé non loin de l'écritoire presque neuf dont on lui a gracieusement fait don en un château breton, Edern regarde alternativement les enfants assis en face de lui, le garçon et la fille, la fille et le garçon, toussote légèrement afin de leur faire comprendre qu'ils ne peuvent plus bavarder comme ils ont l'habitude de le faire. Il rirait presque de s'improviser professeur, lui qui n'a jamais reçu que des traces en héritage. Traces des histoires qui se perdent, des mots qui taillent la route... allons, trêve de ce passé. Ce matin, il faut construire.
"Dis-moi comment bien parler"
Sourire...
Je sais que vous attendez des réponses comme peuvent vous en fournir vos professeurs, parents, curés attitrés. Pourtant, ce n'est pas ce que je vais faire. Je ne vais que vous donner d'autres questions. Écoutez-les bien.
Ce sera frustrant... tant que vous ne verrez pas l'interrogation qui les ponctue.
Que sont les mots ?
Plus brillants qu'à l'accoutumée, les yeux bruns scrutent les visages juvéniles, à la recherche... d'on ne sait quoi.
Comment jouer avec eux ?
Mais avant, avant...
Pourquoi jouer ?
Le regard de l'homme se pose sur les parchemins, l'encrier et l'assortiment de plumes banales installés devant eux, à leur disposition.
Réfléchissez-y. Si vous croyez être distraits par une pensée qui n'a en apparence rien à voir avec cette réflexion, ne la rejetez pas : comprenez pourquoi elle vous est venue. Prenez autant de temps qu'il vous en faudra. Parlez à voix haute, chantez, écrivez si cela vous plaît. Lorsque vous penserez être prêts à me donner une réponse, vous la garderez dans un coin de votre esprit et me la présenterez plus tard, dès que vous serez satisfaits de mes progrès fulgurants dans l'utilisation de...
Le Fou indique l'amoncellement d'armes miniatures d'un léger mouvement de la tête.
... ceci.
Ah, réunir la plume et l'épée en une seule danse...
Que la leçon commence.
Terre de folie...
À ce qu'on dit.
C'est la destination du Fou. Des tavernes bretonnes aux geôles mainoises, il n'a cessé d'écouter les petites phrases et les grands discours, les cris de guerre et les chuchotis inquiets. Il a guetté les froncements de sourcils, les airs entendus et attendu que l'hameçon soit mordu. Quelques tranquilles questions pour orienter comme il se doit une conversation vers ses sujets de prédilection : mouvements de pions, improbables nuds, avenirs orageux et matière à inspiration... Puis il a frappé aux bonnes portes, s'est vu prêter quelques clés sans lesquelles il ne s'amuserait pas tant. La dernière en date ? Ambassadeur ! C'est que le Maine, si haut en couleur, lui manque déjà... Bien sûr, il n'ira pas jusqu'à ouvrir les grands portails de chêne massif : ne l'intéressent que le pouvoir des mots et tous les moyens de le faire grandir indéfiniment, démesurément. Le temps passe ? Il le dépassera. Il a déjà commencé à se déployer, comme un soleil caché qui ne demande qu'à rayonner. Contre bien des apparences, aujourd'hui, il n'est pour cela qu'un seul duché...
L'Anjou, là où la folie est semée en contagion.
L'Anjou, là où les enfants sont en construction.
Alors il a passé contrat avec eux, naturellement, sans qu'il ne paraisse s'imposer ou les manipuler. Un tranchant contre un autre. De la subtilité il a l'expérience de plus de dix années ; après avoir bataillé à ses côtés, il va pourtant la partager avec ses puînés pour la première fois, non sans un certain émoi. Ils sauront en faire bon usage, il en est convaincu. Où, quand, comment ? Là n'est pas la question.
Apprendre et enseigner.
Être maître et élève...
Ils sont deux.
Karyl.
D'aucuns chassent rapidement les gamins qui n'ont que le "Pourquoi ?" à la bouche au lieu de se taire sagement. Pourquoi ? Pas à cause des réponses qu'ils peinent à fournir. Parce qu'ils ne le comprennent pas, cet alignement grave et terrible de huit lettres jetées tels des rochers dans le jardin de l'absurdité. Qui plus est chez un bonhomme assez libre pour laisser les mots s'échapper de ses lèvres sans que la barrière de maturité érigée par l'âge de raison ne vienne les retenir. Il en a dans le ventre quand sa mère en a plein le dos...
Calyce.
Caprice ou malice ? Un arbre généalogique à ne pas contrarier tout de suite. Amatrice de friandises en tout genre. Invitée à participer à Angers entre deux concours d'arnaque réciproque qu'il a remportés. C'est qu'elle serait presque douée, si elle ne se laissait pas innocemment piéger... Et surtout, surtout, elle lui a demandé de conter une histoire. La meilleure. La première depuis... depuis... des mois, avant la fuite, la falaise, la renaissance. Oui. Elle l'aura, son histoire. Et d'autres. Le temps de se refaire trouvère...
Une taverne. Choisie pour sa vacuité. Le Fou y a abandonné ses airs, moins pas par souci d'honnêteté - car on n'abuse que les abusés et il ne s'y intéresse pas - que pour mieux se concentrer sur l'ampleur de la tâche qui les attend. On ne jouera pas ici, pas encore ; on y apprendra les règles. Il est toujours temps... même à sept ans. Au double. Au double du double. Tous ont posé leurs instruments de mort sur la table, débarrassée de toute chope pour l'occasion. Il y a là un terrifiant lance-pierres, ainsi que des... épées ? Épées courtes ? Dagues ? Des bouts de lame emmanchés, en tout cas. Dangereux ? Peu importe. Il n'a aucune idée du niveau de ses maîtres d'armes, si ce n'est que Karyl sait "faire la épée" et que Calyce a déjà vécu la vigueur des champs de batailles. Un léger soupçon d'appréhension l'effleurera peut-être, tout à l'heure. Même si, après tout, il y a fort à parier que le maniement de l'épée n'est que l'affaire de quelques instants. Pourquoi échouerait-il là où des milliers de faibles d'esprit réussissent ? Vaudrait-il moins que ces soudards avinés et braillards qu'il éloigne de quelques phrases laconiques dans les bouges où il a décidé de s'établir pour écouter et jouer ? Moins que ces seigneurs qui ne se donnent même pas les moyens de leur arrogance ? Impossible. Une poignée de minutes et il sera un combattant aguerri, à n'en pas douter. Pourquoi a-t-il, soudainement, exigé d'être formé à d'autres armes ? Ce n'est certes pas nécessaire à la transmission du savoir dont il est dépositaire. Mais il s'agit là d'une autre partie... Dans une geôle mainoise, protégé par de fins barreaux, à la limite de l'embrasement, il a pris conscience de l'inédit d'une situation. Contre les guerriers, les bouchers, contre les forces du désespoir, la fureur noire, le Fou ne peut se battre. Impossible de faire entendre... folie... à qui n'entend pas les mots qu'on lui lance. Il lui manque un moyen de stopper la rage dans son élan, la forcer à écouter les paroles qui sont noyées dans la tempête sanglante. Et sans mourir, cela va sans dire... alors une lame de métal devra se trouver entre lui et son adversaire. Le moment est venu de s'entraîner.
On y est. Les bras croisés, le chapeau posé non loin de l'écritoire presque neuf dont on lui a gracieusement fait don en un château breton, Edern regarde alternativement les enfants assis en face de lui, le garçon et la fille, la fille et le garçon, toussote légèrement afin de leur faire comprendre qu'ils ne peuvent plus bavarder comme ils ont l'habitude de le faire. Il rirait presque de s'improviser professeur, lui qui n'a jamais reçu que des traces en héritage. Traces des histoires qui se perdent, des mots qui taillent la route... allons, trêve de ce passé. Ce matin, il faut construire.
"Dis-moi comment bien parler"
Sourire...
Je sais que vous attendez des réponses comme peuvent vous en fournir vos professeurs, parents, curés attitrés. Pourtant, ce n'est pas ce que je vais faire. Je ne vais que vous donner d'autres questions. Écoutez-les bien.
Ce sera frustrant... tant que vous ne verrez pas l'interrogation qui les ponctue.
Que sont les mots ?
Plus brillants qu'à l'accoutumée, les yeux bruns scrutent les visages juvéniles, à la recherche... d'on ne sait quoi.
Comment jouer avec eux ?
Mais avant, avant...
Pourquoi jouer ?
Le regard de l'homme se pose sur les parchemins, l'encrier et l'assortiment de plumes banales installés devant eux, à leur disposition.
Réfléchissez-y. Si vous croyez être distraits par une pensée qui n'a en apparence rien à voir avec cette réflexion, ne la rejetez pas : comprenez pourquoi elle vous est venue. Prenez autant de temps qu'il vous en faudra. Parlez à voix haute, chantez, écrivez si cela vous plaît. Lorsque vous penserez être prêts à me donner une réponse, vous la garderez dans un coin de votre esprit et me la présenterez plus tard, dès que vous serez satisfaits de mes progrès fulgurants dans l'utilisation de...
Le Fou indique l'amoncellement d'armes miniatures d'un léger mouvement de la tête.
... ceci.
Ah, réunir la plume et l'épée en une seule danse...
Que la leçon commence.