V
La première chose qui frappa mon esprit quand jatteignis Sandinovia, outre le fait quune personne avait rajouté au « bienvenu » de la pancarte la mention «et tout bronzé » à laquelle je ne trouvais aucun fondement ni sens, fut la main courante en bordure dune voie pavée aussi plate quune table. Hésitant, ne sachant trop comment interpréter la présence de cet accessoire, je me décidais enfin et passais larche de pierres taillées qui marque lentrée de Sandinovia, à peine venais-je de faire mon premier pas que la voie se changea en escalier descendant, je manquais tomber et neut la vie sauve ce jour là que grâce à la main courante que javais ignoré en entrant dans ce nouveau territoire.
Le premier habitant que je croisais après que lescalier fut redevenu plat me fit bonne impression, je lui relatais lincident de ma presque chute ce à quoi il me répondit que chez eux un proverbe disait « Pas de rampe, rampe
» Je maquillais mon incompréhension par une attitude goguenarde et continuais à discuter avec lui comme si de rien nétait. Il faut dire quà Sandinovia, je le constatais plus tard, les proverbes sont légions, tout comme les jeux de mots dont la plupart sont incompréhensibles. Bien que mon interlocuteur soit un brin fantasque, jacceptais son invitation à demeurer chez lui quelques jours.
Rassuré par mon guide après que la morphologie du sol ait changé soudainement, je marchais sur ses traces et attendais fébrilement le prochain soubresaut de la terre, qui mexpliqua til tout en marchant, était agitée régulièrement au point que la montagne du jour se retrouvait plaine le lendemain. Cest nauséeux suite aux ondulations répétées du sol que je contemplais le village où mon hôte avait sa maison. Pour ne pas être trop incommodé par les poussées de fièvre de la terre qui les portait, cest dans les arbres quétaient construites les maisons.
En dépit dun mal de terre quasi permanent du à la topographie versatile de leur contrée je passais une demi lune en compagnie des Sandinistes, je leur contais le monde et son histoire pour laquelle ils montraient un grand intérêt mayant avoué ne jamais aller à lextérieur de leur pays depuis quils étaient sans nouvelle dun couple parti en voyage hors des frontières.
De leur esprit joueur je fis les frais un soir où leur parlant des Huns ils neurent de cesse que de me demander à tour de rôle si cétait les Huns de Troie, le reste de lassemblée accompagnant le quémandeur dun refrain en espagnol dont le début faisait « Un dos tres
».
Deux jappris que si leur terre bougeait pareillement cest que la moindre action produite par un habitant de Sandinovia linfluençait et quà ce titre ils cultivaient un nature rigolarde et partageuse comme antidote au malaise que provoquaient les sautes dhumeur, les hauts et les bas, la géologie soupe au lait de leur pays.
Jai gardé en mémoire un de leurs nombreux adages qui résume bien létat desprit des Sandinistes « Whats goes up must come down »*.
A ces humains sans croyance à qui je voulais donner la chance den adopter une, lun deux me répondit après que je leur eu raconté la Genèse, quau regard de létat du monde tel que je le leur avait dépeint, un gars qui avait mis six jours pour ce résultat on ne pouvait lui faire confiance à moins dêtre sot
ce à quoi jétais resté sans voix, rattrapé par le syndrome du Zézithan.
Sils nont pas de divinité, la philosophie ne leur est pas étrangère, bien quelle soit à leur image, iconoclaste et parfois mystique, les penseurs et poètes de Sandinovia ne manquent jamais une occasion den faire preuve. Le plus souvent sous forme daphorismes dont on ne saisit pas toujours le sens, pourtant la philosophie sandiniste ne peut se résumer quà cela, toutefois jai encore en tête quelques uns de leurs proverbes qui en donnent une idée générale. « Heureux les petits car pour eux le sol est plus bas et heureux les grands car leurs cheveux sentent pas les pieds
», « Si tu louches épouse une soupière », « tout ce qui monte redescend », « A doigts gelés, mains froides », «un de pendu, dix de retroussés ».
Pour ce peuple pacifique et farceur je garde de laffection et je les quittais à regret ne pouvant rester plus longtemps sur le manège, vaincu par les dépressions et les pics qui revenaient sans cesse du fond de leur terre..
Averti par les Sandinistes quil ne fallait pas faire confiance aux porteurs venus de Vénalie sous peine de finir par terre, ces derniers nhésitant pas à se vendre au plus offrant sur la route de la côte au sud de Sandinovia, je prenais la décision sur leurs conseils dembarquer à bord dun bateau sans capitaine qui traversait lépais brouillard à la seule force magnétique du fond des mers, ce bateau devait me laisser sur une île irlandaise.
Cest par un réseau de grottes naturelles qui courent le long dune falaise au nord de Sandinovia, que lon atteint le ponton au bord de locéan invisible. Jai patienté quelques jours puis le brouillard sest formé, impénétrable, gris, le soir même une simple barque baptisée « Charon » sest présentée devant le ponton. Je me suis couché au fond de la coquille de noix en priant le grand Téméraire et Sainte Certitude, me suis endormi sur le champ et me suis réveillé sur le rivage dune île Irlandaise.
Combien de temps a duré la traversée de locéan invisible ?
A ce jour jhésite encore, trois jours, trois semaines, quimporte en fait, dans le voyage le retour porte sa part de lumière, il ferme le cycle et par la même autorise à lémergence dun nouveau cycle. Lessentiel étant de ne pas se précipiter comme dit Le grand Téméraire
Epilogue.
Le premier soir je quittais « la taverne aux pendus » avec en tête lidée que je puisse appartenir à une communauté inconnue, un peuple dont on ne parlait jamais, perdu au fin fond de je ne savais où sur la face cachée de la terre.
Jai revu mister Park les deux jours suivants pour consigner par écrit son voyage extraordinaire, en contrepartie de lintérêt que je portais à son histoire, il ma offert sa paire de chausses vertes dont lune était brûlée à lextrémité, ainsi que la carte pour aller à Sandinovia et au creux de loreille il ma chuchoté le chemin secret que jai malheureusement oublié le lendemain de son départ.
Depuis cette rencontre je nai jamais revu Mungo Park, un ami armateur ma dit lavoir croisé en Egypte en partance pour le cur de lafrique. De nombreuses années durant je ne manquais jamais de parler de lui dans les tavernes des pays traversés, jai essayé de savoir si quelquun avait entendu parler de Tergivercia, de la mer des Sarcasmes ou de Sandinovia, dune barque sortant dun brouillard aussi impénétrable que lesprit dun cardinal. Pas même un vieux loup de mer, un brigand confirmé, un coureur de chemin, un gitan na pu men dire la moindre chose.
A ce jour je nai eu confirmation que de lexistence passée dun vieux sur la montagne habitant une forteresse du nom dAlamut, sur la route du levant, en Perse ou au Khôrasan, tout comme ma été confirmé quune congrégation de tailleurs de pierre existait bel et bien, guilde que jai fini par connaître mais chez laquelle je nai pu trouver les preuves attendues.
Désormais jai abandonné lidée de trouver Sandinovia, il y a bien assez à voir comme cela, cependant en relisant cette histoire au fil des années je suis convaincu quelle cache en vérité un propos plus sérieux.
A bien y regarder cest dun voyage initiatique dont il sagit, Mungo a fait de la vie une terre que lhomme traverse symboliquement.
La vie, faite dhésitations, derreurs, de retour sur ses pas, de fausse route, de victoires et de défaites, de hauts et de bas, et de tout ce qui nous construit.
Une route bordée de signes, comme un corps peint pour un rituel de passage
le nom de Mungo Park est un emprunt au fabuleux livre " Water music" de T.C BOYLE