--Isabella_diaz
Dans la lice, la joute prit fin. Comme de juste, Zaza glissa son pouce et son majeur entre ses lèvres et émit un sifflement long et strident qu'elle modula avec virtuosité pour acclamer la victoire de Marius. Un grand sourire aguicheur aux lèvres, tout le vice et la luxure du monde dans la prunelle, la maquerelle ne se gêna pas pour dévisager les valeureux amateurs de joutes porcines. Ils n'étaient pas vilains et plutôt bien bâtis, tout au moins assez pour servir de quatre heures à la croqueuse d'hommes.
Belle joute, messires ! Pour le repos du guerrier, n'hésitez pas à passer à La croisée des chemins, je vous y attends avec impatience ! leur cria-t-elle dans un bel élan enthousiaste. Chacun votre tour, ou les deux ensemble, peu importe, faites selon votre goût, je suis ouverte à tout... Vraiment tout ! Tant que vos bourses sont bien garnies, évidemment... ajouta-t-elle pour elle même sans cesser d'afficher son grand sourire commercial.
Naturellement, pour brailler son invitation, Zaza se pencha en avant. Et naturellement, le hasard (provoquer par l'Espagnole, cela allait sans dire) fit que la pose de la maquerelle offrit une vue imprenable sur sa poitrine, toujours aussi légèrement couverte, aux deux Mauléonais. Un éclat de rire des plus bruyants secoua la brune sulfureuse lorsqu'elle put admirer le minois outré des bonnes gens qui l'entouraient : il fallait toujours que des rabats-joie, sous prétexte que "cela ne se faisait pas", viennent lui briser les arpions dès qu'elle commençait un tant soit peu à s'amuser. Zaza haussa les épaules, leur tira la langue histoire de faire valoir son point de vue et de clôturer leurs échanges très vivifiants intellectuellement, puis se tourna vers Russo. Il ne fallait pas qu'elle oublie son ordre de mission, c'eut été un comble. L'ursidophore avait trouvé l'appât à sa convenance puisqu'elle avait commencé à papouiller bien gentiment ce brave Tigrounet. Il était temps de passer à la phase suivante de l'opération-commando.
Mille excuses, dame Russo, vous savez ce que c'est : vous voudriez oublier le travail et vous accorder un moment de répit et il vous rattrape quand vous vous y attendez le moins. Pour répondre à votre première question, ceci est une fourrure de tigre. Un castor teuton me l'a très gentiment offerte il y a quelques temps. Je crois d'ailleurs qu'il n'a toujours pas fini d'en faire son deuil. Un sourire carnassier illustra toute la peine que Zaza pouvait éprouver pour ledit castor et la perte cruelle qu'il avait subi. Il faut avouer que c'est une bien belle peau, exotique à souhait, venue des Indes par le biais de la Russie et de la Hanse. Une pièce de collection rare, si rare... Aussi rare sans doute que votre superbe peau d'ours blanc. Zaza fit mine de réfléchir un instant puis regarda la maire de Mauléon droit dans les yeux.
Parlons sérieusement, si vous le voulez bien. Vous connaissez mon amour pour votre peau d'ours si parfaite. Cette peau de tigre semble vous plaire. Ces vêtements pourraient constituer une récompense à la hauteur de nos prétentions et de nos rangs respectifs. Naturellement, je n'ai pas l'intention de me défaire de Tigrounet ma peau de tigre ab aeterno. Je ne pourrai pas me passer de ses poils soyeux de si bonne compagnie devant une bonne flambée... Le regard d'Isabella se fit lointain un court instant, le temps de s'imaginer en tenue dÈve, emballée dans sa cape, installée devant un feu pétillant dans la chambre de ses appartements, un plateau de fruits à picorer à portée de main, un verre de vin dans l'autre, un mâle quelconque alangui à ses pieds.
Je pense qu'il en va de même pour vous : la cession de cette merveille blanche n'est pas dans le domaine du possible. Aussi j'ai pensé à une solution qui pourrait nous apporter satisfaction, ou tout au moins satisfaction à celle qui se montrera la plus hardie. Pourquoi la gagnante n'aurait-elle pas le privilège de porter la fourrure de l'autre pour la journée ?