--Jean_aymar_du_bellatre
Il le fallait. Malgré sa répugnance, et parce qu'il n'était pas sourd aux gémissements du peuple, l'ermite de la poésie sortit de sa grotte, traversa les champs semés de cadavres, évitant soigneusement des lambeaux d'armées, et s'en vint afficher ses vers sarcastiques sous les murs de ceux qui se croyaient des puissants intouchables ou pire, qui, se sachant perdus, machinaient d'entraîner avec eux tout l'Anjou.
Une uvre de plus, qui écrivait l'Histoire, et que plus tard on relirait avec incrédulité, témoignage de la folie des grands, capables de faire d'une terre bénie des dieux une région maudite des hommes.
Ces grands Manceaux pierreux, ces vieux durs que tu vois
Furent premièrement les gens d'un lieu champêtre :
Et ces graves Comtois, qui semblent te connaître,
En paisibles pasteurs ont vécu quelquefois.
Lors prirent les bandits les ornements des rois,
Et le fol Aurelien de fer arma sa dextre :
Puis le ducal pouvoir le plus grand se vit être,
Et fut encor plus grand le pouvoir de deux mois :
Qui, par présomption, se crut en la puissance
Que l'aigle impérial de lui prit sa naissance :
Mais le Ciel, s'opposant à tel accroissement,
Mit ce pouvoir ès mains d'un Aurelien tout autre,
Qui, désignant son double au courroux des apôtres,
Montre que tout retourne à son commencement.
Jean-Aymar du Bellâtre, juillet 1458
Scènes de la douceur angevine, Opus VIII