Atecoatl
[Amecameca, le soir]
La nuit est tombée, imposant au monde le règne sans pitié ni concession de Tezcatlipoca, Celui-qui-donne-et-reprend-la-victoire, maître de la nuit et des ténèbres, qui exècre Quetzacoatl au point de libérer chaque nuit des milliers de démons que le dieu donateur des Tonalamatl doit, chaque matin, renfermer dans leurs grottes pour permettre aux humains de reprendre leur existence quotidienne. En cette heure ou toutes les bases du monde connu s'ébranlent et s'effondrent autour de lui, Atecoatl sait que les lourds tributs de sang payés chaque jour donneront la force à Quetzacoatl de repousser encore longtemps ces démons, et de rétablir chaque jour l'équilibre de la grande roue solaire.
Le jeune tecuthli n'aime pas braver la nuit : comme tout le monde, il a peur de ces démons, mais s'efforce de maîtriser sa peur. S'il doit en rencontrer un, probablement défendra-t-il chèrement sa peau, mais cette peur s'efface rapidement : son destin n'est pas de mourir cette nuit. De cela seul, il est certain. N'est-il pas, digne fils de Huehuecoyotl, le meilleur allié à la fois de Tezcatlipoca pour qui il sème la mort, et de Quetzacoatl dont il défend la civilisation ? Elle n'est pas encore venue, l'heure ou les dieux s'en prendront à lui : il leur est trop fidèle et utile.
Il fait quelques pas dans l'obscurité, la main sur la massue, lorsque le monde devient subitement tout blanc autour de lui, et tourne, tourne, tourne, au point de flancher : le sol bouge, les murs s'effondrent, et sa tête se heurte contre quelque chose. Une vive douleur lui tenaille la tête, et il ferme les yeux : c'est à nouveau l'obscurité.
[Songe]
Obscurité ? Non. Tout est jaune. Flou, mais jaune. D'immenses cercles jaunes qui tournent grâcieusement comme s'ils dansaient, qui se rapprochent et deviennent progressivement clair. Le temps d'un clignement d'oeil, et Atecoatl comprend : il se trouve dans un immense champs de maïs, s'étendant à perte de vue tout autour de lui. Ou sont passées les forêts du nord ou s'ébrouaient gaiement les castors unijambistes auprès des rivières joyeuses ? Les déserts arides du lointain levant qu'on apercevait les jours de beau temps du haut de l'altepetl ? Tout n'est plus que maïs, maïs, maïs...
Le jeune aristocrate s'agenouille, arrachant lentement un épi de maïs, sans trop savoir pourquoi. Avec déférence, il regarde cet épi de maïs banal et commun, identique aux milliers d'autres qu'il a vu passer sous ses yeux lorsqu'il était le pochteca fondateur de la seigneurie. Le maïs, il le sait, est la base fondamentale de sa civilisation : il nourrit le peuple, il nourrit les guerriers, il sert aux naissances, aux noces, aux enterrements... N'est-ce pas pour s'assurer des récoltes abondantes qu'on sacrifie aux dieux les plus solides des esclaves capturés, déclenchant à cet effet des guerres ?
Cet épi de maïs est sacré. Tous les épis de maïs le sont.
Ce ne sont pas simplement une nourriture de pauvre.
Il en est là de sa réflexion lorsqu'entre les denses et drus épis de maïs apparaît un coyote, son animal totem, symbole de la mission à laquelle il a décidé de consacrer sa vie. L'animal est visiblement âgé, et s'approche du guerrier sans hésitation ni air menaçant : instinctivement, Atecoatl lui tend l'épi récolté, que l'animal attrape dans sa gueule avant de partir comme il est venu.
Le monde redevient flou, jaune, puis noir, puis blanc, puis...
[Amecameca, tôt le matin.]
Les yeux s'ouvrent. La tête bourdonne, et la première pensée du jeune guerrier est qu'il a chaud : après quelque secondes d'intenses réflexions, il lui semble que c'est son sang qui circule très rapidement dans son corps. Atecoatl se redresse, lentement, avec difficulté, et inspecte son corps tout courbaturé par plusieurs heures passées allongé sur le sol en terre battu de la cité. Il ne saigne pas, et son coeur est encore en place : ce n'est pas un démon qui l'a agressé, et moins encore un dieu. Il se relève, aussi rapidement que son corps fourbu le lui permet, se rémémorant son songe étrange.
Il a rencontré Huehuecoyotl.
Il en est certain.
Atecoatl lève la tête vers le ciel : il est l'heure ou Quetzacoatl vaint les légions de démon d'un Tezcatlipoca qui en profite pour donner et reprendre les victoires des guerriers et des révoltés. Cette petite place non loin de la cité étant éloignée des pyramides et des callis du centre d'Amecameca, nul ne semble avoir aperçu le tecuthli, issu de la plus grande famille aristocrate du Tlaxcalan, dormir à terre comme un serf dont la ferme aurait été brûlée par des guerriers.
Il est l'heure de former son armée.
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La nuit est tombée, imposant au monde le règne sans pitié ni concession de Tezcatlipoca, Celui-qui-donne-et-reprend-la-victoire, maître de la nuit et des ténèbres, qui exècre Quetzacoatl au point de libérer chaque nuit des milliers de démons que le dieu donateur des Tonalamatl doit, chaque matin, renfermer dans leurs grottes pour permettre aux humains de reprendre leur existence quotidienne. En cette heure ou toutes les bases du monde connu s'ébranlent et s'effondrent autour de lui, Atecoatl sait que les lourds tributs de sang payés chaque jour donneront la force à Quetzacoatl de repousser encore longtemps ces démons, et de rétablir chaque jour l'équilibre de la grande roue solaire.
Le jeune tecuthli n'aime pas braver la nuit : comme tout le monde, il a peur de ces démons, mais s'efforce de maîtriser sa peur. S'il doit en rencontrer un, probablement défendra-t-il chèrement sa peau, mais cette peur s'efface rapidement : son destin n'est pas de mourir cette nuit. De cela seul, il est certain. N'est-il pas, digne fils de Huehuecoyotl, le meilleur allié à la fois de Tezcatlipoca pour qui il sème la mort, et de Quetzacoatl dont il défend la civilisation ? Elle n'est pas encore venue, l'heure ou les dieux s'en prendront à lui : il leur est trop fidèle et utile.
Il fait quelques pas dans l'obscurité, la main sur la massue, lorsque le monde devient subitement tout blanc autour de lui, et tourne, tourne, tourne, au point de flancher : le sol bouge, les murs s'effondrent, et sa tête se heurte contre quelque chose. Une vive douleur lui tenaille la tête, et il ferme les yeux : c'est à nouveau l'obscurité.
[Songe]
Obscurité ? Non. Tout est jaune. Flou, mais jaune. D'immenses cercles jaunes qui tournent grâcieusement comme s'ils dansaient, qui se rapprochent et deviennent progressivement clair. Le temps d'un clignement d'oeil, et Atecoatl comprend : il se trouve dans un immense champs de maïs, s'étendant à perte de vue tout autour de lui. Ou sont passées les forêts du nord ou s'ébrouaient gaiement les castors unijambistes auprès des rivières joyeuses ? Les déserts arides du lointain levant qu'on apercevait les jours de beau temps du haut de l'altepetl ? Tout n'est plus que maïs, maïs, maïs...
Le jeune aristocrate s'agenouille, arrachant lentement un épi de maïs, sans trop savoir pourquoi. Avec déférence, il regarde cet épi de maïs banal et commun, identique aux milliers d'autres qu'il a vu passer sous ses yeux lorsqu'il était le pochteca fondateur de la seigneurie. Le maïs, il le sait, est la base fondamentale de sa civilisation : il nourrit le peuple, il nourrit les guerriers, il sert aux naissances, aux noces, aux enterrements... N'est-ce pas pour s'assurer des récoltes abondantes qu'on sacrifie aux dieux les plus solides des esclaves capturés, déclenchant à cet effet des guerres ?
Cet épi de maïs est sacré. Tous les épis de maïs le sont.
Ce ne sont pas simplement une nourriture de pauvre.
Il en est là de sa réflexion lorsqu'entre les denses et drus épis de maïs apparaît un coyote, son animal totem, symbole de la mission à laquelle il a décidé de consacrer sa vie. L'animal est visiblement âgé, et s'approche du guerrier sans hésitation ni air menaçant : instinctivement, Atecoatl lui tend l'épi récolté, que l'animal attrape dans sa gueule avant de partir comme il est venu.
Le monde redevient flou, jaune, puis noir, puis blanc, puis...
[Amecameca, tôt le matin.]
Les yeux s'ouvrent. La tête bourdonne, et la première pensée du jeune guerrier est qu'il a chaud : après quelque secondes d'intenses réflexions, il lui semble que c'est son sang qui circule très rapidement dans son corps. Atecoatl se redresse, lentement, avec difficulté, et inspecte son corps tout courbaturé par plusieurs heures passées allongé sur le sol en terre battu de la cité. Il ne saigne pas, et son coeur est encore en place : ce n'est pas un démon qui l'a agressé, et moins encore un dieu. Il se relève, aussi rapidement que son corps fourbu le lui permet, se rémémorant son songe étrange.
Il a rencontré Huehuecoyotl.
Il en est certain.
Atecoatl lève la tête vers le ciel : il est l'heure ou Quetzacoatl vaint les légions de démon d'un Tezcatlipoca qui en profite pour donner et reprendre les victoires des guerriers et des révoltés. Cette petite place non loin de la cité étant éloignée des pyramides et des callis du centre d'Amecameca, nul ne semble avoir aperçu le tecuthli, issu de la plus grande famille aristocrate du Tlaxcalan, dormir à terre comme un serf dont la ferme aurait été brûlée par des guerriers.
Il est l'heure de former son armée.
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