[Saumur, un beau jour, ou plutôt une nuit]
Le couchant se faisait bille mordorée venant s'insinuer dans les courbes généreuses d'un horizon au relief coupé, cassé, comme mordillé par le ciel qui en aurait rogné les lignes pures comme on croquerait une pomme juteuse.
Ce ciel d'ocre lui rappelait les longues soirées au bord de la mer où, seule sur le rivage, elle allumait un feu et faisait dorer son maïs tout en regardant s'éloigner du port les premiers navires languedociens.
Elle soupira , créant une légère buée sur sa fenêtre. Une petite bruine commençait à tomber sur les vitres crasseuses de la nouvelle bicoque dont elle avait récemment fait l'acquisition.
Devant cette nouvelle vision des moins réjouissante, elle rejoint sa couche, les yeux fixés vers une tenture qu'elle avait eu le bon goût d'accrocher au mur nu de cette habitation.
La solitude lui pesait. Son époux était partie guerroyer au côté d'une armée angevine selon les dernières nouvelles et, sans échos de sa part, elle ne savait ce qu'il était advenu de lui.
Chassant un insecte du plat de la main, elle se redressa pour allumer une bougie à défaut d'un cierge, tout en pensant à ces dernières années passées avec lui, épouse aimante et amante, parfois intolérante, selon les cas. Des années pleines de surprise. Une nomination, une élection, un déclaration de félonie..des procès. Une vie active et pleines de surprises. Bonnes comme mauvaises. C'était selon.
Elle songea alors qu'elle ne s'était pas rendue à son pigeonnier ce jour. Malgré l'heure tardive et le soleil qui laissait place à la lune dans une danse de sang et d'or, elle s'en fut relever son courrier.
Grand bien lui avait pris, puisqu'elle trouva là un pigeon voyageur à la patte duquel était accrochée un pli.
Elle ne parvint pas à déchiffrer le nom de l'expéditeur - pour la simple et bonne raison qu'il n'y en avait pas d'inscrit - sur le cachet de cire qui scellait la missive, mais peu importait, elle était adressée à la famille Ryllas et en l'absence du chef de la famille, elle n'en restait pas moins un membre aussi, elle relâcha le pigeon qui s'en fut à tire d'aile, ramassant quelques graines jetées par son hôte, avant de repartir au lointain.
Revenant à ses pénates, elle décacheta la lettre et pris connaissance, avec stupeur, d'une décision et d'une nouvelle, plutôt mauvaises au demeurant.
Citation:
Nous, Vincent Diftain d'Embussy, Cardinal Romain, au nom de la Sainte Curie, annonçons une tentative d'assassinat de son Eminence Clodeweck de Montfort et de son garde du corps de la Garde Episcopale, Tadeus, par une armée angevine en ce jour 4 juillet de l'an de grâce 1458.
Annonçons donc l'excommunication des agresseurs de son Eminence Clodeweck, à savoir :
- 197856
- Richy84
- Maleus
- Stradivarius
- Ryllas
Invitons les fidèles aristotéliciens armés et disponibles, à se rendre en Anjou pour venger leur cardinal, honteusement assassiné par cette bande de malfrats sans foi ni loi, en les envoyant au plus vite, eux et leur chef Aurélien Marc Antoine de Penthièvre, sur la lune où ils vivront une éternité de supplices.
Fait à Rome, le 4 juillet de l'an de grâce 1458.
Une missive envoyée d'on ne savait où, par on ne savait qui, mais porteuse d'une terrible information.
Ses yeux s'écarquillèrent, elle sentit ses jambes se dérober sous elle. Tombant à genoux comme implorant le seigneur, elle ne savait comment prendre cette nouvelle. Ces nouvelles très exactement.
Son époux, un assassin ? Comment cela se pouvait-il ? Et excommunié de surcroit pour cet acte infâme ? C'était impossible. Un fervent aristotélicien tel que lui ?
Elle fut prise de stupeur et tout le tremblement, sa respiration se fit plus rapide, à l'instar des battements de son cur, faisant vaciller la flamme de sa bougie au rythme de son souffle haletant.
Passé l'effet de surprise, elle fut soudain en proie a une furieuse colère. Ses doigts se contractèrent sur le vélin qui se froissa dans un effroyable bruit tranchant le silence qui habitait la pièce jusque là.
La flamme dansait la gigue, tant et si bien que cela créait des formes fantasmagoriques sur les murs et la tenture sembla prendre vie, agitant les personnages qui y étaient brodés d'un semblant d'effroi, d'ombre et de lumière, effet spectral pour mur sépulcral.
-
Non, mais..ce n'est pas vrai...il n'a pas fait ça...c'est impossible. Impossible ! fut-il sous l'effet de quelque alcool fort, je n'en crois rien..
Elle ferma les yeux, espérant que, lorsqu'elle les rouvrirait, tout cela se serait effacé comme un simple cauchemar et qu'en lieu et place de cette terrible missive, elle y verrait l'annonce du retour prochain de Ryllas. Mais lorsqu'elle ouvrit les yeux, l'objet de son desespoir était toujours entre ses mains devenues moites.
-
Il y a forcément une explication à cela..c'est une sordide affaire, une méprise à n'en pas douter..une affaire entachée de vices..qui donc a bâclé l'enquête - si enquête il y a eu - pour ainsi déclarer sans détour que mon pauvre, pauvre Boniface est un assassin de bas quartier ?!
Elle défroissa le billet et en aurait presque usé le vélin à force d'en faire lecture si ses yeux avaient pu le toucher.
Félon et à présent excommunié par dessus le marché ! Il lui aura donc tout fait. Tout !
Se levant, elle plongea sa main dans une bassine emplit d'eau, pour ensuite la passer sur son visage défait. Elle laissa sa main trainer plus longuement sur sa bouche comme en bâillon.
-
L'archevêque..attaquer un archevêque, grand inquisiteur de surcroit..mais..
Une question la tarauda alors. Elle n'était guère au faîte de l'actualité mais elle savait qu'une bataille faisait rage plus au nord de l'Anjou. Qui pouvait donc être passé à côté de cette information ?
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Comment une personne de cette importance à bien pu se retrouver au beau milieu d'un champs de bataille ? Il n'y aurait qu'un sot pour faire un déplacement sans se faire connaitre des autorités compétentes alors que des armées sont en faction, oui il faudrait ne pas être bien malin..alors comment un tel drame a t'il pu se produire ?
Des sots il y en avait, des benêts encore plus en ce royaume, mais elle douta que les gens d'église n'aient point un minimum de jugeote.
Elle fit relecture de la missive, relevant qu'on y parlait d'un garde du corps, même si son nom restait inconnu.
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Un seul garde du corps...un homme d'un tel rang, se promenant sur une terre brûlée, sans une escorte digne de ce nom ? Était-il donc suicidaire ? On ne se flanque pas d'un incompétent pour seule défense en une telle situation..non non et non..il doit me manquer quelques éléments..
Se redressant, elle fit quelques pas, tournant en rond comme chat en cage, pour se retrouver devant la même fenêtre, constatant qu'à présent il faisait presque nuit noire.
Une ombre se faufilait à travers bois. Un chat sans doute. Puis, passant dans le sillage du chemin de lumière que traçait la ténébreuse lune, elle vit qu'il s'agissait en réalité d'un petit renard. Alors, elle eut une révélation :
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La nuit, tous les chats sont gris...les curés aussi !
Sans doute était-ce cela. Un passage de nuit, une ombre pour une autre, un corps qui se meut dans l'obscurité et, ni une ni deux, un moribond sur les bras. Quoi d'autre ?! Elle ne voyait pas d'explications plausibles mis à part celle-ci.
Mais dans quel guêpier son époux était-il encore allé se fourrer ! Elle espérait grandement que l'archevêque ne fut pas mort, au moins l'acte serait de moins grande importance. Elle prierait pour son salut avec ferveur.
Agenouillée devant ce qui lui servait de lit, elle ferma les yeux, priant tous les saints réunis afin qu'ils viennent en aide à tous ces malheureux, ces frères d'infortune, et - égoïstement - à elle par la même occasion. Car si son époux était reconnu coupable et excommunié, qu'adviendrait-il d'elle ?
Pour l'heure, elle ne pouvait rien faire. Elle n'avait pas poney, mais il était trop tard. Toutefois, dès l'aube, il lui faudrait chercher comment réparer cet affreux préjudice, quitte à mettre sa propre vie en danger, mais avant cela, elle devait passer ce qui serait, sans nulle doute, une nuit sans sommeil._________________