Gnia
Celle des carnivores.
Et la nuit, tous les chats sont gris.
Retenez le bien, c'est important pour la suite.
Il est des lieux que l'on quitte sans aucun état d'âme. Des endroits qui portent tellement profondément enfouis en leur terre les racines du malheur que l'on peut s'en détourner sans mélancolie aucune . Des terres que l'on préfèrerait savoir désolées que d'avoir à y remettre un jour les pieds. Mais le destin a pour chacun de nous un plan, aussi improbable, illogique et cruel soit-il et il se moque bien de nos petites superstitions attachés à ces lieux maudits.
Une ombre drapée d'une longue cape, le visage masqué par le capuchon, se glissait dans les faubourgs de Tarbes, frôlant les murs avachis des taudis puants, évitant de justesse un seau d'immondices jeté dans l'égout à ciel ouvert des ruelles, se faufilant entre fange et crasse vers un but connu d'elle seule.
Une pause à l'ombre du porche d'une bâtisse toute aussi misérable que les autres, un regard circulaire pour s'assurer que la ruelle est déserte avant de toquer quelques coups à l'huis selon un rythme bien défini. Un oeil jaune, globuleux et forcément soupçonneux apparait dans la trappe ménagée dans la porte et qui fait office d'oeilleton. Un verrou claque et à l'instant où la porte s'entre-ouvre, l'ombre est déjà à l'intérieur. A cet instant, une bourrasque de vent fait grincer au dessus de la porte une enseigne vermoulue sur laquelle l'on peut encore déchiffrer "Antoine Sonneur, Maître Apothicaire".
La boutique est close depuis que les portes de la ville ceinte sont été soigneusement refermées par le guet mais c'est à présent l'heure des clients qui, le temps d'une nuit jusqu'à la suivante, ont les moyens de faire oublier à Maître Sonneur le serment de Galien.
Un hochement de tête sous la capuche salue l'homme replet qui se tient derrière l'épais comptoir. Sans le visage portant les traces indélébiles de la petite vérole, le ventripotent pourrait prétendre à une allure sympathique, mais les cicatrices qui grêlent son faciès lui ont ôté définitivement toute prétention à l'adjectif bonhomme.
Celui à l'oeil jaune qui a ouvert la porte un peu plus tôt et qui se fait ombre de l'ombre quitte enfin ses talons, s'assoit sur un tabouret branlant et se rencogne, l'épaule appuyée sur une lourde étagère chargée de bocaux crasseux.
Une main chargée de bagues vient repousser la capuche sur la chevelure pour dégager le visage et l'on entend l'ombre parler pour la première fois, une voix rauque aux intonations de ceux qui parlent la langue d'oïl.
Le bon soir, Maître Sonneur.
Oui.. Cela faisait longtemps... Je ne m'attarderai pas, vous savez ce qu'il me faut.
Une lourde bourse est posée sur le comptoir qu'elle fait résonner d'un bruit mat. L'apothicaire lève sur sa cliente un regard hésitant, guettant comme une forme de confirmation. C'est que, le bruit parlant de lui-même, la somme est conséquente, bien plus qu'à l'accoutumée. La jeune femme esquisse un discret sourire et opine du chef.
Je fais mes réserves, l'on ne se reverra pas. Et je ne sais si je mettrai la main sur quelqu'un de votre compétence de sitôt alors je prévois...
Et vous, vous aurez de quoi offrir de la viande à votre marmaille ou vous payer des ribaudes jusqu'aux premières gelées.
L'apothicaire acquiesce avant de mettre son corps massif en branle et de réunir la commande de sa cliente. Les commandes ne dérogent jamais à une routine qui s'est établie depuis quelques mois, presqu'un an à vrai dire. Thériaque, thériaque et thériaque. Et de temps à autre un peu de chanvre. Rien de bien sorcier ni de trop répréhensible en somme, et surtout rien que ne soit en dehors des multiples cordes que Maître Antoine Sonneur possède à son arc.
La jeune femme le suit à l'autre bout du comptoir tandis qu'il sort avec parcimonie d'un bocal de l'herbe qu'il pèse ensuite. S'accoudant au comptoir, elle se penche vers lui. Ses narines frémissent un instant, caressées par la forte odeur de terre émanant de ce qu'il manipule et surtout par les promesses de paradis oniriques qu'elle faisait miroiter. Enfin elle s'adresse à lui à mi-voix
Et vous m'ajouterez de quoi se prévenir d'hôtes encombrants et, le cas échéant, de quoi s'en débarrasser... Et passez moi les remèdes fantaisistes de charlatans destinées aux clientes occasionnelles. Je veux ce que vous fournissez aux patronnes de claques qui veulent conserver leurs puterelles à la chair fraîche, fraîches, justement.
Les paupières lourdes de l'artisan se soulèvent un instant, dévoilant des pupilles légèrement perplexes sur la femme qui lui fait face. Tiens, la Dame change ses habitudes et semble s'être adjoint d'autres vices à ceux qui la possèdent déjà. Il noue un lien pour fermer le petit sac de tissu qui contient l'herbe à sorcière avant de lui faire signe qu'il a compris sa demande et s'efface dans l'arrière boutique.
Et la jeune femme de laisser un coude sur le comptoir de bois massif, de poser son menton dans la coupe formée par sa paume et de contempler, les yeux dans le vague, les rangées de bocaux, bouteilles, jarres et autres curiosités qui jonchent les étagères qui lui font face, en attendant le retour de son fournisseur de pêchés.
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Et la nuit, tous les chats sont gris.
Retenez le bien, c'est important pour la suite.
Il est des lieux que l'on quitte sans aucun état d'âme. Des endroits qui portent tellement profondément enfouis en leur terre les racines du malheur que l'on peut s'en détourner sans mélancolie aucune . Des terres que l'on préfèrerait savoir désolées que d'avoir à y remettre un jour les pieds. Mais le destin a pour chacun de nous un plan, aussi improbable, illogique et cruel soit-il et il se moque bien de nos petites superstitions attachés à ces lieux maudits.
Une ombre drapée d'une longue cape, le visage masqué par le capuchon, se glissait dans les faubourgs de Tarbes, frôlant les murs avachis des taudis puants, évitant de justesse un seau d'immondices jeté dans l'égout à ciel ouvert des ruelles, se faufilant entre fange et crasse vers un but connu d'elle seule.
Une pause à l'ombre du porche d'une bâtisse toute aussi misérable que les autres, un regard circulaire pour s'assurer que la ruelle est déserte avant de toquer quelques coups à l'huis selon un rythme bien défini. Un oeil jaune, globuleux et forcément soupçonneux apparait dans la trappe ménagée dans la porte et qui fait office d'oeilleton. Un verrou claque et à l'instant où la porte s'entre-ouvre, l'ombre est déjà à l'intérieur. A cet instant, une bourrasque de vent fait grincer au dessus de la porte une enseigne vermoulue sur laquelle l'on peut encore déchiffrer "Antoine Sonneur, Maître Apothicaire".
La boutique est close depuis que les portes de la ville ceinte sont été soigneusement refermées par le guet mais c'est à présent l'heure des clients qui, le temps d'une nuit jusqu'à la suivante, ont les moyens de faire oublier à Maître Sonneur le serment de Galien.
Un hochement de tête sous la capuche salue l'homme replet qui se tient derrière l'épais comptoir. Sans le visage portant les traces indélébiles de la petite vérole, le ventripotent pourrait prétendre à une allure sympathique, mais les cicatrices qui grêlent son faciès lui ont ôté définitivement toute prétention à l'adjectif bonhomme.
Celui à l'oeil jaune qui a ouvert la porte un peu plus tôt et qui se fait ombre de l'ombre quitte enfin ses talons, s'assoit sur un tabouret branlant et se rencogne, l'épaule appuyée sur une lourde étagère chargée de bocaux crasseux.
Une main chargée de bagues vient repousser la capuche sur la chevelure pour dégager le visage et l'on entend l'ombre parler pour la première fois, une voix rauque aux intonations de ceux qui parlent la langue d'oïl.
Le bon soir, Maître Sonneur.
Oui.. Cela faisait longtemps... Je ne m'attarderai pas, vous savez ce qu'il me faut.
Une lourde bourse est posée sur le comptoir qu'elle fait résonner d'un bruit mat. L'apothicaire lève sur sa cliente un regard hésitant, guettant comme une forme de confirmation. C'est que, le bruit parlant de lui-même, la somme est conséquente, bien plus qu'à l'accoutumée. La jeune femme esquisse un discret sourire et opine du chef.
Je fais mes réserves, l'on ne se reverra pas. Et je ne sais si je mettrai la main sur quelqu'un de votre compétence de sitôt alors je prévois...
Et vous, vous aurez de quoi offrir de la viande à votre marmaille ou vous payer des ribaudes jusqu'aux premières gelées.
L'apothicaire acquiesce avant de mettre son corps massif en branle et de réunir la commande de sa cliente. Les commandes ne dérogent jamais à une routine qui s'est établie depuis quelques mois, presqu'un an à vrai dire. Thériaque, thériaque et thériaque. Et de temps à autre un peu de chanvre. Rien de bien sorcier ni de trop répréhensible en somme, et surtout rien que ne soit en dehors des multiples cordes que Maître Antoine Sonneur possède à son arc.
La jeune femme le suit à l'autre bout du comptoir tandis qu'il sort avec parcimonie d'un bocal de l'herbe qu'il pèse ensuite. S'accoudant au comptoir, elle se penche vers lui. Ses narines frémissent un instant, caressées par la forte odeur de terre émanant de ce qu'il manipule et surtout par les promesses de paradis oniriques qu'elle faisait miroiter. Enfin elle s'adresse à lui à mi-voix
Et vous m'ajouterez de quoi se prévenir d'hôtes encombrants et, le cas échéant, de quoi s'en débarrasser... Et passez moi les remèdes fantaisistes de charlatans destinées aux clientes occasionnelles. Je veux ce que vous fournissez aux patronnes de claques qui veulent conserver leurs puterelles à la chair fraîche, fraîches, justement.
Les paupières lourdes de l'artisan se soulèvent un instant, dévoilant des pupilles légèrement perplexes sur la femme qui lui fait face. Tiens, la Dame change ses habitudes et semble s'être adjoint d'autres vices à ceux qui la possèdent déjà. Il noue un lien pour fermer le petit sac de tissu qui contient l'herbe à sorcière avant de lui faire signe qu'il a compris sa demande et s'efface dans l'arrière boutique.
Et la jeune femme de laisser un coude sur le comptoir de bois massif, de poser son menton dans la coupe formée par sa paume et de contempler, les yeux dans le vague, les rangées de bocaux, bouteilles, jarres et autres curiosités qui jonchent les étagères qui lui font face, en attendant le retour de son fournisseur de pêchés.
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