Blanche_
Il était tard, la matinée était déjà presque finie. A Pannecé, un nuage gris recouvrait encore pourtant le village et les alentours, jusqu'à la demeure seigneuriale dont il dévorait les pieds. C'était une mauvaise journée, lente et indolente, qui endormait tous les gens du duché d'Ancenis qui ne savaient trop si la nuit était partie, ou pas. Il faisait noir presque, un gris intense ou blanc qui barrait les yeux, on n'y voyait pas à trois mètres et chacun avait décidé de rester chez soi à attendre que la brume se dissipe.
Chacun... sauf elle.
- Mais Blanche ! lui criait Griet depuis le perron. Blanche, on y voit pas le cul d'une vache, vous n'allez pas vous perdre, si ?
Et l'autre de répondre, déjà partie au loin, voix jaillissait hors du nuage blanc.
- Je vais y arriver, lui dit elle. Ce n'est pas si loin, et l'endroit est trop beau pour passer inaperçu. Charge toi du domaine pendant que je suis loin, Griet !
Déjà elle était partie. Vers des chimères et des korrigans, qu'elle voulait attraper comme à Cauvisson en y tirant dedans. C'était un moyen d'oublier Attila, son mariage peut être, son ventre vide aussi, un moyen de s'évader et de partir se guérir seule. Elle riait déjà, en lançant l'hongre bai au petit trot vers les arbres et le froid.
Sa langue claqua, elle sentit sous elle les muscles se détendre, se délier, bouger et gagner en amplitude. A chaque foulée, des mètres parcourus sans le moindre effort ; elle volait presque, en apesanteur quand il galopait, rebondissant sur sa selle comme un ballon léger.
Au détour d'un chemin, alors qu'elle s'enfonçait déjà sous les arbres sombres, une lueur rousse défia son regard, à sa droite et furtive, en éclair qui évitait les sabots bruns. Déjà, juste après s'être laissé voir, il disparaissait dans un cri caractéristique, se glissant sous des herbes et des souches.
Un Renard ! cria l'Hermine en riant. Les talons cognèrent l'abdomen du mâle castré, qui repartit plus vite encore. Il fallait suivre, gagner cet endroit béni pour y trouver l'animal et le gagner, vaincre comme elle l'avait décidé ; elle s'était dit que s'il vivait, Aliéniore mourrait, que s'il mourrait elle vivrait. Ça s'appelle une pensée magique. Blanche en était friande, dès le petit matin.
"S'il m'écrit ce jour c'est qu'il m'aime." "S'il m'embrasse c'est qu'il m'aime." "Si le soleil se lève plus tôt, s'il fait beau c'est que les haricots pousseront jaunes." "Si le corbeau se pose sur l'aile ouest, c'est qu'ils périront."
Si le renard vit, c'est qu'Aliéniore mourra, qu'elle ne sera plus Duchesse, que je ne serai plus Baronne, qu'Attila ne m'épousera plus, que je serai seule et malheureuse, et stérile aussi, et que la Terre s'effondrera devant tant de catastrophes.
Il ne fallait pas que le renard vive.
- Blanche ! hurla une voix derrière elle, tandis qu'elle avait sorti son arc et se préparait à viser une tâche rousse.
- Blanche ! Madame la Baronne !
Les voix étaient plusieurs. Surprise, elle tira vivement sur les rênes, fit tomber à terre une flèche et un ruban, qu'elle ne remarqua pas avant qu'un sabot affolé n'en écrase l'un dans un craquement sinistre ; l'obscure clarté autour d'elle rendait oppressant toute intervention sonore. Elle jura.
- Blanche !
- Oui, je suis là, répondit elle, voyant au loin la queue rousse filer. Je suis là, et tu m'as fait rater une proie magnifique. J'aurais eu de quoi protéger mes mains pour tout l'hiver !
Ses gens vinrent vers elle ; il y avait Anthelme du château, et Griet aussi, mais surtout des fourches et des pioches du village, de Pannezeg, des champs et de la mine, qui venaient chercher leur dame pour lui apprendre une nouvelle.
Elle sauta à terre, et épousseta sa robe. Prenant le bras de Griet, on lui apprit que Gildwen de Brocéliande était devenu Duc ; car perdue dans sa campagne, elle ne le savait pas encore.
Derrière elle, sur un tapis de mousse, le museau roux se saisit du ruban blanc et l'emporta dans un cri victorieux.
Chacun... sauf elle.
- Mais Blanche ! lui criait Griet depuis le perron. Blanche, on y voit pas le cul d'une vache, vous n'allez pas vous perdre, si ?
Et l'autre de répondre, déjà partie au loin, voix jaillissait hors du nuage blanc.
- Je vais y arriver, lui dit elle. Ce n'est pas si loin, et l'endroit est trop beau pour passer inaperçu. Charge toi du domaine pendant que je suis loin, Griet !
Déjà elle était partie. Vers des chimères et des korrigans, qu'elle voulait attraper comme à Cauvisson en y tirant dedans. C'était un moyen d'oublier Attila, son mariage peut être, son ventre vide aussi, un moyen de s'évader et de partir se guérir seule. Elle riait déjà, en lançant l'hongre bai au petit trot vers les arbres et le froid.
Sa langue claqua, elle sentit sous elle les muscles se détendre, se délier, bouger et gagner en amplitude. A chaque foulée, des mètres parcourus sans le moindre effort ; elle volait presque, en apesanteur quand il galopait, rebondissant sur sa selle comme un ballon léger.
Au détour d'un chemin, alors qu'elle s'enfonçait déjà sous les arbres sombres, une lueur rousse défia son regard, à sa droite et furtive, en éclair qui évitait les sabots bruns. Déjà, juste après s'être laissé voir, il disparaissait dans un cri caractéristique, se glissant sous des herbes et des souches.
Un Renard ! cria l'Hermine en riant. Les talons cognèrent l'abdomen du mâle castré, qui repartit plus vite encore. Il fallait suivre, gagner cet endroit béni pour y trouver l'animal et le gagner, vaincre comme elle l'avait décidé ; elle s'était dit que s'il vivait, Aliéniore mourrait, que s'il mourrait elle vivrait. Ça s'appelle une pensée magique. Blanche en était friande, dès le petit matin.
"S'il m'écrit ce jour c'est qu'il m'aime." "S'il m'embrasse c'est qu'il m'aime." "Si le soleil se lève plus tôt, s'il fait beau c'est que les haricots pousseront jaunes." "Si le corbeau se pose sur l'aile ouest, c'est qu'ils périront."
Si le renard vit, c'est qu'Aliéniore mourra, qu'elle ne sera plus Duchesse, que je ne serai plus Baronne, qu'Attila ne m'épousera plus, que je serai seule et malheureuse, et stérile aussi, et que la Terre s'effondrera devant tant de catastrophes.
Il ne fallait pas que le renard vive.
- Blanche ! hurla une voix derrière elle, tandis qu'elle avait sorti son arc et se préparait à viser une tâche rousse.
- Blanche ! Madame la Baronne !
Les voix étaient plusieurs. Surprise, elle tira vivement sur les rênes, fit tomber à terre une flèche et un ruban, qu'elle ne remarqua pas avant qu'un sabot affolé n'en écrase l'un dans un craquement sinistre ; l'obscure clarté autour d'elle rendait oppressant toute intervention sonore. Elle jura.
- Blanche !
- Oui, je suis là, répondit elle, voyant au loin la queue rousse filer. Je suis là, et tu m'as fait rater une proie magnifique. J'aurais eu de quoi protéger mes mains pour tout l'hiver !
Ses gens vinrent vers elle ; il y avait Anthelme du château, et Griet aussi, mais surtout des fourches et des pioches du village, de Pannezeg, des champs et de la mine, qui venaient chercher leur dame pour lui apprendre une nouvelle.
Elle sauta à terre, et épousseta sa robe. Prenant le bras de Griet, on lui apprit que Gildwen de Brocéliande était devenu Duc ; car perdue dans sa campagne, elle ne le savait pas encore.
Derrière elle, sur un tapis de mousse, le museau roux se saisit du ruban blanc et l'emporta dans un cri victorieux.