[Peu avant le départ de Chinon Mortelle tranche de vie]
Quelques jours après létonnant entraînement du jeune Nerra à lart de la joute, une silhouette était arrivée à proximité du domaine alors quelle sortait pour aller aux écuries soccuper de Vengeance. A la lueur de la Lune, Sindanarie lavait rapidement distinguée et reconnue. Le pas ne trompait pas, la carrure non plus. Cétait son intendant de mentor, lhomme qui lavait élevée, quelle aimait comme le père quelle navait pratiquement pas connu. Elric Lesang. Le mercenaire qui avait veillé sur elle quand le reste de la troupe de son père laurait volontiers laissée crever, comme nimporte quelle bâtarde, en même temps que sa mère. Le voir était toujours une joie, surtout depuis que ses visites à Viam sespaçaient. Elric y restait pour gérer le domaine, mais ils se voyaient moins quà lépoque où elle demeurait véritablement en Limousin.
Elric ! Tu aurais dû me prévenir que tu viendrais, jaurais préparé de quoi taccueillir !
Quelque chose dans lexpression de lhomme calma soudain lexubérance de Sindanarie, qui se recula dun pas. Une ombre quelle navait pas vu depuis un bon moment sur son visage, une ombre familière synonyme de chagrin. Il lui tendit un morceau de parchemin scellé dune goutte de cire, à la manière des courriers rédigés sur un coin de table en taverne, quelle prit machinalement, les yeux rivés sur le visage de celui qui lavait élevée, sans pouvoir réfréner une certaine angoisse.
Jai ça pour toi. Arthaud me la donné quand je suis allé la voir avant de partir pour ici. Jamène surtout une mauvaise nouvelle
Lintendant sinterrompit, laissant à Sindanarie le temps de rouler le message quil lui avait apporté autour de son avant-bras. Cette habitude de sa petiote lui laissait le temps denvisager ce quil allait lui dire. Son regard soudain préoccupé ne lui cacha pas quil avait toute son attention. Il naimait pas ce quil avait à lui dire, mais il fallait quil le fasse. Prenant délicatement une main de celle quil avait élevée contre vents et marées, il étouffa un soupir avant de lâcher péniblement :
Sinda
Zakuro est morte. Chez les nonnes. Arthaud ma dit que ça avait été sans trop de douleur
Les mots tombèrent comme un couperet. LErrante eut limpression de sentir le sol se dérober sous elle et se raidit. Sa Zak. Cétait impossible. Pas elle. Elles avaient traversé la Bretagne ensemble par deux fois, Zak avait été blessée en la protégeant. Elles avaient fait vivre leur village, elles avaient fait vivre leur caserne et leur garnison, elles avaient soigné ensemble et fait passer les visites médicales ensemble. Elles avaient ri, bu, tout affronté lune aux côtés de lautre, plus proches que des surs de sang. Zakuro avait tenu à faire delle la marraine de sa fille. Qui sen occuperait, à présent ? La gorge nouée, Sindanarie murmura :
Et
Adélia ?
Elric la considéra un instant. Savoir comment elle réagirait à la peine était encore un grand mystère pour lui. Dhabitude, cétait elle qui lui annonçait les mauvaises nouvelles. Linverse ne sétait pas produit depuis la mort de son père, quand elle avait décidé de quitter les Lames Brisées. Pour linstant, elle semblait étonnamment calme. Mais, quand une tuile lui tombait dessus, elle était capable de se maîtriser parfaitement ou déclater avec une violence rare. Cependant, cette tuile-là nétait pas du genre à la faire éclater. Du moins, pas avec colère. La relâchant, le vieil homme lui répondit, la scrutant avec un mélange dinquiétude et daffection presque paternelle :
Plum et Arthaud lont recueillie.
Hébétée, Sindanarie hocha la tête, joignant les mains sur les anneaux qui pendaient à la chaine passée autour de son cou. Trois anneaux, un par fiancé, un par deuil. Eux, elle les avait pleurés, elle avait fait fini par accepter leur trépas malgré la douleur initiale, elle en gardait des souvenirs chers. Mais après tout, elle savait à quoi sattendre dès le début de ces relations
Un soldat, un voyageur, un autre soldat. Cétait des professions dans lesquelles on mourait largement. Cétait une possibilité. Cétait probable, cétait presque inéluctable, pour ne pas dire une simple question de temps. Mais Zak
Elle, cétait différent. Elles avaient tant en commun, ces deux femmes. Les rires, les souvenirs. Du Limousin à la Bretagne, de la taverne aux chaumières et à la caserne. Les tartes à la myrtille, les beuveries, les camps, les rondes sur les remparts. Adélia, la joie dapprendre même par lettre sa naissance à Toulouse, le bonheur dapprendre quelle en serait la marraine. Elle avait été à ses côtés dans la joie et dans la douleur. Et maintenant, elle nétait plus.
La jeune femme se plia. Accroupie au sol, elle cherchait à reprendre sa respiration. Elle venait de réaliser. Souffle coupé, elle navait plus conscience de rien. Hormis dun départ de plus
Dune douleur sans nom. Dun manque absolu. Dune forme en creux découpée dans son cur à vif. Un souffle passa la barrière de ses dents serrées, et le mentor entendit quelques mots lancés comme un reproche de la Licorneuse à elle-même.
Jétais pas là
Ni une ni deux, Elric lattrapa par les épaules pour la relever et la serrer contre lui. Soudain, les yeux émeraude se voilèrent, emplis de larmes qui ne tardèrent pas à déborder.
Jétais pas là pour elle
Elle était comme ma sur !
Un sanglot monta dans la gorge de Sindanarie. Lévidence de ce quelle venait de dire la frappait à son tour. Son amie avait tellement donné pour elle
Et elle, quand elle aurait pu lui rendre la pareille, sétait trouvée éloignée du Limousin. Tellement longtemps
Elle avait dû y passer deux mois en un an. Mais des liens comme ceux qui lunissaient à Zakuro ne souffraient ni de la distance, ni du temps. Comme ceux qui la liaient à Elric. Mais Zakuro était morte, et elle navait pas pu la soutenir. Avait-elle eu peur, au moment de séteindre ? Avait-elle souffert ? Aurait-elle pu être soulagée par sa présence, apaisée peut-être ? Un nouveau coup de poignard déchira les entrailles de la jeune femme.
Cétait ma sur
La peine sans fond ne se cache plus. Elle est visible partout sur les traits de la jeune femme, qui enfouit son visage dans lépaule de son mentor. Les larmes semblent devoir couler éternellement. LErrante se répète son reproche à elle-même, comme une litanie de douleur et de culpabilité. Et son intendant, celui qui aurait pu être son père, lui chuchote doucement :
Je sais, ma toute petite
Je sais. Ne pleure pas, ne pleure plus. Tu as fait ce que tu penses devoir faire. Elle le savait. Elle ne ten aurait pas voulu de suivre la voie que tu as choisie. Faut pas que tu te sentes coupable.
Les sanglots ne cessent pas. Même si elle se mord les lèvres pour les empêcher de les passer, pour contenir lhorreur, pour maintenir en elle sa peine et en prendre la pleine mesure, lErrante ne parvient pas à se contrôler. Et finalement, dautres mots passèrent ses dents, sifflés et crachés comme un venin à extirper de son corps :
Mais jétais pas là, jai rien fait pour elle
Ni pour Adélia
Elric ne répondit pas. Pas tout de suite, du moins. Il se contenta de la serrer plus fermement encore contre lui. Quand les sanglots de sa petiote se calmèrent quelque peu, il lui murmura à loreille, la berçant comme la petite fille quelle était encore pour lui :
Continue. Pour elle, comme pour tous tes disparus. Je sais que tu les pleures encore, que tu penses à eux à chaque moment important. Faut que ce soit pareil pour elle. Tu comprends ? Ton père, Nemesys, Pascal, Kashrok, je suis sûr que tu penses encore à eux quand il se passe quelque chose dimportant. Quand ils tont fait Errante, jsuis sûr que tu as pensé à eux. Pense à elle aussi à chaque fois que tu feras quelque chose dimportant, quelque chose de bien, laisse-la hanter tes rêves, et si tu progresses encore vers la chevalerie, puisque ça a lair dêtre ta voie, pense à elle. Si un jour on tadoube, pense à elle, et dis-toi quelle aurait adoré être là et quelle aurait été très fière. Parce quelle te considérait comme sa sur.
Un air montait à présent de la gorge de Sindanarie, à peine fredonné. Lintendant le reconnut sans peine, malgré le timbre rongé de chagrin de la jeune femme, et murmura avec elle les mots de la ballade que chantait autrefois Eleuthère Carsenac, en mémoire de ses origines anglo-saxonnes, pour endormir son enfant au milieu du camp des Lames Brisées :
Here I am to die alone, voices from Heaven above
Hear my call, awaken my soul, forgive me for what I have done !*
[Retour à Maugasteau, après un épisode tumultueux en terre dAlençon Quand une lettre attend depuis trop longtemps déjà]
Le rapatriement par charrette sétait imposé après la rencontre musclée des Licorneux avec une armée de brigands**. Submergés par leur nombre, ils navaient pu faire face à la charge des membres de trois Ordres royaux et religieux réunis sous une bannière unique, pour la première fois depuis bien longtemps. Tous sen étaient plutôt bien sortis, hormis Sindanarie, récupérée sur le champ de bataille par un Homme dArmes bienveillant, qui avait également rattrapé Vengeance. Après un léger détour imposé par la jeune femme, il lavait ramenée manu militari à Chinon, dernière ville dans laquelle ils avaient été aperçus, pour quelle y soit soignée et y prenne un peu de repos. La jeune femme nétait pas dans un état particulièrement brillant à son retour sur le fief de Marie Alice. Un médicastre croisé dans un village à la limite entre Maine et Alençonnais avait recommandé à lhomme darmes qui avait récupéré lErrante de la maintenir au repos pendant cinq jours au moins. De force sil le fallait, avait-il précisé.
Nul besoin de dire que Sindanarie navait que très moyennement goûté ce repos. Sa blessure la gênait. Retarder ses Frères et Surs qui devaient reprendre la route la gênait ; avoir été, aux dernières nouvelles, la seule membre Licorneuse blessée au cours de lattaque la gênait. Et la pensée que cétait peut-être à son inattention ou à une erreur de sa part quelle devait ce sort la gênait. Elle naimait pas être un boulet et un fardeau et avait pourtant limpression den être devenu un, malgré la sollicitude et la compréhension dont chacun avait fait preuve à son égard. Elle en avait honte, et pourtant se raccrochait à la Licorne, en pensée, comme un être au bord de la noyade se raccrocherait à un rocher. Au seul rocher qui lui restait. Le temps, qui semblait désormais sans début ni fin, sétirait dans une brume grisâtre de remords, de regrets et de deuil. La douleur de la mort de son amie ne passait pas. Elle ne passerait probablement jamais complètement.
Au troisième jour de son repos à Maugasteau, lhomme dArmes qui avait veillé sur elle avait déposé à côté delle, alors quelle sétait tant bien que mal, malgré le bandage qui la gênait, installée pour affûter la lame de la bâtarde quelle avait choisie à son entrée dans lOrdre, les quelques affaires quil avait récupéré sur elle sur le champ de bataille. Le poignard quelle tenait en général serré contre son avant-bras gauche, et un morceau de parchemin*** cacheté dune gouttelette de cire. Le remerciant dun léger sourire avant quil ne la laisse, Sindanarie décacheta la lettre, qui était en partie mouchetée de taches brunes de sang séché et de terre, et la parcourut rapidement, accrochant quelques mots qui lui semblèrent dabord incohérents.
Un très léger sourire vint égayer le visage de la jeune femme quand son regard atteignit la signature. Ainsi, malgré sa visite à Viam, il ne considérait pas quil devait rompre le contact
Enfin une étincelle de gaieté venait se glisser dans le monde en deuil de la jeune femme. Saccoudant à la table, elle étala le morceau de parchemin souillé de sang et de terre devant elle et le lut plus attentivement.
Citation:Ma chère Sindanarie,
Je vous remercie infiniment pour cette surprise que vous me faites. Penser à signaler ma présence à Arthaud et messire Plum, alors qu'ils passeraient probablement à Tonnerre, cela me touche beaucoup.
Mais plus encore, l'attention que vous me portez me fend le coeur. Jamais je n'aurai imaginé que l'on puisse être si attentionné que cela. Malheureusement, si m'offrir une nuit avec Arthaud était sans aucun doute une excellente idée, je me vois dans l'obligation de la refuser.
Je vous avoue que je ne sais pas bien pourquoi je refuse ses avances. Mais malgré l'assurance dont elle fait part quand elle me dit de vous écrire pour m'assurer que ses avances ne sont pas une blague, rien justement qu'en pensant à vous, je ne peux m'imaginer que vous pensiez cela.
Je crois que j'ai déçu Arthaud. Un peu moins son mari qui semble soulagé de profiter seul de sa femme. Moi, je ne sais trop que penser. Mais après tout, cela n'a que peu d'importance. Je sais juste que je refuse ce cadeau.
En espérant avoir la chance de vous revoir bientôt,
Kaeronn
Le sourire de lErrante sétait légèrement accentué. Il trouvait matière à rire dans le fait quil avait repoussé les avances de lune de ses amies, qui lavait en plus mêlée à cette affaire
Peut-être cela avait-il été une erreur de confier à Arthaud son trouble quant à cet homme. Après avoir récupéré une plume, de lencre et un morceau de parchemin dans son nécessaire à écriture, naturellement conservé dans sa besace, la jeune femme se rassit à la table et commença à écrire, sarrêtant parfois pour se redresser légèrement quand la position devenait trop inconfortable :
Citation:A Maugasteau, en Touraine, le 6 octobre 1458.
Mon cher Kaeronn,
Quelle tristesse davoir confirmation par vous que vous avez repoussé les avances de mon amie Arthaud
Enfin, tristesse qui nest peut-être pas tout à fait sincère, je dois le reconnaître. Croyez bien que je noserais vous imposer tel cadeau, de peur de vous mettre dans lembarras. Elle ma en tout cas touché quelques mots de votre rencontre dans une courte missive quelle ma adressé à son retour en Limousin, mentionnant un message quelle devait me remettre. Le vôtre.
Jai été retenue ailleurs, en Maine (où je retournerai bientôt) et en Touraine puis sur divers chemins, et nai pas été en mesure le récupérer moi-même, et cest finalement Elric qui a pu me le porter. Il me la donné il y a quelques jours, mais je nai pu le lire quaujourdhui
Doù cet inexcusable délai de réponse. Au moins à présent suis-je sûre que vous alliez bien quand elle est passée à Tonnerre.
Y serez-vous encore dans quelques semaines ? Vous savez à quels impératifs je suis tenue, mais quand la situation sera quelque peu calmée, jaimerais revenir quelque temps en Bourgogne. Et en profiter pour passer par votre ville, cela va sans dire.
En espérant non moins que vous avoir la joie de vous revoir bientôt,
Sindanarie
Elle navait pas été jusqu'au bout, oubliant sciemment de lui dire quil lui manquait. Et quelle aurait eu besoin de lui, récemment, probablement plus que de quiconque, parce quelle savait quil aurait compris ce quelle venait de vivre. Puis, roulant sa réponse, elle se mit en quête dune bougie, dun peu de cire et dun porteur capable de délivrer son message aussi rapidement que possible. Ensuite, elle naurait plus quà rassembler ses quelques affaires, ses armes, ses protections restantes, jeter sur ses épaules la cape azur et ceindre la bâtarde frappées du mythique équin cabré, à retrouver Vengeance et à vérifier quelle allait bien. Et lErrante serait prête à reprendre son errance
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Nights of Arabia, Kamelot
** Forum secondaire, Le coin des Arpenteurs, RP Rencontre fortuite (en cours)
*** La lettre de Kaeronn a été écrite par son joueur et publiée avec son autorisation.
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