Elle est seule, au fond de cette chambre qu'on lui a allouée. Elle est assise devant un miroir, encore, comme souvent ces temps-ci, et elle peigne soigneusement ses cheveux ambrés. Elle parait si longue, cette chevelure, dès lors qu'on parvient à la libérer de ces boucles folles qui rendent son visage plus sévère mais plus déterminé aussi. Et là , alors qu'elle parvient presque à les lisser à la perfection, ces cheveux d'or, elle a l'impression que son reflet lui renvoie l'image d'une enfant qui n'aurait pas su grandir. Ses pommettes, si fines, encadrées par cet or, si soyeux.
Bon. L'heure n'est pas aux tergiversations solitaires - même si désormais la solitude ne l'ennuie plus puisqu'elle se fait moins ordinaire. Elle doit trouver sa cousine au plus vite et lui apprendre la nouvelle. Elle laisse sa crinière blonde libre de s'épanouir et d'épouser pleinement ses mouvements amples et rapides. Et elle sort de ses appartements.
Le premier coup retentit. Sourd mais puissant. Si puissant qu'elle le sent résonner contre sa poitrine et qu'un sursaut vient lui ébranler le cÅur. Elle fait brutalement volte-face, comme si elle s'attendait à ce qu'un coup vienne de derrière, et un doute, incisif, brûlant, lui empoigne l'âme. Un moment, elle ne sait plus bien où aller, elle ne sait plus bien ce qu'elle fait là . Ses sourcils se froncent et sa main vient lentement se poser contre sa gorge pour étouffer les battements fous qui ont fait écho à l'éclat cataclysmique.
Et cela reprend de plus belle. Et Clémence se met à courir, effrayée, tandis que des bribes de souvenirs l'investissent toute entière. Elle fuit, elle le sent, elle a l'impression d'être une proie qui, à tout moment, pourrait se laisser attraper. Et bien entendu, le danger viendrait de derrière...
Sauf que... plus elle s'échappe, plus il lui semble que le bruit se rapproche et qu'alors, il se fait de moins en moins sourd pour devenir de plus en plus perceptible. Mais qu'est-ce donc que ces chocs, ces explosions qui lui font peur parce qu'elle ne les connait pas. Et plus que tout, il devrait être connu que la demoiselle n'aime pas ce qu'elle ne connait pas et que pire, elle en éprouve une terreur confuse.
Des cris remplacent les coups et ils sont si aigus que seule une femme peut en être à l'origine. A nouveau, Clémence s'arrête. La proie, ce n'est pas elle. Il y a quelqu'un qui souffre et de toute évidence, ça n'est pas elle. Interloquée, elle attend, aux aguets. Est-il possible que personne d'autre n'ait entendu ce vacarme ? Quelqu'un viendra bien au secours de cette dame qui de façon inhumaine hurle, exprimant ainsi une douleur toute aussi inhumaine. Une dernière détonation lui étourdit les tempes et... on appelle à l'aide. De l'aide, de l'aide, de l'aide... quelle aide pourrait-elle bien fournir elle, si fragile, si chétive et tellement inoffensive ? Elle ferme les yeux, juste une seconde, et instinctivement, sa main se porte à son côté droit. Elle ne veut pas d'une mort supplémentaire sur la conscience. Et cette pensée parvient à lui insuffler bien plus de courage qu'elle ne s'en était senti jusque là . "Raphaël"... souffle-t-elle en reprenant sa course effrénée - l'a-t-on déjà vue courir aussi vite, elle d'ordinaire si mesurée et pudique ? - "Raphaël, sois avec moi cette fois-ci".
Les cris la guident et lorsqu'ils s'arrêtent elle reste un moment désemparée. La cour. Ãa ne peut être que là . Et elle surgit telle une bourrasque violente au milieu du... chaos. Ses prunelles paniquées se posent sur la mare de sang qui s'étale non loin de là , ne parvenant pas à en relever le regard. Du sang... Brun. Ãpais. Terrifiant... C'est douloureux. Ãa fait mal. Ãa te détruit, n'est-ce pas ? Ãa te fige de l'intérieur, tellement fort que tu ne peux plus bouger ou tenter de comprendre ce qu'il s'est passé ici. Quelqu'un est mort. Encore. Est-ce ta faute, une nouvelle fois ? Ses cils cillent et elle sort de sa torpeur, parce qu'il lui faut savoir. C'est un homme, qui est au sol. Et les cris étaient féminins. Lentement, ses yeux parcourent alors entièrement la scène qui lui fait face.
...
Blanche ! Est-ce toi qui ... ? Non, bien sûr que non ! Toi tu es là pour aider, tu as été plus rapide, plus forte, plus courageuse et tu ne fais que soutenir...
Aléanore ! Que t'arrive-t-il ? Pourquoi parais-tu si faible à côté de cette blonde Hermine qui semble soutenir tout le poids de ta douleur ? Tes traits éteints, ton visage crispé sur une souffrance invisible... Tu parais tellement vulnérable comme... comme ce jour, dans cette chapelle, à Bolchen, où je t'ai découverte plus pure que tu ne l'avais sans doute jamais été. Où j'ai appris à t'aimer un peu quand ton mon être ne voulait que te haïr.
Et elle court, la Lioncelle, enfin libérée de son malaise face à celui d'une autre. Elle ne fait que courir depuis tout à l'heure, persuadée d'abord d'être la cible d'un funeste complot, puis décidée à découvrir la cause de ce tapage, et enfin, maintenant, parce qu'elle veut simplement venir en aide à une Ãtincelle qu'elle ne souhaite pas voir faiblir et s'éteindre. Elle adresse un regard d'incompréhension à Blanche, à Jehanette, à l'homme qui se tient là et qu'elle reconnait comme étant un valet de l'Alterac. Celui-là , elle le fusille de ses prunelles assassines : et ton travail, alors, l'aurais-tu oublié ? N'aurais-tu pas compris ton rôle, celui de préserver ta maîtresse et de faire qu'elle ne souffre jamais ?
Enfin, elle vient se tenir face à Aléanore, qui n'entend plus, elle le devine, cela se voit presque, la façon dont elle l'a vue porter ses mains à ses oreilles, la façon dont elle a vu Blanche se comporter près d'elle... Elle vient se tenir face à Aléanore, donc, péniblement debout et soutenue par la jeune Bretonne, et délicatement, elle lui repousse une mèche qui lui tombe sur le visage. Les azurs plongent dans les noisettes et un sourire vient doucement éclairer le visage de l'héritière. Te souviens-tu de mon sourire, Aléanore ? Te souviens-tu de celui que tu m'as offert en retour ? Ailleurs... Dans un autre temps, un autre lieu ?
Clémence, alors, attrape la main de Blanche et l'étreint furtivement. Comme un "merci d'avoir été là " ou "bravo d'avoir été là plus rapidement que moi". Elle relâche la pression de ses doigts sur ceux de l'Hermine et vient offrir sa main à Aléanore, l'Ãtincelle blessée.
Allons-y. Il est plus que temps. fait-elle simplement, dans un murmure.
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