Arles, sa ville, ses rues, le vieux s'y promenait, chapeau sur la tête pour que les rayons du soleil ne tapent pas sur sa tête dégarnie, malgré son amour de la solitude, il aimait la foule, il aimait se promener, seul, au milieu de gens. Le fait d'être seul était indispensable, sinon ça perdrait de son charme, les gens qui se baladent à deux ne sont que des gens qui auraient aimé se balader seuls, mais qui ne veulent pas que les gens pensent qu'il sont seul. Lui s'en foutait, il aimait être seul, la vie avait voulu qu'il soit seul. Qui était il pour contredire la vie ? Pas grand chose, juste un vieux, comme pleins d'autres, avec ses peines, ses malheurs et avec le souvenir des bonheurs qu'on lui avait retirés.
Les pavés le torturait, rien de pire que le pavés pour un vieux avec une canne, il fallait viser les pavés, un moment d'inattention et la canne se coinçait entre deux et c'était la chute assurée et la chute à cette âge là, c'était trois semaines au lit. Malgré cela, il ne regardait pas le sol, il avait d'autres préoccupation, plus importantes, d'une toute autre importance en tout cas.
Cette occupations constituait à scruter les gens, les jeunes femmes tout particulièrement, plus que toutes autres femmes, il les dévisageait, il ne pouvait s'en empêcher, c'était un réflexe, cela lui faisait de la peine, mais il ne pouvait pas faire autrement, il en croisait un nombre incalculable et a chacune d'entre elle il se disait : Ma fille aurait cette âge là ... à peu près ...
Tant d'années ... tant de pleurs ... tant de fleurs portées à la tombe où l'on enterra et le corps d'un mère pleine de vie et de sourire et le souvenir d'une petite fille disparue, il n'espérait plus ... qu'y avait il à espérer au final ... qu'une femme de vingt ans viennent vers lui et lui dise "Je suis là" ... non, ce n'était pas envisageable, il s'était juré de ne plus la chercher, c'était peine perdue et la peine qui en découlait, elle, ne se perdait jamais. On lui avait dit que ça passerait ... Foutaises ... La douleur grandit en même temps que les larmes grossissent ... au début ... puis les pleurs deviennent de plus en plus rares, mais la douleur, elle, devient plus rude, elle arrache le coeur, bout par bout jusqu'à ce qu'il ne reste qu'un vide béant.
A trop souffrir on y perd son coeur, voilà la morale de sa vie, et on ne peut vivre sans coeur, on peut faire semblant, faire son travail ... mais vivre ça non ... Ceux qui connaissent cette douleur sont les seuls à avoir aimer, les seuls qui aurait préféré mourir plutôt que voir mourir. L'un est douloureux quelques minutes, quelques heures, l'autre l'est pour toute une vie, le choix est vite fait ... et pourtant jamais il n'avait songé à se donner la mort ... il fallait qu'il souffre, qu'il souffre pour sa fille ... pour qu'elle soit aimée dans sa mort comme si elle avait vécu et c'était ce que lui faisait, il l'aimait, elle, les souvenirs d'elle et les petits vêtements d'enfant qu'il avait gardé ...
En pensant à tout cela, il se surprit à pleurer en marchant ... Pas si rare finalement ...