Kallias
Thouars, jeudi, douzième jour de janvier 1457.
Sur la place du village, un sobre décor se montait, une estrade,ainsi quune planche denviron sept pieds de haut dressée à la verticale. Deux hommes sactivaient en silence, sans réponse pour les regards curieux des passants. Lun était Kallias Alciato, lautre Pulika Sitomni, et bien que le premier paraissait avoir une supériorité hiérarchique sur le second, les deux travaillaient équitablement. Une fois les quelques objets de bois disposés, Kallias vint afficher un parchemin quil avait déjà copié plusieurs fois, et qui annonçait : Los Esposos Alciato, grand spectacle de lancer de couteaux à la Tsigane, ainsi que le lieu et la date. Cétait probablement la première fois quune telle démonstration avait lieu en cette ville, cétait en tous cas la première que les deux époux accompliraient ensemble. Kallias connaissait ce numéro de cirko tsigane par cur, ayant fait du jet de couteaux sa plus grande spécialité dès son enfance ; mais pour son épouse, née gadji et devenue Romni par les liens sanguins du mariage andalou, ce serait la « primera vez ». Bien entendu, ils avaient déjà accompli le numéro tous les deux, en pleine campagne, et il était apparu clair quil ny avait aucun souci à se faire : elle navait pas cillé, et sa main à lui navait pas tremblé ni perdu de sa dexterité.
La seule véritable appréhension nétait donc pas le danger potentiel du numéro de lancer, mais peut-être laccueil que le public, sil y en avait un, donnerait au couple de gitans. Partout les préjugés étaient là, justifiés ou non. Les Tsiganes étaient différents des Gadjé, et tous ne pouvaient peut-être pas laccepter, ce nomadisme, cette liberté, cette fierté et cet esprit au-dessus des lois et des frontières. Le gadjo assimilait parfois fierté à vanité, nomadisme à vagabondage, et liberté à délinquance. Bref, il substituait des concepts inconnus pour lui par dautres concepts quil rencontrait davantage. Mais tous les gadjé nétaient pas comme ça, Kallias le savait bien, dailleurs il avait même pris une épouse issue dun milieu non-rom, pour leur plus grand bonheur à tous les deux. La plupart de ses amis étaient aussi des gadjé, mais des gadjé liberés de leurs chaines, comme on en voyait alors trop peu. Peut-être le Scorpion songeait-il à cela lorsque, une fois lestrade posée, il posa un regard énigmatique sur les badauds, semblant rechercher en eux ceux qui pourraient sortir du lot.
Un instant, son sourire sélargit et il nétait pas à mettre en doute quil songeait à son épouse et associée dans le numéro de cirko, celle-ci ne tarderait plus. Le spectacle pourrait alors commencer, et les couteaux senvoler
Kallias fit un geste discret à Pulika, et se plaça en retrait de la scène improvisée, pour laisser parler son cousin, qui s'avança.
Gadjé de Thouars, ce soir, ici même, se produisent les époux Alciato, pour le fameux numéro de Cirko Romani des lancers de couteaux !
La représentation est libre et gratuite selon la volonté de ses Excellences, venez nombreux, amenez vos femmes et vos enfants, le spectacle vous coupera le souffle car jamais vos yeux n'ont vu ni ne verront telle prouesse en ce monde !
Le Rom fit une révérence exagérée et magistrale à la fois, comme s'il venait d'annoncer l'Empereur d'Orient.
Kallias eut un rire léger, se demandant si Pulika n'en faisait pas un peu trop... Après refléxion, il se dit pour lui même que non, après tout, les annonceurs faisaient partie du spectacle, et étaient source d'émerveillement à eux seuls. Le soleil descendait, cela ne tarderait plus...
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Truth
Sur la place du village, un sobre décor se montait, une estrade,ainsi quune planche denviron sept pieds de haut dressée à la verticale. Deux hommes sactivaient en silence, sans réponse pour les regards curieux des passants. Lun était Kallias Alciato, lautre Pulika Sitomni, et bien que le premier paraissait avoir une supériorité hiérarchique sur le second, les deux travaillaient équitablement. Une fois les quelques objets de bois disposés, Kallias vint afficher un parchemin quil avait déjà copié plusieurs fois, et qui annonçait : Los Esposos Alciato, grand spectacle de lancer de couteaux à la Tsigane, ainsi que le lieu et la date. Cétait probablement la première fois quune telle démonstration avait lieu en cette ville, cétait en tous cas la première que les deux époux accompliraient ensemble. Kallias connaissait ce numéro de cirko tsigane par cur, ayant fait du jet de couteaux sa plus grande spécialité dès son enfance ; mais pour son épouse, née gadji et devenue Romni par les liens sanguins du mariage andalou, ce serait la « primera vez ». Bien entendu, ils avaient déjà accompli le numéro tous les deux, en pleine campagne, et il était apparu clair quil ny avait aucun souci à se faire : elle navait pas cillé, et sa main à lui navait pas tremblé ni perdu de sa dexterité.
La seule véritable appréhension nétait donc pas le danger potentiel du numéro de lancer, mais peut-être laccueil que le public, sil y en avait un, donnerait au couple de gitans. Partout les préjugés étaient là, justifiés ou non. Les Tsiganes étaient différents des Gadjé, et tous ne pouvaient peut-être pas laccepter, ce nomadisme, cette liberté, cette fierté et cet esprit au-dessus des lois et des frontières. Le gadjo assimilait parfois fierté à vanité, nomadisme à vagabondage, et liberté à délinquance. Bref, il substituait des concepts inconnus pour lui par dautres concepts quil rencontrait davantage. Mais tous les gadjé nétaient pas comme ça, Kallias le savait bien, dailleurs il avait même pris une épouse issue dun milieu non-rom, pour leur plus grand bonheur à tous les deux. La plupart de ses amis étaient aussi des gadjé, mais des gadjé liberés de leurs chaines, comme on en voyait alors trop peu. Peut-être le Scorpion songeait-il à cela lorsque, une fois lestrade posée, il posa un regard énigmatique sur les badauds, semblant rechercher en eux ceux qui pourraient sortir du lot.
Un instant, son sourire sélargit et il nétait pas à mettre en doute quil songeait à son épouse et associée dans le numéro de cirko, celle-ci ne tarderait plus. Le spectacle pourrait alors commencer, et les couteaux senvoler
Kallias fit un geste discret à Pulika, et se plaça en retrait de la scène improvisée, pour laisser parler son cousin, qui s'avança.
Gadjé de Thouars, ce soir, ici même, se produisent les époux Alciato, pour le fameux numéro de Cirko Romani des lancers de couteaux !
La représentation est libre et gratuite selon la volonté de ses Excellences, venez nombreux, amenez vos femmes et vos enfants, le spectacle vous coupera le souffle car jamais vos yeux n'ont vu ni ne verront telle prouesse en ce monde !
Le Rom fit une révérence exagérée et magistrale à la fois, comme s'il venait d'annoncer l'Empereur d'Orient.
Kallias eut un rire léger, se demandant si Pulika n'en faisait pas un peu trop... Après refléxion, il se dit pour lui même que non, après tout, les annonceurs faisaient partie du spectacle, et étaient source d'émerveillement à eux seuls. Le soleil descendait, cela ne tarderait plus...
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Truth