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Info:
Ce RP est un multi-temporel. Il comporte des scènes du passé et des scènes du présent. Toutes sont reliées d'une manière ou d'une autre. Certaines scènes seront avortées, d'autres continuées. C'est un RP complexe, mais qui permet entre autre de comprendre un passage important d'Eoghan & de Gnia.

[RP] Comme une impression de déjà vu...

Gnia
[Comme si tout ce qu'il nous était donné de vivre n'était qu'une pâle copie de ce que nous avons déjà vécu...]


[Angoulême - Un mois avant]


Une plume qui grince sur un parchemin. Sur le parchemin, la lumière crûe d'une fin d'après midi étouffante. Dans la lumière, un visage austère, concentré, entouré de boucles d'un noir de jais qui s'échappent d'un chignon maladroit.
On vient d'annoncer à la Saint Just la visite du jeune Eoghan de Dongenan-Dénéré et elle veut terminer ce qu'elle fait avant qu'il ne soit introduit.
La plume se repose enfin à l'instant où elle entend les bruits de pas dans le couloir qui mène à cette pièce qui lui sert d'étude.
Elle détache ses yeux des dernières lignes d'encre et relève la tête pour accueillir le jeune homme.

Mais en lieu et place du damoiseau, c'est une petite boule brune pleine de poil qui traverse la pièce ventre à terre, faisant voler les herbes qui jonchent le plancher et qui finit par atterrir dans les jupes de la Saint Just.
Elle n'entend pas les cris de protestation qui pourraient venir du couloir. Elle n'entend que les jappement suraigus d'un chiot qui bave sur le bas de sa robe. Elle ne voit que ses immondes petites pattes sales qu'il pose sur le riche tissu.

La surprise cède rapidement place à une moue de dégoût profond, tandis que des yeux pleins d'une sourde colère se posent sur le blond visiblement gêné qui est entré à la suite de l'animal.
Prenant une profonde inspiration, tâchant de lutter contre l'aversion que lui inspire la petite chose qui se presse contre ses jambes, la Saint Just lance d'un ton glacial


Otez ça de ma vue.
Tout de suite.



[Montauban - Un mois plus tard]

Sur un écritoire posé non loin de la lumière dispensée par la fenêtre de la chambre d'auberge, Agnès faisait crisser sa plume sur un vélin. Il lui semblait que ses derniers mois n'avaient été qu'une suite de lignes d'encre déversées sur des feuillets volants. Elle lâcha un instant la plume et passa une main sur son visage pour y récupérer l'une des ses boucles fuyardes et la faire glisser derrière son oreille.
Elle avait fait mander le jeune élève dont on lui avait confié la perfection de son éducation et elle délaissa son écrit pour l'accueillir.
Elle l'avait entendu marcher sur le plancher et ses yeux se tournèrent vers la porte ouverte.

Ce ne fut pourtant pas lui qui entra. Trébuchant sur un tapis qui glissa sous sa course effrénée, ce fut un chiot à la langue pendante qui fit son apparition et qui fila droit s'aplatir contre le lin sombre de la robe d'Agnès. Le tout s'accompagnait d'aboiements et de tentatives de grimper sur les genoux de la comtesse.

Une petite moue agacée répondit à la fête que lui faisait le jeune animal tandis qu'un regard las se posa sur Eoghan qui se tortillait, visiblement mal à l'aise, au milieu de la pièce.
Profond soupir, avant de daigner apaiser la frénésie du chiot d'une vague caresse sur le museau et de poser un regard résigné sur le blond damoiseau.


Laissez-le.
Il faut croire que cette pauvre bête est assez folle pour m'aimer.

_________________
Eoghan
Malgré tout, certains cachent tellement bien leur jeu
Que malgré nous, on s'autorise un pas ou deux
Rien que pour voir au ça nous mène
Comme pour défier nos peines
On sens bien pourtant qu'il y a un air de...



    [Angoulême, ou la ville aux milles Calvaires. Un mois avant.]

Enfin, la journée se termine. Plus que le soulagement de l'assurance de dormir dans une couche confortable cette nuit-là, c'est surtout la saveur d'une fin de voyage attendue.

La demeure de convalescence de la Sainct-Just le domine déjà tandis que ses pas percutent le sol dans un nuage de poussière, d'autant plus volumineux que d'autres petites pattes viennent y rajouter leur lot. Un léger sourire éclaire le visage fin du blondinet au regard émeraude. L'animal, il l'avait trouvé quelques jours auparavant en bien piteux état sur le bord de la route, presque mort de faim et de soif. Il était très jeune, et bien qu'il passait le plus clair de son temps à dormir, apparemment le canidé avait senti que quelque chose d'important pour lui allait se passait, et avait décidé d'accompagné son jeune sauveur.
Le jeune Dragon était serein et inquiet à la fois. Deux sentiments provoquaient par une seule et même personne, Agnès Adélaïde de Sainct-Just & de Dublith, entre autre surnommée son Infâme Grandeur la Comtesse du Lavedan. Surnom faisant parti d'une légende urbaine ou vérité dévoilée ? C'était là ce qui poussait le Dénéré-Dongenan à être inquiet.
Et pourtant.... Et pourtant, aux discussions qu'il avait pu avoir la Cassel d'Ailhaud, sa préceptrice, Eoghan avait saisi sans difficulté l'amitié qui liait les deux femmes. Cela n'était d'ailleurs sans doute pas dû au hasard. La Comtesse de Lille & de Sainct-Omer était sans doute l'une des femmes les plus droite et intègre qu'il avait jamais rencontré. Logiquement, il apparaissait donc que la Sainct-Just serait du même acabit.

Pourtant, la première leçon que cette dernière allait lui enseigner arrivait à grand pas. Ou plutôt à coups de petites pattes sales et d'un regard glacial qui aurait fait dresser l'échine de n'importe quel mâle normalement constitué.


Otez ça de ma vue.
Tout de suite.


Signe d'accord silencieux, le presqu'homme s'avance vers le chiot qui lui, semblait inconscient de la situation embarrassante qu'il avait créé.

[...]

Le soir faisait place déjà à une nuit noire, tandis que l'air se rafraîchissait déjà bien vite à l'extérieur. Pourtant, Eoghan n'avait aucune envie de dormir. Comme qui dirait, il avait fuit la colère de la convalescente Comtesse pour plutôt s'affairer à sa discrète installation en les murs de la demeure, puisqu'il était censé désormais être partout - ou presque - où serait sa nouvelle protectrice. Il savait qu'il n'y avait aucune dignité à ne pas faire face à ce qu'il avait provoqué bien involontairement, mais provoqué quand même.

Un soupir s'échappe des lèvres fines.

L'adolescent enfile une chemise aussi noire d'encre que l'était le ciel sans astre lunaire. Quelques instants après, le Dragon aperçoit la porte de la chambre de la Sainct-Just, entrouverte.
Les pas se font félins pour plus de discrétion, et la respiration à peine plus bruyante qu'une brise. Approchant de l'innocente interstice, quelque chose s'en échappe.

Un soupir ? Des pleurs ? Un voile de tristesse ou bien de colère ? Il n'aurait su le définir.

Finalement, premier pas en machine arrière. Le plancher craque. Trop tard, Elle a remarqué sa présence.



    [Montauban, ou la ville Salvatrice. Un mois plus tard.]

Convocation ? Quel étrange mot. Con-vo-ca-tion, ou la vocation d'un con ? Allez savoir, mais oublions l'étrangeté de la langue française. C'est surtout la consonance du mot qui résonne étrangement aux oreilles du fils du Duc du Vannetais et de la Baronne de Bubry.

Pourquoi diable veut-elle me convoquer ?

Pensée à voix haute d'un jeune Dragon qui savait déjà le but de la convocation, mais qui justement, aurait bien voulu que cela se fasse plus tard. Il savait déjà le rôle qu'elle allait demander de lui jouer dans sa mesnie, mais cela l'effrayait un peu. Beaucoup de choses l'effrayaient d'ailleurs, à ce jeune blond qui pouvait passer d'un calme extrême à une dangereuse colère en à peine quelques secondes. Trait de caractère qui s'affirmait sans doute bien trop au fur et à mesure que ses quatorze ans approchaient à grand pas.

Une fusée interrompt ses pensées.

Une fusée en l'an 1458, vous croyez ? Mais oui, vous n'êtes pas fou. Il s'agit bel et bien du chiot qui a pris un peu du poil de la bête en un mois, et qui par un miracle incertain avait réussi à trouver logement dans le coeur pourtant si dur de l'Artésienne.
Il entre donc à la suite de l'animal, puis pose un regard d'excuses sur la si peu veuve et si peu mère Sainct-Just. Mal à l'aise. Oui, il l'était. Même s'il savait qu'elle le tolérait désormais, il n'oublierait sans doute jamais ce ton glacial la première fois que la bête avait fait son apparition.


Laissez-le.
Il faut croire que cette pauvre bête est assez folle pour m'aimer.


Un léger sourire s'appose sur le visage du garçon, mais ne perd pas le nord pour autant.

Pourquoi m'avez-vous fait convoquer ?

Le ton était marqué, appuyé d'une certaine assurance. Il y a un mois, Eo' ne serait sans doute jamais permis cela. Mais avec elle, il fallait être pourvu d'un certain caractère pour pouvoir véritablement dialoguer. Croire le contraire serait se faire dominer comme un pantin par une Comtesse qui maniait le verbiage à l'excellence assisté d'une volonté de fer.

Première leçon assimilée.

_________________
Gnia
[Le désert est un malentendu, un mauvais lit pour le sommeil et le songe, une page blanche pour la nostalgie. Tahar Ben Jelloun]


[Angoulême - Toujours un mois plus tôt. Plus quelques heures.]

En un geste rageur, le papier fut d'abord roulé en boule et jeté sans autre forme de procès en direction de l'âtre, froide et inutile en ces nuits estivales, et rebondit pitoyablement pour rejoindre ses compagnons d'infortune sur le plancher.
Soupir exaspéré. Ou un bras de fer entre ce que dicte le coeur et ce qu'impose la raison. Quoique la raison ne soit pas ici le terme approprié. Disons plutôt ce que commande une fierté crasse.
Elle veut écrire, revenir sur ce qu'elle a dit, sur ce que sa propension au pessimisme lui a fait coucher sur le parchemin et qu'elle a aussitôt regretté.
Elle ne veut pas reconnaitre cette faiblesse, partie émergé d'une faiblesse bien plus importante et profonde. Car qu'est-ce donc si ce n'est de la faiblesse ? Comment trouve-t-on les mots pour faire oublier ce qui ne peut être effacé. Et puis...

Et puis merde !

Dans le silence de la maisonnée endormie au coeur de la nuit, un craquement résonne à ses oreilles comme pour ponctuer le verdict impérieux que l'orgueil vient d'imposer. Les sourcils se froncent, un regard inquisiteur scrute la porte qu'il découvre entre-ouverte. Seconde d'intense réflexion mise à profit pour vérifier machinalement que la courte dague qui ne la quitte pourtant jamais est bien à sa place, cachée entre la peau et les tissus. Puis le minois abîmé de la Saint Just s'éclaire d'un petit sourire cynique. Etrangement douce, la voix rauque se fait enjôleuse ne laissant toutefois qu'un bien mauvais choix.


Mais enfin, donnez-vous donc la peine d'entrer. Il serait dommage de ne pas poursuivre notre conversation avortée. Ou bien préférez-vous rester derrière la porte pour me parler ?

Qui d'autre que le jeune nouvel arrivant peut se tenir derrière la porte et hésiter à entrer ? Et puis...

Et puis, si il n'y a finalement personne, c'est donc qu'elle devient véritablement folle.



[Tarbes - Quelques semaines plus tard - Ou quelques jours plus tôt]

Enfin.
Quoique l'étape de Tarbes ne fut pas une fin en soi mais plutôt l'ébauche d'un recommencement, peut-être même d'un renoncement. Tenter d'effacer le passé pour essayer de construire l'avenir. Quand bien même l'on sait que l'un comme l'autre feront ce qu'ils veulent, de notre plein gré ou à notre coeur défendant.
Quartier de la Sède, Ostau Dénéré-Saint Just. Dans cette maison qui n'a accueillit que bien peu de bonheur et beaucoup trop de malheurs l'on ne restera que quelques jours.

Dans cette maison, dans cette ville, dans ce comté, le sommeil ne consent à venir apaiser de bien sombres tourments que lorsque l'on lui offre force vin et opiacées.
Assise à sa table de travail, la Saint Just lève un regard étrange et las sur le jeune Dénéré-Dongenan qu'elle a fait mander dans son bureau.


Souhaiteriez-vous que je vous enseigne la bonne gestion des biens, rentes et possessions d'une maison noble ?

La question en est-elle vraiment une ? Probablement pas.
Un étrange et léger sifflement émane de la poitrine de la Saint Just tandis qu'elle prend une profonde inspiration. Bruit à présent caractéristique qui rappelle que ce qui n'est pas visible ne doit cependant pas être oublié. Elle se lève et traverse la pièce pour en sortir, lançant au passage au damoiseau blond


Suivez moi. On va l'Hostel de Ville.

[...]

Terres et ostau ont trouvé preneur. Actes de vente contre écus.
Juchée sur sa monture au milieu de la cour de la demeure caractéristique de l'habitat béarnais, Agnès attend. Le soleil déjà haut dans le ciel darde des rayons implacables sur la monture et sa cavalière, mais elle reste là, immobile. Elle attend.
Le reste de la petite troupe qui fera le voyage avec elle patiente, à l'ombre. Les minutes s'égrènent mais la Saint Just ne bouge pas. Eoghan finit par faire avancer son cheval à la hauteur du sien.


Tout est prêt.

Encore un instant qui semble interminable avant qu'elle ne tourne vers lui un visage déterminé et lui lance l'imposant trousseau de clefs de l'ostau. Charge à lui de remettre au nouveau propriétaire qui attend également cette dernière attache.
Elle fait volter son coursier et passe l'imposant portail sans un regard en arrière



[Montauban - Un mois plus tard. Plus quelques minutes - Ou quelques jours plus tard]

La fin.
Quoique qui pouvait présumer de l'avenir et décréter qu'ici s'achevait l'errance ? Pour renaître il faut d'abord mourir. Quand bien même l'on se refuse toujours à accepter l'inéluctable.
Oane Vira, Auberge des Quatre Vents anciennement du Coq Hardi. Dans cette bâtisse où les voyageurs ne sont que brises, bourrasques, bises ou alizées, l'on passera peut être finalement plus de temps que prévu.

Dans ce nouvel environnement où tout reste à découvrir, il n'est point question de dormir ou de s'évader.
Regard qui vogue vers la fenêtre et se perd un instant sur la ville avant qu'à sa question, la Saint Just ne tourne un visage étrangement enjoué vers Eoghan qu'elle a convoqué dans sa chambrée.


Avez-vous eu le temps de songer à la charge de la gestion mes biens, rentes et possessions que je souhaite vous confier ?

La question n'est que de pure forme. Evidemment.
Le chiot échappe un jappement de protestation. Comme s'il sentait que sa situation privilégiée était sur le point de prendre fin. Et son instinct ne l'a pas trompé. Agnès quitte son écritoire et se dirige vers la porte, intimant à son jeune élève de la suivre.


Venez avec moi. On va à l'Hotel de Ville.

[...]

Ainsi c'est ici que l'on s'établira. Imposante bâtisse offerte sur un plateau.
Bien campée sur sa selle face la maison forte flanquée de deux hautes tours, elle attend. Une pluie fine qui n'a pas cessé depuis le matin glisse sur l'épaisse cape et sur le poil de la monture, mais elle reste là, figée.
Il n'y a pas âme qui vive aux alentours. Le temps, s'il n'était rythmé par les gouttes qui en tombant des arbres martèlent le sol, pourrait sembler suspendu. Enfin Eoghan la rejoint.


C'est annulé.

Long et profond soupir de celle qui n'offre au jeune Dénéré-Dongenan qu'un profil exprimant une rare dureté, malgré l'eau qui y ruissèle. Sans ne serait-ce poser qu'un regard sur le jeune homme, elle lui tend un lourd anneau où pendent pléthore de clefs. Charge à lui de faire débarquer la mesnie au port d'attache puisque le capitaine du navire ne semble pas décidé à y prendre arrimage.
Elle imprime une légère pression sur les flancs du coursier et rebrousse chemin vers l'auberge, non sans jeter un dernier coup d'oeil au lourd édifice de pierre.
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Eoghan
    [Angoulême - Toujours un mois plus tôt. Plus quelques heures.]


Mais enfin, donnez-vous donc la peine d'entrer. Il serait dommage de ne pas poursuivre notre conversation avortée. Ou bien préférez-vous rester derrière la porte pour me parler ?

Grimace qui s'afficha sans discrétion aucune sur le visage à la peau blanchâtre du jeune garçon. La voix était envoûtante, étrange même, un peu trop mielleuse. Le genre de voix qui vous fait irrémédiablement penser à des personnalités légendaires, et dans ce cas là, lui fait penser à Melizenn, autrement dit la célèbre Melusine. Bretonne histoire, qu'un jour tout enfant issu de la patrie aux forêts eut la chance d'entendre.
Le Dragon au regard de la même couleur que ces forêts entra justement dans la pièce. Nulle fuite des miroirs de l'âme, les yeux, seulement un visage impassible, décidé mais à la fois sans confiance.

Les secondes passèrent, un instant de silence s'ancre.

Finalement, légère inclinaison du buste par le Dénéré, qui laissa s'échapper un flot léger de paroles, mais dont il ne détourna aucunement l'intention.


Nulle discussion avortée Comtesse. Seulement l'aigreur de vos paroles, et ma fuite outrageante.

Alors qu'il était venu s'excuser, le voilà à défier celle qui hébergerait sa vie durant quelques temps. Même à lui rejeter la faute dessus. La faute de quoi ? Il n'avait aucune idée. Mais la Faute quand même.

Quelle folie lui était passée par l'esprit ? Un désir peut-être, d'écrire leur futur qui serait commun, dans la Vérité. Un bien grand mot pour d'autres maux.



    [Tarbes, ville Trait-d'Union - Quelques semaines plus tard - Ou quelques jours plus tôt.]

Tarbes. Ville vide d'un Comté vide. Tout dans cette terre ne montrait en écho que méfiance, défiance et désespérance.
Enfin, c'est surtout ce qu'il a deviné du sentiment de Lavedan. Etrange femme, vraiment. Une femme qu'il avait compris comme étant tant de fois brisée, blessée et sonnée. Mais qui à chaque fois, trouvait la force de se relever. Ou au moins l'énergie de le faire croire, car il était loin d'être persuadé qu'elle l'était vraiment.

Et lui ? Et lui dans tout ça ? Ce maelström d'une vie dont il n'était pas sûr qu'elle soit la sienne. Dragon qui s'interroge sur ses choix, sur ce qu'il est, et surtout, sur ce qu'il devient.
Qui est-il, après tout ? Personne. C'est bien beau de se positionner par rapport à son ascendance, un titre, ou une fonction. Mais ça ne dit rien de la personne, n'en affiche rien de bien vrai, ne fait que paraître une illusion pourvue de traces d'ombre. Seule une femme qui n'avait pas voulu lui dire son nom avait deviné qui il était. Etrange femme, d'ailleurs.
Il se souvenait encore aisément de ses paroles : "Il a la Sagesse de ses Forêts, Il est Tempétueux comme son Océan. Breizh est son Sang, Dragon est son nom".

D'un geste de la main, ses pensées sont chassées. Il est temps de sa hâter à rejoindre la Saint-Just qui l'a fait demander.

[...]


Souhaiteriez-vous que je vous enseigne la bonne gestion des biens, rentes et possessions d'une maison noble ?

Acquiescement de la tête. La réflexion ? Il ne la prend pas. Le Dénéré sait très bien ce qu'il en est.

Vous connaissez déjà ma réponse Comtesse.

Le regard émeraude est assuré dans son azur.

[...]

Et voilà. Déjà, le temps de quitter cet endroit est venu. De toute façon, durant le peu de temps qu'ils ont séjourné ici, le blondinet n'eut pas l'ombre d'un instant l'envie de connaître plus avant cette contrée. À vrai dire partir était même un soulagement, car cela voulait dire retrouver la Guyenne. Et Montauban. Ville qui donnait à Eoghan une sérénité qu'il n'avait que trop rarement.

Tout est prêt.

Dernier regard vers l'Artésienne, puis les chevaux entament le pas dans un halo de poussière. Le Soleil sera le seul témoin de la fuite de la Saint-Just. Car il ne faut pas en douter, malgré les apparences, ce n'était qu'une fuite d'un autre genre, et d'autre chose. Peu pouvaient le comprendre, et le Dénéré lui, l'avait compris.

[...]

Quelques heures sont passées. Il était temps de s'arrêter. La nuit allait faire son ouvrage, et même s'ils s'étaient éloignés de la contrée aux ours et aux loup, le danger n'était pas écarté. Heureusement le Dragon avait eu la chance d'apercevoir une tour délabrée à moins d'une lieu. Ce serait donc là le temps de leur résidence pour une nuit.

Les chevaux sont déjà attachés et soignés. La troupe a déjà eu le temps de se remplir la panse, et tandis que certains dormaient depuis quelques temps, Eoghan s'occupait passivement du feu dans l'âtre de la tour en ruine, refuge d'une fuite prévue depuis de long mois par la Comtesse.
D'ailleurs, son regard se porta vers le visage de cette dernière, pensive. Les ombres des flammes dansaient sur elle, et il ne put que remarquer la cicatrice qui marquait son cou et son visage, témoin d'une histoire funeste.


Que cherchez-vous à fuir ?


    [Montauban - Un mois plus tard. Plus quelques minutes - Ou quelques jours plus tard.]

Avez-vous eu le temps de songer à la charge de la gestion mes biens, rentes et possessions que je souhaite vous confier ?

Sourire qui vint agrémenter le visage fin du Dragon. Finalement, cette fonction au sein de la mesnie Saint-Just lui convenait totalement. Les projets fleurissaient dans son esprit, et la perspective que cela donnait à l'avenir des terres et de ses habitants était toute aussi enivrante.

J'ai eu le temps d'y réfléchir, en effet. Et d'avec ce que vous m'avez informé et appris, j'ai quelques idées qui ne devraient pas être pour vous déplaire.

Cependant, le rendez-vous pris pour l'Hôtel de Ville vint interrompre son ébullition intérieure et accroître son impatience. Léger soupir d'agacement qui s'échappa des lèvres fines.

[...]


Pourquoi ?

Le ton était volontairement inexpressif, tandis que lui aussi sur un destrier, la suivait sous la pluie drue. Il était rare que la Comtesse du Lavedan apparaisse ainsi. Et même s'il accepta sans rechigner l'anneau et clés qui y étaient affublées, et donc ainsi la charge de travail qui allait avec, Eoghan a appris à ne pas rendre les armes aussi facilement avec elle.
Elle avait un sacré caractère. Un putain de caractère même. Et s'il la savait indomptable, la coopération était quelque chose qu'elle acceptait, parfois. Alors, tentative fut faite.

Aucune réponse, le Dragon poursuivit seul.


En tout cas, votre nouvelle demeure est... idéale. Juste ce qu'il faut entre la démonstration de votre pouvoir et la froideur que vous ne cessez d'offrir à chaque personne qui vous côtoie.

Un affront ?

Non. Un constat.

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Gnia
[Angoulême ou l'ennui]

A la réponse du damoiseau, elle échappe un petit ricanement muet. Puis elle reste de longues minutes à l'observer, si pâle, la blondeur de l'enfance, le regard profond. Le regard se fait moqueur, le sourire sarcastique.

Voyez-vous cela, l'aigreur de mes paroles... Il n'y avait rien d'aigre, Dongenan-Dénéré, juste un refus catégorique de vouloir m'attendrir ce qui est sensé attendrir le reste du monde. Je ne prise guère la compagnie d'animaux familiers. Les bêtes ne sont bonnes que dans l'assiette ou lorsqu'elles sont utiles à l'homme.
Tout comme je n'arrive point à éprouver ces soudaines bouffées d'affection ridicules que certains éprouvent devant les vagissements baveux des bambins.
Il faudra vous y faire. Ou pas.


Le visage se départit alors de la causticité qu'il se plaisait à offrir à son interlocuteur et se fait sérieux sans pourtant être hautain ou sévère. Juste pour appuyer la gravité de ce qui allait suivre.

Eoghan, je ne suis pas là pour être votre mère ou votre nourrice et je n'aurai pas la bonté de votre perceptrice. Vous êtes ici pour achever d'apprendre de quoi vous lancer dans le monde et passer le plus rapidement possible de damoiseau à jeune homme.
Le monde est aigre, acide, glacial et peu amène et si vous le fuyez, il vous rattrapera et vous broiera. Si vous devez me détestez parce que j'en suis la plus parfaite démonstration alors, soit. Et peu importe, car j'aurai rempli la mission que votre mère et la comtesse de Lille m'ont confié.


Un sourire franc soulève les commissures de ses lèvres avant qu'elle n'ajoute

Allez donc vous reposer, Eoghan, vous avez eu une longue journée et demain nous avons à discuter.


[Tarbes ou la fin d'une vie]

Le feu possède ce fascinant pouvoir d'être le plus beau des spectacles à contempler tant par la beauté du ballet des flammes qu'il offre et la variété des couleurs qu'il arbore que par l'éminent danger qu'il représente. Cette faculté qu'il a à consumer en quelques instants des pans entiers d'une vie, de sueur et de labeur, à marquer profondément et durablement son empreinte dans les chairs et dans la terre.

La question abruptement posée sortit la Saint Just de sa contemplation. Elle tourna la tête vers le garçon et posa un instant sur lui ses yeux sombres. Il semblait finalement que ce damoiseau timide et peu bavard soit plus perspicace que ce qu'il laissait entrevoir et sans pour autant se l'avouer, Agnès aimait cette faculté à poser les questions sans détour.


Je ne sais si je fuis ou si au contraire j'avance, Eoghan. Tarbes et le Béarn ne sont pour moi qu'une succession de mauvais souvenirs et de rappels d'une vie manquée, jalonnée d'échecs et de douleurs. Je clos un chapitre de mon histoire.
La fuite n'a rien de lâche si elle nous permet de rester en vie.



[Montauban ou l'indécision]

Front buté, mine résolue assortie de son éternelle moue boudeuse, la taciturne Saint Just ne moufta tout d'abord pas à la piquante remarque de son intendant. Sous la pluie froide et insidieuse, elle continuait d'avancer sans consentir à jeter un regard à celui qui cheminait avec elle.
Puis, rompant son silence, elle finit par lancer un caustique


Votre comparaison entre l'image que j'offre et celle qu'offre cette bâtisse aurait probablement plu à celui qui l'a choisie pour moi.


Un léger sourire en coin soulève la commissure de sa bouche.

Quant à pourquoi je vous ai demandé de faire annuler les offres d'achat de terres à Montauban, mettez cela sur le compte d'une toute féminine indécision. N'est-ce point là un trait de caractère purement féminin ? C'est certes peu crédible mais il faudra vous en contenter.

Elle lui lança enfin un regard devenu l'espace d'un instant moins dur puis sans un mot de plus, elle tira légèrement sur les rênes de sa monture pour en ralentir le train alors qu'ils approchaient du coquet établissement où la Saint Just avait pris ses quartiers.
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