Arielle_de_siorac
La fin de l'après-midi flamboyait sur les formes élégantes de l'Hostel de Gilraen lorsque la comtesse de Hoorn y posa son regard.
Au cours des longues années d'absence de la maîtresse des lieux, rien n'avait changé céans. L'orgueilleuse demeure, toute en flèches et nobles dentelles, n'avait pas pris une ride depuis que le célèbre Jeanjacob, sa nouvelle épouse Arielle et les enfants de cette dernière avaient quitté les lieux pour tenter le destin sous d'autres cieux.
On ne pouvait en dire autant de la dame qui descendait à présent de son carrosse avec l'aide de sa canne et de ses laquais. Droite et digne comme le commandait sa nature intime plus que ses titres, la vieille femme n'en était pas moins rendue à l'hiver de sa vie, comme en témoignait la neige gagnant du terrain dans sa chevelure. Tout en elle respirait une haute noblesse naturelle et simple, des mains délicates où brillaient seulement deux joyaux jusqu'aux pattes d'oie s'élargissant en étoiles rieuses aux coins de ses yeux.
Détachant ses prunelles des murs où était né son bonheur conjugal, elle se retourna vers un second carrosse, arrivé juste après le sien, et d'où descendait à présent une fille rougeaude retenant avec peine l'énergie pétulante d'une enfant d'environ deux ans.
Aglaé, entrez sans tarder, ne m'attendez pas, murmura Arielle alors que ses faibles paroles étaient emportées par le vent. La jeune femme ne l'avait guère entendue mais, les laquais sachant que la comtesse ne pouvait parler normalement, ils s'empressèrent de transmettre le message.
Tandis que ses gens s'activaient à décharger les véhicules de lourdes malles, la vieille femme ressortit de sa poche la missive qui l'avait lancée sur la route de la Venise du Nord. Sur le vélin, une écriture en pattes de mouches rappelait à Arielle à quel point son flamand était rouillé.
Elle n'avait pas tout compris, excepté l'essentiel: Laurens, son fils héritier, avait disparu depuis plusieurs mois. Personne ne savait où il était, mais tout le monde s'entendait sur l'étrangeté de son comportement avant qu'il ne s'éclipse. Après avoir perdu son aîné Mathieu en de mystérieuses circonstances, Arielle n'était pas prête à accepter un second drame.
Pas Laurens, pas lui. Il était forcément quelque part. Vivant. Il fallait qu'il soit vivant.
Il fallait qu'elle le trouve.
Marchant d'un pas décidé malgré sa canne, la vieille comtesse s'engouffra dans sa demeure sans s'émouvoir des souvenirs qui surgissaient de chaque pierre, chaque odeur. Le temps n'était guère aux attendrissements, mais à l'action.
Goedendag Mevrouw Van Gilraen, sussura un homme dans la fleur de l'âge, paré comme un bourgeois. Ik ben uw Butler, Gijsbert. Welkom bij uzelf.
Comprenant qu'elle avait affaire au même majordome qui lui avait écrit la lettre à propos de son fils, Arielle le salua tout en l'étudiant.
Le bonjour à vous, Gijsbert, chuchota-t-elle. Vous devrez me parler en français car j'ai oublié l'essentiel du flamand que j'ai appris autrefois.
Une pause, puis elle ajouta: D'ailleurs, préparez-vous à accueillir toute une livrée francophone. Mon amie Beeky me rejoindra sous peu avec sa mesnie. Je veux qu'elle soit reçue avec tous les égards.
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