Actarius
Ce rp aboutira à une visite à la hérauderie, c'est pourquoi je prends la liberté de le commencer ici, en raison également de l'impossibilité de le faire en gargote ou en halle vu la provenance des protagonistes. J'espère que cela ne posera pas de problème.
[Castel du Tournel, en Gévaudan]
- Monseigneur, nous en avons terminé.
- Bien, bien, tu peux disposer Joan.
Avachi ou peu s'en fallait sur son siège, le Vicomte, coiffé de sa couronne attendait. La fatigue l'assaillait, elle se lisait dans les sillons du temps qui ornaient son front, elle se devinait dans ce regard éteint. La journée des doléances relevait du chemin de croix. Des querelles de voisinage, des petits vols, des dots, des histoires d'héritages, de champs ravagés par la grêle, de loups trop affamés... Rien de bien passionnant en somme, rien en comparaison de l'excitation du combat, de la majesté guerrière. Mais on n'échappait à son devoir surtout après une si longue absence.
- Si vous le permettez...
- Oui ?
- Quelles mesures dois-je prendre pour les bergers de La Fage ?
Le Vicomte se gratta la barbe un instant, las de réfléchir.
- Mmmmh... Et bien, organisons une battue pour débusquer les loups et les tenir éloignés un moment. D'ici là, que les bergers s'organisent pour ne pas laisser leurs troupeaux sans surveillance...
- Bien Monseigneur, ce sera fait.
Le jeune intendant s'inclina respectueusement et s'éclipsa. Il avait du chemin le garçon depuis son arrivée au service de Tournel. Il avait gravi les échelons les uns après les autres, conquis la confiance de son maître au point d'obtenir le soin de gérer toutes les affaires courantes du domaine et d'en assurer la gestion entière lors des absences du Vicomte. Le modeste fils de paysan ne payait pas de mine sous ses boucles brunes, mais il s'avérait d'une rare efficacité et d'un dévouement exemplaire. Il avait un vrai don pour les affaires et comblait son passé rustre par une curiosité insatiable et une faculté inouïe à apprendre. Il possédait toutes les qualités d'un gentilhomme et se montrait si habile en tout ce qu'il entreprenait qu'il se voyait confier toutes sortes de mission en dehors de sa charge d'intendant. C'était l'homme à tout faire du Phénix. Son ombre même.
Actarius demeura seul dans la salle. Il s'abandonna au silence, au vide, à la solitude, à la quiétude. Ces instants-là étaient précieux de par leur rareté, plus que précieux, ils lui étaient nécessaires.
- Te voilà bien songeur...
La voix qui avait fait irruption était sénile, accompagné par le bruyant écho d'une canne frappant le sol. L'inopportun vieillard, qui s'était pareillement immiscé dans la pièce, avait belle allure malgré le poids des ans. De riches étoffes masquaient un corps défraichi, usé et lui offrait même une contenance altière. Le ton familier trahissait un lien du sang, un lien que même le rang, les titres ne sauraient surpasser. Un lien qu'on ne pouvait fuir, repousser malgré la fatigue.
- Oui, mon oncle. Songeur et fatigué... La silhouette vicomtale se leva alors. Quitta son trône pour accueillir comme il se devait cet ancêtre, dernier vestige d'une génération d'Euphor enfouie sous la terre.
- Que me vaut cette visite ? Des ennuis à Saint-Dionisy ?
- Oh non... mais... Le vieillard lorgna sur le siège vicomtal, le sourire au coin des lèvres. Est-ce que le vieil homme que je suis peut s'approprier ton siège ?
- Je t'en prie.
- Non... aucun ennui. Je me fais vieux Actarius, mes jours sont comptés.
Le Vicomte posa un regard attendri sans interrompre la tirade qui s'amorçait. Qu'aurait-il pu dire de toute manière ?
- Mes jours sont comptés et je repense au temps passé... à mon fils disparu. J'ignore même comment il est mort. L'oeil de l'oncle Fenwis brilla d'émotion, tandis que le neveu demeurait encore et toujours silencieux. J'ai besoin de réponses, je veux savoir avant de men remettre à Dieu.
Pourquoi maintenant ? Pourquoi après tant d'années ? Le Feudataire lignorait quand bien même ces questions hantaient son esprit. Il hésita quelques instants à les poser, hésitation que balaya loncle en reprenant son plaidoyer.
- Prends cela comme la dernière volonté dun mourant. Je nai jamais été un bon père, tu sais. Je pensais avoir fait mon deuil mais quand tu mas parlé de cet homme rencontré en Orléanais tu te souviens, il y a quelques temps. Celui qui te rappelait ton cousin. Et bien depuis ce jour, je ne connais plus de paix.
A cet instant précis, le neveu, toujours plongé dans son mutisme, esquissa un geste. Il posa la main sur lépaule du vieillard.
- Je vais envoyer Joan en Normandie, il tâchera de trouver des réponses mais Fenwis, après tout ce temps, tu le sais les chances de retrouver quoique ce soit sont infimes.
Loncle opina.
- Je ne le sais que trop bien Sur ces paroles, le vieil homme sur lequel pesait non seulement le poids des ans, mais aussi celui des remords, releva sa carcasse avec laide du Vicomte. Merci Actarius, merci.
Le Phénix raccompagna son oncle et revint dans cette grande salle vide. Il retrouva son siège, le silence. Mais la quiétude ne vint plus. La pitié, la tristesse et la nostalgie régnaient désormais sans partage sous la couronne vicomtale.
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