--Une_passante
... que fais-tu à Valence ?
La femme avait mal vécu les années de servitude aux tanneries sur les bords du fleuve. Si elle avait été d'une rousseur incandescente et désirable dans sa jeunesse, elle n'était plus désormais que décrépitude et chair meurtrie d'une vie de labeur.
Elle avait bientôt quarante ans, l'âge où les femmes des champs commencent à rester au coin du feu et élever leurs petits enfants, tout en surveillant dans l'âtre un pot de ragoût mijotant.
Mais ce n'était ni une femme des champs, ni une grand-mère en devenir. Elle n'avait donné qu'une fois naissance à une adorable rouquine comme elle, fruit d'amours passagères avec un hobereau présomptueux. Elle n'avait pas gardé l'enfant : les tanneries n'étaient pas un lieu sain pour élever un enfant, et elle y passait toutes ses journées. Elle n'avait personne pour garder, tout le jour, l'enfant, pas de nourrice, pas de vieille mère.
Elle l'avait donc déposée - non sans avoir embrassé amoureusement chaque parcelle de peau de cette enfant vigoureuse - au croisement de deux routes, au pied d'une croix de pierre. On avait annoncé le matin que des Bohémiens arrivaient de Lyon. Elle comptait sur leur pitié.
Les années avaient bien passé depuis ce jour. A chaque Saint Noël, elle gravait un trait sur la pierre de sa bâtisse miséreuse, où son homme l'honorait sans jamais parvenir à l'engrosser.
A chaque Saint Noël, un trait. Elle ne savait pas compter. Elle ne savait pas dire le nombre de traits. Mais elle savait que c'était l'âge de sa petite fille.
Ce matin, lasse comme toujours mais résignée, on la chargea de porter un ballot de peaux tout juste traitées au comité des fêtes de Valence. Elle ne savait pas pourquoi faire, mais son travail n'était que de les porter, de récupérer l'argent, et de revenir aux ateliers.
Elle passa les portes de la ville, marcha dans les ruelles insalubres, et arriva finalement au bâtiment mieux tenu du comité des fêtes, dont elle poussa la porte.
-« Hé ? Y'a quelqu'un ? »
La femme avait mal vécu les années de servitude aux tanneries sur les bords du fleuve. Si elle avait été d'une rousseur incandescente et désirable dans sa jeunesse, elle n'était plus désormais que décrépitude et chair meurtrie d'une vie de labeur.
Elle avait bientôt quarante ans, l'âge où les femmes des champs commencent à rester au coin du feu et élever leurs petits enfants, tout en surveillant dans l'âtre un pot de ragoût mijotant.
Mais ce n'était ni une femme des champs, ni une grand-mère en devenir. Elle n'avait donné qu'une fois naissance à une adorable rouquine comme elle, fruit d'amours passagères avec un hobereau présomptueux. Elle n'avait pas gardé l'enfant : les tanneries n'étaient pas un lieu sain pour élever un enfant, et elle y passait toutes ses journées. Elle n'avait personne pour garder, tout le jour, l'enfant, pas de nourrice, pas de vieille mère.
Elle l'avait donc déposée - non sans avoir embrassé amoureusement chaque parcelle de peau de cette enfant vigoureuse - au croisement de deux routes, au pied d'une croix de pierre. On avait annoncé le matin que des Bohémiens arrivaient de Lyon. Elle comptait sur leur pitié.
Les années avaient bien passé depuis ce jour. A chaque Saint Noël, elle gravait un trait sur la pierre de sa bâtisse miséreuse, où son homme l'honorait sans jamais parvenir à l'engrosser.
A chaque Saint Noël, un trait. Elle ne savait pas compter. Elle ne savait pas dire le nombre de traits. Mais elle savait que c'était l'âge de sa petite fille.
Ce matin, lasse comme toujours mais résignée, on la chargea de porter un ballot de peaux tout juste traitées au comité des fêtes de Valence. Elle ne savait pas pourquoi faire, mais son travail n'était que de les porter, de récupérer l'argent, et de revenir aux ateliers.
Elle passa les portes de la ville, marcha dans les ruelles insalubres, et arriva finalement au bâtiment mieux tenu du comité des fêtes, dont elle poussa la porte.
-« Hé ? Y'a quelqu'un ? »