Brygh_ailean
* Je suis ta mère. Ce récit est ouvert à tous ceux qui veulent y participer dans la mesure où ils respectent la cohérence de l'histoire. Merci à tous et bon jeu.
Elle avait tourné, viré toute la matinée. Sans résultat. Pas une seule auberge pour y passer la nuit dans tout Saintes. Bryn maugréait ferme, sous une apparence d'impassibilité. Certes, elle avait l'habitude des repas à la cloche de bois et des nuits à la belle étoile, mais elle aspirait cette nuit à bien autre chose et elle ne se décourageait pas encore de le trouver. Elle était désormais presque sortie de la ville, en direction de la forêt.
- J'avions mal au pied, ma'me Bryn.
- Je sais bien, Gageon
Une autre jérémiade de sa cantinière et c'est sûr, elle exploserait.
- C'est encore loin avant qu'on s'arrête, m'ame Bryn ?
- Nous nous arrêterons une fois que nous serons arrivés, Jehan.
Une autre question de son apprenti et c'est sûr, elle exploserait.
- Ouh, qu'elle est vilaine, c'te là Pis qu'elle est vieille !
Attirée par l'exclamation de la Gageon, Bryn se tourna vers l'objet de remarques, toujours amusantes, de la part de la vieille berrichonne qui n'avait plus rien d'une rosière non plus.
- Plutôt que de moquer cette brave femme, approchons-nous plutôt pour nous renseigner, la mère
Apostrophant l'autochtone.
- Le bon jorn, doña.
- Bé le bunjhor, grandessime.
Bryn sourit. Même ici, elle serait "la grande", cela valait-il la peine de voyager ?
- Dites-moi, donc, la mère Savez-vous où je pourrais trouver une chambre à louer ?
- Deux m'ame Bryn, deux Comptez point que je partage ma chambrée avec vous et tous les hommes de vot' suite.
- Tss Gageon, cessez de me faire passer pour dévergondée. Ces messieurs ont décidé de dormir à la belle étoile Nous n'allons pas contrarier cette volonté virile, tout de même ?
Voilà ! La grande lui a encore cloué le bec en parlant avec des mots qu'elle n'est pas sûre de comprendre. La Gageon se renfrogna, pesta et maugréa. Tout ça à la fois, et oui
- Ah nan, mais moi je n'ai rien décidé, hein
- Jehan tu accompagneras messer Piero et te souciera des chevaux. Je ne te nourris pas à te prélasser !
- Han C'pas juste C'vraiment trop injuste.
Pendant ce temps l'indigène décatie semblait réfléchir et se tâter. Bryn en profita pour enfoncer le clou. Pas dans la vieille non plus, ce n'était pas une tueuse en série, m'enfin ! Encore que Il ne fallait pas qu'elle explose, c'est tout.
- Je paierais grassement la mère
Cela sembla suffisant.
- Y'auriont bé la d'meure de la Toinette qu'a cassé sa pipe en courant le drôle, saprée vésse ! J'y tiens la maisonnée en ordre, juste pour quand qu'ces enfants viendront chercher son bien mais j'pourrions vous y loger, contre quequ'pièces.
- Je vous offre 5 écus pour la nuit et 5 autres pour le bois
La vieille sembla rajeunie de la moitié de sa vie et offrait à ses interlocuteurs un sourire qui en dit long sur sa pratique des barbiers.
- Je vous y menions sur l'heure, mais vous savez mes pov' os
- Et si nous vous chargions sur la charrette ?
- Z'êtes trop agralante, vot' segnourajhe.
Bryn reprit les rênes pour mener les bêtes à la traine en se demandant quelle seigneurie en effet aurait l'amabilité de laisser place à une gueuse édentée pour continuer à pied. Mais le terme était plaisant et avait de quoi l'amuser. Et c'est ainsi qu'elle poursuivit son chemin, entre les jérémiades de Gageon qui notons-le, avait profité de la situation pour s'installer près de la vieille, et de Jehan, qui avait forcément une partie du poids du monde à porter sur ses frêles épaules.
Quelques perches plus loin, le convoi s'enfonca légèrement sous le couvert des arbres pour ne mieux ressortir sur la cabane d'un charbonnier. Quelques arpents encore, et c'est une fermette qui apparut.
- C'tions cheu me, dit la vieille avec fierté. Bien que sobre, le lieu était bien entretenu et la grande hocha la tête vers l'ancienne en signe de respect. Puis de nouveau les arbres et enfin une masure, minuscule, qui rappela à Bryn celle qu'elle occupait lorsqu'elle était arrivée à Sarlat.
- Voilà La manse à la Toinette.
- C'est trop p'tit.
- Gageon, silence. Merci la mère, si vous pouviez nous ouvrir, nous saurons nous satisfaire pleinement de votre hospitalité.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Les os de la vieille étaient bien plus solides dans la perspective du pécule qui l'attendait. Elle ouvrit la porte de la masure : confort rustique, un lit clos (ouais, là Bryn se sent mal parce que faire rentrer une carcasse de six pieds dans un lit clos, c'est pas gagné ), une table et quelques tabourets. Une cheminée à très large foyer et sa crémaillère toute instrumentée.
- C'est très bien.
Avisant par ailleurs dans un coin, un baquet à lessive et deux seaux cerclés, Bryn se retint de s'exclamer : Parfait ! Elle allait pouvoir mettre à exécution ses desseins.
- J'sentions plus mon gros artou, ma'me Bryn. J'voudrions bien trouver un onguent
- Vous marcheriez, Gageon, au lieu de vous faire porter ! Vous sentiriez vos doigts de pied, croyez-moi !
- Facile à dire pour vous, ma'me Bryn. Vous êtes à cheval
- Gagne-le ton cheval, Jehan et alors nous en reparlerons. Je vais allumer le feu pendant que tu détaches mes fontes Et vous Gageon, puisez de l'eau pour qu'on la fasse chauffer. Vous nettoierez vos pieds dans mon eau avant d'y apposer quelques baumes Je vous prêterais ma brique de savon
- Point ! Si j'lavions mes pieds, j'risquons d'en attraper un mal
- Vous laverez et nous vous trouverons un onguent plus tard, saprebleu !
La cantinière regarda ses pieds, se disant qu'il fallait bien que la grande vienne de chez les sauvages pour avoir des idées aussi ridicules sur le pouvoir de l'eau. L'idée même de retirer sa camisole pour se laver ne relevait pas de bonnes pratiques aristotéliciennes, aux yeux de la vieille berrichonne.
L'apprenti en profita pour reprendre :
- J'ai faim !
Regard courroucé de la grande.
- Alors dépêche-toi et file en ville chercher messer Piero ! Vous aurez largement de quoi installer votre campement dans cette clairière !
Petit sourire moqueur en pensant au matelas trop petit certes, mais douillet qui l'attendait. Signe d'impatience franc lorsqu'elle vit son apprenti renâcler avant d'obéïr.
- Mais dépêche-toi, foutre dieu !
Décidement, ce voyage prenait des couleurs nouvelles à chaque heure du jour. N'était-ce pas là le propre du destin ? Glissant quelques pièces dans le creux de la main de leur nouvelle voisine, elle la remercia vivement en lui intimant courtoisement la sortie. Profiter de quelques minutes de parfait silence sans jérémiade ni question, cela avait aussi du bon.
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