Une fois les paroissiens tous rassemblés, Ian fit un aller retour jusqu'à la porte pour la fermer, avant de reprendre sa place derrière le pupitre. Là, il inspira un grand coup en regardant son missel, attendant que le silence se fasse. Puis, finalement, pris la parole à voix haute et intelligible :
Citation:Je confesse à Dieu Tout-puissant, à tous les Saints, et à vous aussi, mes Amis, parce que j'ai beaucoup péché, en pensée, en parole, en action.
Je supplie tous les Saints, et vous, mes Amis, de prier le Créateur pour moi.
Que le Très Haut nous accorde le pardon, l'absolution et la rémission de tous nos péchés.
Perdant son air sérieux pour un petit sourire de mise, Ian repart plus doucement :
Aujourd'hui, j'aimerai parler d'un problème qui nous touche tout un chacun, qui est source de doutes, et qui se trouve à l'origine de pas mal de méprises au sujet de la religion et des dévots en général.
Beaucoup considèrent que la religion et ses plus fervents adeptes sont des pères fouettards ennuyeux, ennuyants, et définitivement rasoirs. Je pense qu'ici, beaucoup croient que l'église condamne formellement l'acte charnel, la débauche alcoolique, et, de manière plus générale, tout ce qui procure du plaisir. A en voir la liste des péchés capitaux, on se demande souvent ce qu'il nous reste de sympathique en ce monde.
Ian rit, avant de reprendre :
Et bien je le dis : Que nenni !
Toute cette croyance vient d'une incroyable méprise, de la confusion entre plaisir... et bonheur.
Quand avez vous été les plus heureux, quels furent les plus beaux moments de votre vie ?
Et à ce moment là, étiez vous en train d'éprouver du plaisir ? Et si oui, plus que de raison ?
Je ne pense pas.
Pour moi, l'image illustrant le mieux le bonheur serait celle ci : Une table, des bonnes victuailles, et ceux que j'aime pour partager tout cela avec moi. La principale caractéristique du bonheur, ce n'est pas l'opulence, ce n'est pas le plaisir débridé, non, la première caractéristique du bonheur, c'est l'harmonie.
Ian se redresse en regardant son auditoire, laissant son dernier mot en suspens.
Comment atteindre l'harmonie ?
Imaginons que pour vin de messe, j'ai choisi une bouteille de Mouton Kézac, leur dernière cuvée. Et ce n'est pas blasphème que de dire qu'elle est divine.
Ian joint le geste à la parole en sortant du pupitre une bouteille de Maussac
Thézan avec un haussement de sourcil qui en dit long sur la qualité de celui ci.
Imaginons maintenant que je décide de me gober toute la bouteille devant vos yeux médusés et ahuris. Et Dieu que j'en aurais envie. Que se passerait il alors ?
Ian laisse quelques secondes, comme si une réponse pouvait être donnée.
Je romprais l'harmonie !
Et oui, cette douce harmonie qui nous réunit en ce jour, je la piétinerai au nom de mon plaisir personnel. Je n'en retirerai même pas grand bonheur, car il est de fortes chances que je me mette à mal avec vous tous, et par là même, en subisse les conséquences futures quand je serais exclus de vos propres tournées.
Maintenant, si je décidais de partager ce vin avec vous tous ?
Je prendrai du plaisir, toujours, d'ailleurs, nous prendrions du plaisir. On
pourrait crier à la gourmandise, si on voulait en faire trop. La réalité est
tout autre, car le plus grand plaisir que j'éprouverai serait non pas celui du vin goûté, mais du vin partagé. L'harmonie règnerait !
Donc, ce qui est important, ce n'est pas de comdamner le riche parce qu'il est riche. D'ailleurs, la plupart le naisse, riche, ce serait violent de condamner quelqu'un pour sa naissance. Nul besoin de critiquer celui qui séduit la plus belle femme du village. Non, c'est même l'inverse, on lui souhaite bonne chance.
Ce qui est important, c'est de préserver cette harmonie. La plus belle femme du village aura bien un mari, et c'est harmonie qu'il en soit ainsi. Par contre, si quelqu'un s'amuse à séduire toutes les femmes qui passent, lui, il rompt l'harmonie.
Si le riche use de son argent pour développer l'économie de son duché. S'il vit dans une riche maison, mais respecte le pauvre et donne au mendiant quand il en croise un, rompt il l'harmonie ? Par contre, s'il triche et trompe, s'il n'oeuvre que pour son égo, dénigre le pauvre et le moins bien né, là, il rompt l'harmonie.
Et c'est ce qu'il faut lire dans les péchés capitaux. Tant que l'harmonie
oeuvre, plaisir et bonheur vont dans la même direction. Dès que je décide, par avidité ou luxure, gourmandise ou orgueil, de rompre l'harmonie, je vis dans le péché !
Et présentement, ce serait pécher que de laisser ce vin se réchauffer plutôt que de nous réchauffer.
Ian sort quelques verres du pupitre... on sent par là les priorités du curé semurois. Puis, les remplissant tous dans un soucis d'équité, les fait passer à ses paroissiens tout en prenant place parmi eux.
Ce vin, je le bénis, dans la droite ligne de celui que Christos partagea avec ses apotres alors que l'harmonie régnait encore. Et je bénis aussi ce moment entre nous, au sein de la demeure du Seigneur, pendant lequel nous allons savourer l'une des merveilles qu'Il a créé, pour le plaisir du palais comme des naseaux. Et je vous invite tous à chérir la complexité de son arôme, qui est oeuvre de Dieu. Car tant que nous évoluons dans l'harmonie, tant que nos actions et nos paroles sont harmonieuses, il y a une petite étincelle de divin qui accompagne chacun de nos actes, et le divin s'exprime par et à travers nous.
Et Ian de lever son verre, avant de prendre une première gorgée.