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[RP] Maintenant et à l'heure de notre mort

Iban
"What we do in life echoes in eternity" Gladiator
"Invoquer sa postérité, c'est faire un discours aux asticots." Céline, Voyage au bout de la nuit



Introduction

L’arrière cour du lupanar donnait accès à une petite grange dans laquelle la grosse Jeanne, en tant que nourrice attentionnée de ses filles, élevait quelques lapins maladifs, une dizaine de volailles plus stupides que la moyenne de leurs congénères et une vieille carne de vache qui opinait mécaniquement du chef sans raison apparente. C’est au grenier de cette étable que le client le moins nanti ou le plus tardif pouvait, si le reste des chambres s’avérait déjà occupé, venir battre le velours à loisir. Le lieu n’était à vrai dire, ni bucolique, ni intime, sentait fort le foin et le bovin, et résonnait par moment des meuglements ahuris ou des caquètements de l’étage inférieur. Si le cadre n’eût donc pas fait le bonheur des jouisseurs délicats à la recherche d’un érotisme raffiné, il convenait fort bien aux ébats bestiaux des amateurs de ce vulgaire bordel.

Cette nuit là, Iban était arrivé fort tard et avec une escarcelle bien peu remplie. Forniquer sur un tas de paille ne lui importait guère : la Louison était consciencieuse et énergique à la tâche, cela lui suffisait. Lorsqu’il eut besogné la puterelle son comptant, Iban quitta ses bras luxurieux pour aller se rafraîchir le gosier au tonneau de piquette que la grosse Jeanne avait fait monter sous les combles de la grange pour que les corps brûlant encore de leur exultation puissent s’y désaltérer.


« Ne veux-tu donc rien boire ? » demanda t-il à la catin qui offrait encore lubriquement ses flancs sur le duvet de paille. Elle se redressa paresseusement, remit un semblant d’ordre dans sa chevelure blonde où se perdait un peu de foin, et rejoint son amant d’une nuit près du tonneau, sans un mot.

« Tu ne parles point, toi qui jacasse tout le temps d’ordinaire lorsque tu ne travailles pas… » continua Etxegorry tout en tâtant le si joli cuissot qui se présentait à lui « Je suis pourtant témoin qu’on ne t’a point coupé ta douce langue… »

Elle resta silencieuse et pensive. Elle avait peur. Le regard grivois du Gascon parcourut en en goutant les moindres appâts la silhouette nue et muette.


« Je vois… tu te mets à réfléchir… C’est très mauvais pour une catin de ta sorte, tu le sais. Contente-toi de sourire. » poursuivit Etxegorry tout en vidant une nouvelle choppe qu’il venait de plonger dans la piètre boisson. La catin tenta d’afficher ce sourire d’autodérision qu’elle savait si bien feindre lorsqu’elle essuyait une de ces humiliations verbales dont elle avait tant l’habitude. Elle ne parvint cependant à masquer une pointe d’anxiété.

« A moins que tu n’aies des remords ? Voila qui serait étonnant. Se pourrait-il qu’une fille gentille comme toi fasse du tort à un de ses amis ? » dit-il tandis que le sarcasme crispait peu à peu son visage suant encore des ébats précédents.
« …ou à un client ? » ajouta-t-il en posant délicatement sa main calleuse sur son sein.

La décomposition du visage de la puterelle était signe qu’elle avait compris. Il était au courant. Voila qu’après l’avoir couvert de baiser, la Dalila de cette nuit était saisie d’effroi et de remords. Mais il était trop tard. Elle tenta de balbutier précipitamment des explications et des supplications, recula de quelques pas tremblants. Le mercenaire, avec une impitoyable froideur, la saisit violemment par les cheveux, et avant qu’elle ne hurle plus fort sa détresse, plongea vigoureusement sa tête dans la boisson écarlate dont le tonneau était plein. Elle se débattit, frétilla furieusement tandis qu’Etxegorry lui maintenait fermement des deux mains la tête noyée sous le sombre breuvage. Puis, après quelques derniers soubresauts, les traits haineux du mercenaire se détendirent en même temps que le corps de la douce qui chut lourdement sur les planches vermoulues de la grange.

Iban se rhabilla silencieusement et sortit. La grosse Jeanne lui en voudrait certainement un peu le lendemain. Mais il feindrait l’innocence, prétextant l’arrivée d’un client suivant, il ferait s’esclaffer les soudards d’un « Voila ce qui arrive lorsqu’on veut toujours tout avaler », et on le laisserait en paix. L’on savait dans ce milieu que les curieux ont la vie brève.

Les bavardages indiscrets de cette satanée puterelle le mettaient en péril. Depuis l’affaire Vallier, il se savait recherché par cette sottarde qu’il avait eu la faiblesse d’épargner, la sachant une proche d’un de ses associés. Si l’on devait l’inquiéter davantage, il ne ferait désormais plus merci. C’est sur cette résolution qu’il quitta le cœur serein le plus dangereux lupanar de Montauban.

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Iban
La taverne était bondée lorsque le Basque y arriva. La chaleur étouffante du lieu avait recouvert les carreaux graisseux d’une épaisse couche de buée. A coté de la porte, un piètre buveur vomissait piteusement tout ce qu’il venait d’ingurgiter, éclaboussant les chausses d’un autre bougre qui, encore moins brave, ronflait à côté, vautré dans les immondices qui jonchaient le bord de la chaussée. A l’intérieur, un répugnant fatras humain dégoulinait en rires crasseux, chansons grivoises et autres paillardises grasses, confiné dans cette salle trop petite qui puait l’alcool et la bêtise, le stupre et toutes sortes de relents nauséabonds. Iban sans prêter attention aux habitués, se dirigea vers le comptoir et avisa un de ses piliers qu’il connaissait bien.

« Le tavernier n’est pas là ? » lui demanda t-il.

L’autre se contenta de lever le menton pour lui indiquer la porte de bois sombre qui obstruait le fond d’un couloir qui devait être l’élément le plus inquiétant de la bâtisse, gardée par un imposant butor. Le Basque se dirigea vers l’arrière salle, et y fut introduit par le gorille qui l’avait reconnu, sous la capuche de sa cape sombre.

La tribu de pouilleux de la salle principale avait tout l’air d’un candide chœur de la Jérusalem Céleste comparé à la faune sordide et crapuleuse qui grouillait dans l’arrière salle. On se trouvait ici au royaume de la méfiance et des crimes mutuellement avantageux. Tous jouaient autour de vaste tables rondes à quelque jeu d’argent. Les regards respiraient la vigilance et le soupçon, les mains s’affairaient furtivement, cornaient nerveusement les cartes, récupéraient fébrilement l’argent perdu par un moins chanceux. Au fond à droite, se trouvait la porte d’une minuscule pièce dans laquelle on ne faisait entrer que ceux qui s’étaient fait surprendre entrain de tricher au jeu pour la première fois. L’on y entreposait, disait-on, toutes les mains coupées dés la deuxième tricherie flagrante. Il devait y en avoir peu cependant, car la plupart peurpissait, les autres trichaient remarquablement bien.

Au centre de la pièce, trônait, cartes de ramponneau en mains, le maître de cette Cour des miracles, entourés par quelques fidèles. Le Basque s’approcha.


« Vous et moi devons avoir une courte conversation. » lui dit-il sans cérémonie.

Le tavernier leva lentement les yeux de son jeu et regarda l’importun.

« Sans les fot-en-culs et les femelles, cela va sans dire » ajouta Etxegorry sur un ton péremptoire à l’égard des deux femmes et des trois mercenaires qui s’apprêtaient à commencer la partie avec le maître des lieux. Silencieux, ce dernier fit un vague geste de la main aux joueurs. L’on se leva et l’on s’en fut, laissant face à face les deux prédateurs.
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Sancte
[Excusez du peu !]


Le tavernier de ce bouge aussi sordide que cosmopolite où venait s'agglutiner aussi bien la bonne que la mauvaise société de Montauban-la-Réformée, n'était nul autre que ce bon et généreux bourgmestre, aussi sévère avec ses gens dans le blâme qu'il était mesuré dans la louange. Il jeta ses cartes et siffla un juron qui s'écrasa lui aussi sur le tapis vert. Sa chance n'était pas au rendez-vous et il ne se sentait guère en mesure de la provoquer dangereusement. Prendre des risques est un sport qui requiert de la part de l'athlète un minimum de condition. Il allait recaver pour compléter ses possibilités de mises, lorsqu'un élément perturbateur vint obstruer un pan de sa vision périphérique.

Le basque était là.
Et cela ne signifiait qu'une chose.
La soirée ne s'engageait pas terrible.

Il braqua un regard sombre sur la silhouette qui venait de s'immiscer dans un espace où d'accoutumée, elle ne s'aventurait guère. Ici trouvait-on sous l'égide du prodigue Resplendissant l'ivresse, le stupre, l'homicide, et la petite flambe à prix fort raisonnables, soit autant de dépravations dont la consommation perpétuelle accouchait d'une habitude mécanique auprès des nombreux clients de l'Amiral Coetanlem, le merveilleux pays où le ladre devenait généreux, et le généreux dispendieux. Or si le Basque était joueur, les rouages du ramponneau comportaient sans doute trop d'incertitudes pour que l'homme de main sombre dans un vice qui ne lui offrait sans doute point assez de garanties pécuniaires.

D'un simple geste de l'index, il manda à la serveuse d'offrir une tournée à ses aimables compagnons de jeu qui devraient pour ce soir se sevrer de sa compagnie, qu'il savait admirable, et s'excusa brièvement auprès d'eux en prétextant devoir s'occuper d'une affaire administrative d'importance. Ce qui n'était sans doute qu'à moitié faux. Car émanait du revêche Gascon une forme d'anxiété communicative qui le contrariait fortement. Il n'en laissa rien paraître. Se parant de son sourire le plus affable -et par conséquent le plus dérangeant- il accueillit son visiteur à grands renforts de familiarités et de tapes amicales sur l'épaule. Enveloppant les joueurs attablés d'un regard doux où pétillait une étincelle de complicité hypocrite, il n'eut pas besoin d'ouvrir la bouche pour leur spécifier que tout allait bien et qu'en dépit des dires péremptoires de cet étrange visiteur, leur présence n'était pas à mettre sur la sellette. Ou comment ménager ses partenaires privilégiés tout en rappelant avec tact à son aimable employé qui aimait visiblement prendre certaines libéralités qui des deux était encore le patron.

Le bras du mirifique gouverneur s'ouvrit, et déposant sa patte d'ours dans le dos de son fidèle exécuteur, l'invita à le suivre dans un petit renfoncement. Si l'endroit n'était épargné ni par la fumée ni par le tumulte, un paravent en papier huilé leur offrait la discrétion nécessaire à la conduite de leur entretien. Une femme apporta à leur nouvelle table un pichet de vin, avec une humilité qui effleurait l'idée que l'on se faisait de la soumission courtoise. Du vin et un seul godet qu'ils devraient se partager, comme le voulait l'hospitalité Occitane.

Après avoir congédié la demoiselle d'un léger signe de tête, le Sicaire s'avachit dans son siège au travers d'une désinvolture grossière, laissant enfin poindre dans son regard meurtrier l'irritation qui lui courait sous la peau depuis qu'il savait sa soirée sabordée par des petites complications de merde dont il devrait inexorablement encaisser le récit et y apporter les solutions appropriées.


Diga me.
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"Aux hommes la droiture et le devoir, et à Dieu seul la Gloire !"
Sancte Iohannes -Primus Inter Pares du Lion de Juda et Gouverneur de Montauban-la-Réformée.
Iban
Le bon et généreux bourgmestre de Montauban était aux yeux du Basque un personnage fort intrigant. De jour, il se montrait bon pasteur, père aimant et débonnaire, charitable et sympathique gouverneur. Son langage fleuri d’images pieuses, de figures évangéliques et d’une pointe d’ésotérisme bien-pensant berçait tous les Vendredi à la « clairière de la Foi » les illusions de quelques bonnes femmes, qui une fois par semaine, tachait avec zèle de se donner bonne conscience en cessant de propager les perfides sornettes que durant la semaine elles se délectaient à cracher sur leur voisins pour en écouter raconter d’autres, moins malsaines sans doute, mais désarmantes de naïveté. Le Basque impie, et piètre théologien, ne voyait guère la différence entre les niaiseries du sermon réformé et celles du sermon papiste. Néanmoins Sancte avait cela de plus que les curés de Montauban, qu’il était maître dans l’art de la négociation et des affaires. Il savait féliciter avec un air tout paternel et châtier avec tact, ménager les égos pour mieux les plier selon son bon plaisir, diviser pour régner et unir pour détrôner, bref, il possédait un don pour les affaires et les intrigues qui lui avait permis de brider à sa guise la pègre de Montauban et de gagner par deux fois le suffrage populaire. Iban, bien que son orgueil lui défendît impérieusement d’en avoir clairement la conscience, vouait quelque admiration à ce singulier personnage.

Dés qu’il se fut assis à ses côtés, le Basque laissa tomber sur la table une pesante bourse remplie d’écus.


« La généreuse et joyeuse participation de la famille Grissac à votre campagne électorale, maître. Leur grange a pourtant pris feu la semaine dernière. C’est étonnant de voir comme des grands malheurs surgit parfois la charité. »

Il tendit également une liste sur laquelle avait été griffonnée à la hâte les noms de quelques éminentes familles de la région montalbanaise dont certains avaient été rayés.

« Il m’a fallu bien de la patience et de la persuasion, mais les Brigord, Meunier et Gardou m’ont enfin assuré de leur soutien indéfectible à votre candidature. Les Dalleron ont été travaillés à bras le corps et ne tarderont pas à en faire de même, j’en mettrai ma main à couper : le pater familias doit en avoir assez de perdre un de ses doigts chaque semaine. C'est douloureux, desservant et très peu esthétique... Ne reste plus que les Tasot dont je m’occuperai dans les jours qui viennent. »

Un bon couteau et un parler musclé étaient des alliés plus sûrs que de pompeux discours pour remporter une élection. Le bourgmestre ne l’ignorait pas, c’est pourquoi le Basque avait toujours plus de labeur qu’à l’ordinaire lorsque les échéances municipales approchaient.

Le mercenaire se tut un instant. Il en arrivait à la partie délicate de son compte-rendu. Il avait en effet récemment appris par des connaissances fiables l’affection et les liens forts qui rapprochaient Sancte de la Comtesse du Lavedan. Si, tenant à ses jours, il ne comptait en aucun cas avouer dans cette dangereuse auberge sa récente aventure avec ladite comtesse (*) au maître des lieux, Etxegorry avait dans l’esprit de prendre lentement ses distances d’avec le bon et généreux bourgmestre, dans l’idée de se trouver loin et préparé à la chasse lorsque le lion se mettrait à rugir et à montrer ses crocs.


« Nous arrivons bientôt à la moitié de la durée de notre accord, maître. »
constata-t-il d’un ton faussement anodin. Ses deux griffes de métal tapotaient en cadence le bois humide de la table.

« Vous et moi sommes des hommes sans illusions, aussi je vous parlerai sans détours. Dans trois mois, je me verrai de nouveau en mesure de choisir le service qui me semblera le plus avantageux. Or l’Eglise est a priori prête à payer grassement. Non pas que je ne préfère travailler sous vos ordres, vous savez le respect que je vous porte et le plaisir que j’ai à mettre ma navaja à votre service, mais… les temps sont durs, même pour les mercenaires, vous n’êtes pas sans l’ignorer… et puis, pour être tout à fait franc, je regrette le peu de confiance que vous semblez m’accorder malgré l’efficacité et la propreté des œuvres que j’accomplis sous vos ordres pour la plus grande gloire de la Réforme… Je suis gardé dans l’ignorance de vos projets et de vos idées et le plus miteux de vos fouille-merdes en sait sans doute autant que moi sur le sujet… Je suis sur que vous êtes homme à comprendre mon agacement.»

Iban fixa de son regard bleu sombre le visage pensif du bourgmestre qui s’apprêtait à répondre. Ses paroles n’avaient pas été pétries d’autant d’hypocrisie que d’habitude, et le Basque s’en voulait. Dans le milieu du crime, la franchise se retourne presque toujours contre vous. Cependant son discours avait été habile. Quelle que fût la réaction de Sancte, le mercenaire espérait s’en tirer à bon compte : soit le gouverneur le ferait tomber en disgrâce et il pourrait éviter ses foudres lorsque sa liaison avec la comtesse arriverait jusqu’aux oreilles du Réformé, soit on augmenterait sa prime ce qui n’était point pour le fâcher. Le sourire d’Etxegorry, néanmoins, ne pouvait se départir d’un soupçon de nervosité : et si son vis-à-vis avait par hasard déjà été mis au courant ?

(*) voir le RP "Les félins sont tous issus d'une seule et même famille"
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