[Devant Lodève]
L'aube rouge qui se levait sur Lodève semblait embraser toute la forêt d'un feu qui descendait depuis le Larzac et qui vomissait ses flots rougeâtres dans la Lergue. Il y avait ci et là quelques foyers faibles, qui fumaient encore au pieds des murailles. Quelques braises éparses, qui rougeoyaient encore au gré du vent, et qui participaient à donner à ce tableau matinal, un aspect lugubre, infernal.
L'armée qui siégeait devant les portes de la citadelle avait levé le camp dans la nuit pour pénétrer l'enceinte, avec force et violence. La résistance fût faible en nombre, mais acharnée de coeur. Car ceux que l'on avait combattu sur les murs, les "renégats", étaient dans leurs âmes des gens généreux. Pourtant, ils s'étaient perdus... Jamais Spartan et Christina ne rendirent les armes, et il fallu qu'ils soient submergés par le nombre pour que leurs blessures fasse mettre fin au combat.
Cette nuit là, David ne terrassa pas Goliath, Achille ne se fît point percer le talon.
La ville était calme, mais on entendait de ci, de là, résonner sur les murs des tavernes, des échopes, des maisons, des cris de victoire, des jurons de soldats. De temps à autres, s'élevaient dans l'air, parmi les éructations impies, quelques prières pieuses qui s'élevaient, intouchables, pour tenter d'adoucir un ciel trop sanglant.
Il y avait deux hommes et un cheval, devant la porte Sud de la cité. L'un des deux était à cheval. Il portait à la main dextre une épée rougie par du sang séché*. Cette main pendait et l'épée y semblait comme une excroissance inerte, d'un bras lui-même assoupi, sans vie. Il portait une armure dont la brillance indiquait sa riche fabrication. La visière de son casque était relevée et laissait paraître un visage las, des yeux rougis, des traits tirés, des sillons creusés dans ses joues par quelques larmes qui y avaient fait des rivières.
L'autre homme était à terre et s'appuyait, songeur, sur une bannière qui claquait au vent. L'Hibou qui flanquait ce tissu semblait sonder l'horizon de façon inquisitrice. Le silence religieux de ces deux hommes, devant l'imposante cité lodévoise, terminait ce tableau matinal par quelque idée douloureuse, qui laissait à l'observateur un goût d'amertume, de tristesse et peut-être aussi, un peu de dégoût.
Le baron de Crussol, car c'était lui qui était à cheval, retira son heaume et laissa libre sa chevelure bouclée. Ses yeux étaient secs à présent. Aussi secs qu'un noyau de pêche qu'on a laissé deux jours au soleil. Il peinait à les fermer. Avec la chute de Christina et de Spartan, c'était un pan entier de sa personne, de ses rêves, qui s'était effondré. Tout autour de cet homme là semblait se défaire, et être la proie du temps. Curieux paradoxe que celui-ci, qui semblait d'allure si puissant et qui à plus près y regarder, était un colosse criblé de fissures. Un monument à l'abandon que tout architecte semble fuir, et d'où tout maçon semble semble se détourner.
Le paradoxe entier d'un homme qui était né misérable, avait été un enfant voleur, un adolescent soldat et devenu baron lorsqu'il fût homme. Le contraste de celui qui avait aimé de toute son âme, mais que tout Amour semblait avoir pourtant fuit.
Sa main gauche se porta vivement à l'une des quelques failles visibles de son être. Sous le bandeau qui masquait son front, se trouvait une longue cicatrice qu'il avait ramené de la guerre en Provence. Celle-ci le grattait à cet instant, où à Montpellier une rencontre étrange était entrain de se dérouler. Lorsqu'il eut retiré l'étoffe de son crâne et qu'il l'eut porté à son regard, une scène lui revînt en mémoire. Une femme, Elle, Maëlie. Il revît son courroux, ses yeux froncés qui lui lançaient autant de flèches d'Amour qu'il n'éspérait plus en recevoir. Elle, à qui il avait promis de ne plus cacher cette cicatrice. Elle, qui depuis de longs mois était disparue et qui creusait dans sa poitrine une autre blessure qui chaque jour devenait plus douloureuse.
L'ancien général essuya la lame de son épée avec le bandeau et le jetta à terre. Il rengaina la lame et lâcha laconiquement à l'autre, qui était à pied:
"Nous rentrons à Montpellier."
[Dans le même temps, à Montpellier]
Il y avait dans la mesnie Desage, nous l'avons déjà écrit à de nombreuses occasions, un homme dévoué, à la figure de rat et à l'allure de cigogne. Cet homme là était en quelque sorte l'intendant des Maisons de Crussol et de La Voulte réunies à Montpellier. Il servait avec la même âpreté le père et la fille. Cet homme s'appelait Uc et se devait garant de l'approvisionnement des appartements Desage à Montpellier. A cette heure là, il passait devant Cristol et Maëlie avec la même ignorance qu'ont tous les passants besogneux, et pour qui toutes les scènes de la vie n'ont qu'une seule et même saveur, et ne doivent souffrir que d'un seul et même regard: l'indifférence.
Il revenait du marché et avait à sa suite trois hommes qui tiraient un âne, qui lui-même tirait une charette emplie de tonneaux, de sacs de légumes et de viandes salées. Cette charette était ornée d'un drap et ce drap était vert et flanqué de l'emblème des Desage...
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Citation:15-09-2010 04:06 : Vous avez frappé Spartan91. Ce coup l'a probablement tué.
15-09-2010 04:06 : Vous avez frappé Christina64. Ce coup l'a probablement tué.
15-09-2010 04:06 : Vous avez engagé le combat contre une armée.
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