S'acharnant avec une certaine hargne à coup de serpette sur les ronces envahissantes et particulièrement résistantes de son humble terrain, Mirwais se perd dans les souvenirs d'une mémorable rencontre
C'est par un appel à la pitié que tout avait commencé en une fin d'après-midi pluvieuse dans ces bois de refuge pour tant d'êtres solitaires
C'est mon frère, je vous en prie, épargnez-le !
Fléau en main prêt à s'abattre, un homme au regard froid et portant tenue de combat se retourne alors
Cette horreur ? Cette erreur de la nature ? Ton frère ?
Par tous les saints, raison de plus pour que je le crève, je t'épargnerais d'un tel poids !
Puis, de toute évidence, il semble bien mal en point, ce serait lui rendre service aussi...
Le sire n'achève pas son dessein et s'approche de Mirwais avec une allure de dépit
Soit, je vais t'épargner la vue du sang jeune homme mais finis donc de me préparer ton breuvage qui, à tes dires, devrait me faire voyager dans un monde que je ne connais pas encore...Fais vite, je ne suis pas d'une patience infinie...
L'eau frémissante sous le feu de bois était pleine de champignons dont la qualité première n'était pas de ravir le palais mais plutôt d'élever les individus au delà des réalités purement materielles.
Mirwais tend alors un gobelet à cet homme qui, de toute évidence, ne vivait que de guerre et ne s'entretenait que par des rixes.
Le robuste mercenaire s'en empare et jette un oeil vers l'horizon
Un voyage alors...souhaitons que j'y trouve de belles choses...
Silencieux, assis sur un tronc d'arbre, il attend de partir vers la terre promise et au bout d'un certain temps commence à se dérider
Diantre...je commence à voir d'étranges images...
Il ferme les yeux et s'amuse
Petit, que ces couleurs sont magnifiques, je ne les avais jamais vues auparavant, elles m'entourent comme une horde de papillons qui souhaitent me montrer une route à suivre...
Je voudrais tellement leur donner un nom mais il y en a trop !
Il se lève et avance en caressant avec ses doigts écartés l'impalpable
Je vois un chemin mais il y a du monde au loin, j'ai du mal à les distinguer...
Mirwais le suit avec précaution, il ne connait que trop bien l'effet que ces champignons peuvent provoquer chez certaines personnes mais toujours cependant, il s'enrichissait de la vision ô combien personnelle des autres.
Le mercenaire insiste
Tous ces hommes mon dieu, j'en reconnais certains, ils n'auraient pas dû se retrouver en face de moi ces imbéciles, je n'ai pas à épargner quand on me défie !
D'un revers de la main, il les repousse
Fuyez donc et laissez moi en paix malheureux ! Je ne vais pas vous étriper une deuxième fois tout de même !
Mirwais essaie de réconcilier le guerrier avec son imagination de façon à ce qu'il ne s'éloigne pas trop de la raison
Messire, vous voyez d'autres hommes ?
Peut être que vous allez rencontrer mon père...L'entendez vous ?
Ce à quoi, l'halluciné d'un moment rétorque après s'être informé de l'apparence physique du pater
Bien sûr que je le vois, il me dit...il me dit...
Avec une violence certaine, il empoigne Mirwais, le soulève, cherche aux alentours et l'enfonce dans un tas de ronces avec insistance
Il me dit qu'il faut que tu choisisses entre la ronce et son fruit
Tout en laissant le jeune homme se détacher douloureusement des griffes de la plante, l'homme continue à s'exprimer loin de toute empathie.
Il me dit que la vie se limite à celà, à des ronces, il faut que nous décidions de ce que nous souhaitons être, le choix n'est pas simple...
D'un côté, tu n'es qu'une plante insignifiante pour ne pas dire repoussante mais malheur à celui qui voudrait s'approcher car tu lui agrippes la main, le bras, le dos, le corps en son entier et tu le saignes à chaque mouvement ne lui laissant pas d'autre possibilité que de se blesser encore plus s'il compte s'enfuir, pauvre hère en peine qui découvre les blessures de tant d'arrogance à ton égard...
Mois de septembre, les mûres sont bonnes à apprécier, le mercenaire s'évertue à en attraper une malgré sa vision trouble et les mouvements de Mirwais qui tente, autant que faire se peut, de se sortir du traquenard sans trop de griffure
...D'un autre, tu es un fruit si tentant, si apprécié que l'on ne peut s'empêcher d'y regoûter au point de s'en rendre malade, tu te laisses faire pour découvrir qu'au fond tu n'es utile qu'au plaisir des autres et que tu seras oublié aussi vite que tu seras avalé...
Ta seule défense ? laisser une tâche indélibile sur un habit qui finira sur un vagabond...
L'homme crache la mûre mâchée, se dirige vers le feu de bois et observe la dance lancinante des flammes
Il me dit qu'il faut choisir...voulons-nous être ces gens à la verve si fruitière mais si insipide au point de finir dans l'oubli ou ces illuminés sans charisme mais si féroces que l'on ne peut vaincre qu'à l'aide du feu
Il me dit qu'il n'y a pas d'autres choix, que nous allons tous mourir de toute façon et qu'il faut se décider...
De rajouter
J'ai déjà fait mon choix...moi
Mirwais cesse de s'acharner avec sa serpette, traverse son champ de blé et rejoins son frère toujours plus mal en point
Il attend encore un peu que ce souvenir s'efface
Le mercenaire s'était retiré dès le lendemain en lui confiant une bague où l'on pouvait lire DAVIKEN
Il avait rajouté
Gardes cette bague, petit, j'en possède deux, je me dis qu'elles m'ont toujours porté bonheur...
J'ai demandé au dernier souffle de son détenteur que je venais d'estourbir ce que celà voulait dire, c'était un breton, il en portait une accrochée à un collier qui ornait son cou et l'autre à son doigt, c'était temps de guerre, il m'a répondu le brave non sans m'avoir craché à la gueule : "pour toujours"
Ton frère va crever bientôt, vas t'installer dans une ville, petit, la plus proche est Montauban si je ne m'abuse, rejoins l'Ost, tu es gaillard et tu y trouveras ta peine, nous sommes des ronces toi et moi, je pars vers le Nord, j'ai encore des épines à étrener...Salut à toi petit !
Mirwais met un terme à ce rappel du passé et s'adresse à son frère qui ne le comprend pas de toute manière
J'ai confié une patte de lapin à une gamine pour lui porter bonheur et elle l'a déjà perdue, ça me peine mais je ne peux lui en vouloir, un mercenaire m'a confié une bague et je l'ai toujours sur moi...
Il avait raison, je ne suis qu'une vulgaire ronce...
Observant son champ
...d'ailleurs, je n'aime pas couper des ronces, ça m'ennuie...
Le terrain est très bien comme ça...
Je vais voir si je peux rejoindre l'ost et je demanderai s'il est possible que tu viennes à mes côtés...Je ne tiendrai pas longtemps à arracher des mauvaises herbes, ce n'est pas fait pour moi...