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[RP] Divague Abonde

Aldyr
[Diverge Ment]

Des pérégrinations façon…Fond de barque, tanches s’asphyxiant, façon…Poiriers muraux ou aveuglants, façon…Abri de rocher matelas d’hautes herbes, façon…Paillasse humide et boulets libidineux, façon…Mare d’eau limpide troublante et voleur tisserand, façon…Pots de fleurs roses sur balcon du même colorie, façon…Retour aux sources, chien se mordillant la queue sans banderole de bienvenue, façon…Les chemins se croisaient et d'autres fois...C’était beaucoup pour un seul homme…Peut-être pas pour deux vagabonds aux pelages bien distincts, qui n’étaient point rassasiés sur la collection de numéro et ne badinaient aucunement sur leur élaboration continuée

Le vagabondage bestiaire avait des ressources insoupçonnées et des tribulations assez diverses. Un horizon de poils à puces augurait d’un cynique et sarcastique nous ne vieillirons pas ensemble.


[Quand t’es dans le désert]

Cahotement, bringuebalement nocturne de puces se cramponnaient à un ramage conducteur. Petit matin où la faune pédestre avait l’occasion de se poser. Loin du tumulte fantomatique acidulé de pots de fleurs et autres balcons dégueulant d’excréments à pétales, le silence et la quiétude des hautes herbes étaient assez appréciables.

« Si je vous vois tourner autour de notre compagnon esseulé, nous décampons…Je vous laisse le choix dans la date »

Résultat intempestif le lendemain, au contraire de ces villages tous plus similaires les uns que les autres, à l’instar de leurs tanches habitantes, la flore champêtre avait au moins cette qualité à ne pas aveugler de couleurs criardes. Et, surtout, elle avait la géographie à l’exploration prolifique…Un bois…Une mare…Un bosquet…Une mare…Un rocher…Une mare…Des pumes…Au sein d’une mare,…Des poils…Sur son bord. Drôle de récurrence aquatique qui ne tardera peu ou prou à mettre une puce à l’oreille toute crottée du vagabond sur le choix plumeux des points de chute.

Genou dans l’herbe, à terre, mains dans le sac, affaires étalées, Aldyr fouillait depuis de longues minutes en son sein. Paradoxalement et presque outrancièrement, ce nombre de babioles détenues par un vagabond à la notoriété de puces, et même olfactive depuis peu apparemment, était d’une obscénité dont il était la première victime. Le sac vomissait d’objets disparates qui eux-mêmes s’étalaient au fur et à mesure devant lui, à ses côté. Il semblait de plus en plus sans fond et le vagabond allait se poser la question s’ils n’avaient pas les bras trop courts.
Un entêtement à la mesure de son crétinisme, quelle idée de se mettre en tête à la recherche d’un bibelot, au lieu de préférer un arpentage des environs à découvrir ou une discussion à bâton rompue avec sa duettiste, et assurément tout aussi explorant.


Les instants passés, la tête vissée surplombant ce sac et le désordre alentour, Aldyr, de part son agacement croissant, en oubliait presque où elle pouvait se trouver marmottant peut-être, marinant alors. Un grommèlement de trop, un objet jeté derrière son épaule pour mieux sonder la profondeur abyssale de son sac, le vagabond tout crotté, proche de l’irritation pileuse, lâcha sans lever sa tête pour autant :


-Nikkita ?...Vous avez posé vos plumes il y a peu sur mon satané manche ?! J’ai beau fouillé chaque recoin de tissu…Des deux mains à l’intérieur qui plus est…Il n’est pas devenu minuscule tout de même ! Du genre rétractable !...Disparu...Disparu !...Dis…


S’entendant presque parler, à l’intonation de ce mot, le vagabond, s’en même attendre une réponse éclairante ou goguenarde, leva la tête lentement. A quelques pas, broutant bien tranquillement ou trop paisiblement les herbes du lieu, se présentait leur castrais esseulé, l’incarnation et la cause de son cahotement nocturnal et de son béguin pour le genre équidé.
Aldyr posa un regard suspicieux et sondeur dans sa direction, le toisant tout en fronçant les sourcils, puce cheminant dans son imagination :


-…Paru…
Nikkita
[Occurrences et récurrences]

Fichtre ! Les bûches se mettaient à voler à présent. La vagabonde considéra, perplexe, l’objet qui venait de traverser son champ de vision de part et d’autre avant d’atterrir lourdement quelques pas plus loin.

Un geste de plus, et elle la prenait en pleine tête. Non que les dégâts eussent été immenses, la vie sur les routes prédispose à bien des rencontres fâchées ou des salutations plus ou moins distinguables, mais le phénomène avait quelque chose de déroutant. Les bûches se trouvent généralement en forêt, voire dans les champs, ou au coin d’une taverne, mais certainement pas dans les airs, jusqu’à preuve du contraire. Et justement… preuve en était sous son nez, ou du moins à proximité après en avoir frôlé le bout pour une rencontre intempestive.


-Nikkita ?...Vous avez posé vos plumes il y a peu sur mon satané manche ?! J’ai beau fouillé chaque recoin de tissu…Des deux mains à l’intérieur qui plus est…Il n’est pas devenu minuscule tout de même ! Du genre rétractable !...Disparu...Disparu !...Dis…

L’agacement perceptible dans le ton de voix de son duettiste agenouillé au milieu d’un tas hétéroclite brillant diversement sous le soleil lui fit presser le pas en sa direction. Non qu’elle pût être d’une grande aide en cette quête, manifestement le bâton rebelle avait pris d’une façon ou d’une autre la poudre d’escampette, peut-être pour rencontrer une aimable bâtonnière ? Plus rien ne l’étonnait après avoir traversé le comté rose aux senteurs sucrées, où même les solides boulets enchaînés à leurs chevilles s’étaient mis en tête de fricoter avec paillardise dans l’humidité hardiment paillée des bas-fonds.

Le… vot’bâton, Aldyr ? Mais comment voulez-vous que j’sache, j’n’ai pas posé la main dessus, j’m’en souviendrais tout d’même…

Ladite main monta contre sa volonté pour couvrir sa bouche encore ouverte, tandis qu’elle suivait le regard de son partenaire de numéro jusqu’à leur compagnon castrais, ses pommettes chauffant de façon insistante sous l’afflux de sang qui venait de les inonder. Fixant son regard sur une feuille qui n’avait d’autre utilité que de participer à leur relatif confort nocturne, elle écarta sa main juste assez pour forcer les mots à sortir :

Vot’… vot’bâton, oui, ça m’dit quelque chose… ‘fin, j’crois… l’a du tomber d’vot’sac, quand z’avons installé l’campement, c’te nuit… Si c’est bien c’que j’pense… notez, il empêchera not’cavale d’cavaler sans cavalier, c’était l’but… vot’bâton… j’crois bien qu’c’est celui qu’j’ai enfoncé pour servir d’piquet… là… à l’extrémité du castrais… ‘fin, d’sa longe.

Lentement, elle s’obligea à lever les yeux jusqu’à rencontrer son regard, ne pouvant retenir un petit sourire amusé jouant au coin de ses lèvres, et hocha la tête en direction de l'étalage, tentant une diversion.

Aldyr ? j'déballe mon baluchon aussi ? z'allons faire un marché d'pleine campagne ?
Aldyr
[Arrête d’hippocampe]

Un saucisson de cheval, il n’en avait jamais goûté. La vision de leur compagnon esseulé se transforma en celle d’une saucisse bien fumante et odorante, étrangement à quatre pattes. Un saucisson d’étalon avait-il plus de goût que celui d’un castrais ? Paradoxe d’une fin absurde mais tellement jouissive, un castrais terminant sur les étales d’un boucher sous forme de saucisses pendouillant et bringuebalant aux grès des manipulations, l’idée avait son charme dans la caboche retors d’un vagabond.

Avant que celle-ci se fit succéder par le regret de n’être pas lui-même maître es en boucherie, son dernier geste d’agacement fit apparaître une présence plumeuse. Un lancé en arrière d’une babiole non-identifiée donnait un retour des plus étonnants, mieux que de jeter une piécette dans une fontaine saumâtre ou de baiser le premier malheureux crapaud ou la bûche ravie de passage.



Le… vot’bâton, Aldyr ? Mais comment voulez-vous que j’sache, j’n’ai pas posé la main dessus, j’m’en souviendrais tout d’même…


Le vagabond sursauta aux paroles annonciatrices de l’avènement de sa duettiste. Il quitta du regard son tableau saucissonnant, évacuant dans le même geste ses idées de crochet de garçon bouché. Se relevant de toute sa stature, volte-face pour allier le son à l’image, il découvrit sa comparse se barrant les lèvres de ses plumes manucures, pommettes comme teintées après une course à houppelande rabattue. La surprise fit place à un haussement de sourcil.

Vot’… vot’bâton, oui, ça m’dit quelque chose… ‘fin, j’crois… l’a du tomber d’vot’sac, quand z’avons installé l’campement, c’te nuit… Si c’est bien c’que j’pense… notez, il empêchera not’cavale d’cavaler sans cavalier, c’était l’but… vot’bâton… j’crois bien qu’c’est celui qu’j’ai enfoncé pour servir d’piquet… là… à l’extrémité du castrais… ‘fin, d’sa longe.


Ecarquillement consécutif, Aldyr dévisagea tour à tour le complot esseulé-plumeux sur son manche innocent. Secouant la tête tout en se demandant si ses puces n’avaient pas été trop bringuebalées pour rater un épisode de l’arrêt nocturne. Visant son déballage impudique, le vagabond manchot éclata de rire soudainement.


Aldyr ? j'déballe mon baluchon aussi ? z'allons faire un marché d'pleine campagne ?


Jetant un dernier coup d’œil sur leur compagnon bien membré depuis leur arrivée, il leva le regard vers les cieux où le soleil n’était encore qu’à la première moitié de son inclinaison, semblant une réflexion, puis scruta son visage.

-Vous voulez jouer à la marchande et me montrer tous vos attributs pour que mon manche planté en rougisse ?...


Le vagabond tout crotté se baissa, à la suite de sa question, pour rassembler grossièrement son foutra présent. Entre deux objets lâchés dans le sac abyssal, gardant les plumes dans son champ de vision, décochant un sourire.


-Notre cavale cavalant étant bien pourvu…Grâce à votre mansuétude…Et si déballage vous tenez tant ou non…N’étant ici que depuis peu de temps…Nous restons à compter le contenu de nos baluchons ou nous laissons notre castrais dans son intimité bâtonnière ?
Nikkita
[C’est vrai qu’ils sont plaisants tous ces petits villa-a-a-ges]


« Si je vous vois tourner autour de notre compagnon esseulé, nous décampons…Je vous laisse le choix dans la date »

Ils avaient décampé.

C’était, et n’était pas, un village comme les autres. Ailleurs des maisons roses et proprettes s’alignaient au cordeau, et leurs visages lisses éclairés d’un sourire immuable, les habitants s’invitaient mutuellement à déguster la dernière création culinaire du jour, généralement sucrée, jamais brûlée.

Dans cette ville qui n’avait de franc que le nom, le vent froid balayait inlassablement les ruelles désertes, jusqu’au quartier sombre tout aussi silencieux, parfois teinté d’un vague relent de soufre. Et certes il devait bien y avoir un esprit malin. Au détour des chemins les plus lointains, toujours ses remparts arrivaient à se dresser contre le ciel, et contre toute attente.

Il avait fallu une matinée entière aux deux vagabonds avant de se décider à franchir les portes du bourg sans joie. Elle, fataliste, lui, goguenard. Il lui avait même prédit une banderole de bienvenue.
Augures vérifiées, ils avaient eu droit à une banderole commune, suivie d’une légitime visite de remerciement au maire, qui avait manqué s’en étouffer d’émotion.

Mais quand tombent les ombres du soir, les fantômes de platanes oubliés s’étaient mis à errer dans les rues, enveloppés de leurs écharpes brumeuses d’objets disparates cliquetant et tintinnabulant.


Partons…

Un désir si puissant qu’à peine exprimé ils s’étaient retrouvés propulsés dehors, jetant plus que posant la selle sur le dos de leur monture qui cumulait la double particularité d’être hongre et castrais, puces accrochées aux plumes, plumes accrochées aux crins, et le tout fonçant dans la nuit à la recherche d’un champ.



[Mare à bout, bout d’ficelle]



-Vous voulez jouer à la marchande et me montrer tous vos attributs pour que mon manche planté en rougisse ?...

Aldyr s’était baissé, surveillant ses effets du coin de l’œil, et Nikkita dut faire un effort conscient pour masquer le rire qui venait lui chatouiller le nez d’une envie irrépressible. Ils avaient déjà testé tout un tas de numéros, divers, variés, alambiqués, plus ou moins tordus ou renversants, mais cette boutade ouvrait un tout nouveau champ de perspectives. Se sentait l’âme champêtre, la vagabonde.

-Notre cavale cavalant étant bien pourvu…Grâce à votre mansuétude…Et si déballage vous tenez tant ou non…N’étant ici que depuis peu de temps…Nous restons à compter le contenu de nos baluchons ou nous laissons notre castrais dans son intimité bâtonnière ?

Trop tard… elle avait croisé ses yeux et son sourire, et le masque d’impassibilité qu’elle s’efforçait de garder vola, laissant apparaître un sourire au coin de ses lèvres. De la main, elle désigna le sac à la profondeur insondable.

J’vous montrerais bien tous mes attributs, pour l’plaisir d’voir l’rougissement d’vot’manche, mais vous semblez déjà fort bien pourvu…

Un brin de malice au fond des yeux, elle poursuivit, sans quitter son regard :

Not’compagnon semble s’satisfaire de son sort... et sans doute avons-nous mieux à faire qu’le bader tandis qu’il broute. Pourrions en profiter pour un peu… d’exploration.
Aldyr ? z’avez perdu une bûche volante, j’crois bien, juste là, un peu plus loin. J’suppose qu’c’est une rareté, elles restent plutôt au ras du sol.
Aldyr
[La petite reine]


Pour des vagabonds à la bougeotte tous azimuts, ce n’était pas la tournée des grands ducs et encore moins une épopée sans retour, pour le moment tout du moins. Au contraire, si l’escapade des dernières semaines devait être réalisée sur une carte, selon les villages traversés et les chemins empruntés, elle ressemblerait étrangement au contour d’un croquis d’un sac à puces, voisin de la trépanation, se mordant la queue sans même ressentir la moindre douleur.
La précision avait son importance.
Depuis leur rencontre liminaire, le Rouergue en était le dénominateur commun infernal, Sisyphe parmi les tanches, à bûcher incessamment et éternellement. Mais, au-delà de ce constat terrible et implacable, cela n’avait empêché aucunement la variation digressant de leurs numéros, que fut par les lieux, les moments, les actions, ou de leur rhétorique duettiste.

Un temps fort, une étape décisive dans cette boucle surréaliste dénotait, un quart d’heure de gloire à la hauteur d’une apparence toute crottée et tout à l’honneur d’une plume efficace et impitoyable comme le ramage la maniant. Même les représentations des comparses aux pelages compatibles et distincts pouvaient les surprendre eux-mêmes, un atterrissage des plus intempestifs sur un fauteuil, acceptant dans sa mollesse de confort notable, pour un jour saugrenue, une faune biscornue au trait d’union désopilant et non de circonstance.

Justice commutative quand elle frappait, bien que le rose acidulé et ses odeurs empuanties environnaient et rayonnées à tout horizon, le ciel n’était toujours pas d’un bleu azur parsemé de petits nuages aux formes diversement proportionnelles à cette couleur.
Un soir aux résurgences tavernicolées, la bière avait eu un goût amère, pire qu’une tisane refroidie et tout aussi rebutante. Tel un poil dans l’œil d’une puce qui elle-même se perdant parmi des griffes plumeuses d’un chat sauvage semblant être acculé, un vagabond tout crotté comptait très mal les points. Un félin tout hérissement féroce, un platane abscons et dont les feuilles séchées tout comme ses paroles façon mauvais souk de bas étage n’étouffaient point, des poils et des puces, bien qu’au regard protecteur mais néanmoins compatissant, en-dessous de tout, plus bas que l’arrière d’un comptoir, le tableau dressé autour des consommations n’avait eu comme intérêt un départ déraisonné pour d’autres augures plus rassurantes.

Sensation d’un repli du territoire du royaume sur la surface de ce croquis à la prépondérance canin.



[Une bûche peut en cacher une autre]


Yeux pétillés et amusés dénotaient radicalement avec ceux de la veille.

J’vous montrerais bien tous mes attributs, pour l’plaisir d’voir l’rougissement d’vot’manche, mais vous semblez déjà fort bien pourvu…


-Qui l’eut cru…


Marmonna-t-il dans sa barbe tout en la laissant continuée sur sa lancée. En parlant de cela, le vagabond, sur la fin de son rassemblement hétéroclite autour de son sac vomissant, arrêta son mouvement.


Not’compagnon semble s’satisfaire de son sort... et sans doute avons-nous mieux à faire qu’le bader tandis qu’il broute. Pourrions en profiter pour un peu… d’exploration.
Aldyr ? z’avez perdu une bûche volante, j’crois bien, juste là, un peu plus loin. J’suppose qu’c’est une rareté, elles restent plutôt au ras du sol.


Toujours penché, lâchant le dernier objet sur le tas informe, Aldyr visa la tête tendue ce que pouvait désigner les derniers dires de sa duettiste, à quelques pas derrière elle. Sourcils intrigués de circonstance, il dévisagea Nikkita et son regard mutin. Se relevant de toute sa stature, il s’approchait du dit objet, en lâchant de manière penaude avant de la dépasser :

-Il en manquait un...Je me disais bien…

Baissant la tête, contemplant le fameux volatile, le vagabond, minutieux seulement avec le ramage, le saisit et le scruta sous toutes ses écorches, en gardant du coin de l’œil sa duettiste.

-Une bûche volante dites-vous ?...Voyons voir…

Joignant le geste à la parole, Aldyr commença à faire sautiller le bibelot entre ses mains, mimant un air effaré.

-Mais…Vous avez raison Nikkita…Il vit encore même…C’est étonnant ce gigotement…


Les lancés de main en main devenaient de plus en plus hauts, se transformant presque en un jonglage gauche et grotesque. De son côté, ne quittant pas à travers ces sauts le visage de Nikkita, le vagabond tout crotté accentua ses traits de surprise.

-…Que dis-je ? Que fait-elle ? Cette vigueur…On dirait qu’il a la bougeotte…Pour une bûche, elle est bien vivace…Mué…Mué…Il y aurait-il des tanches, ici-même, pour la faire gesticuler de cette façon ?...

Clou du spectacle clownesque, faussement débordé par son jonglage approximatif, se retournant, il lança de toutes ses forces l’objet en direction de l’orée du bois qui jouxtait leur simili de campement. La trajectoire de la chose survola au paroxysme de son hyperbole la cime des premiers arbres pour atterrir, bruits amortis de branches cassées, à l’abri de leur regard.
Faisant de nouveau volte face vers sa compagne de tribulations dans un haussement d’épaule niais, il souligna son geste de la même manière :

-Vole petite bûche…Je crois bien que nous avons trouvé prétexte à notre exploration…De rareté vous disiez…Cette singularité doit avoir un certains prix…Si ce n’est pas celui sonnant et trébuchant, cela pourrait-être attribuant et rougissant…

Lui décochant un sourire facétieux, le vagabond tourna les talons et s’enfonça dans ce bois. Presque invisible au regard de Nikkita, caché par la pénombre et la densité des végétaux, il l’héla tout en écartant les fourrés lui barrant le chemin :

-Qu’attendez-vous ?!...Il est peut-être déjà loin si en plus il frétille...
Nikkita
[Promenons-nous dans les bois]


Pas besoin de voir si le peuple y est, le vol erratique de la bûche a dégagé le passage, sur quelques pas au moins ils ne rencontreront pas un être. Le charme des forêts, le silence sans bruit de chaînes.

Amusée par les facéties boisées de son alter ego de vagabondage, Nikkita saisit à pleines mains les pans de sa houppelande avant de pénétrer dans l’ombre végétale, levant le visage vers Aldyr au passage, une étincelle vaguement soupçonneuse au fond de l’oeil.

M’pose la question… si vot’main n’y est pas pour quelque chose… tout comme la mienne pour vot’bâton…

Esquissant un sourire espiègle :

N’reste plus qu’à trouver une bûche frétillante, susceptible d’nous bondir dessus… si avec tout ça nous n’tombons pas sur un bon vieux serpent qui n’demandait qu’à faire sa sieste ! Z’auriez pas…

Non, ce n’était pas le moment de lui demander s’il n’avait pas un bâton pour battre les fourrés afin de retrouver cette bûche à éclipses. Nikkita ravala ses mots, mine de rien, détournant le visage pour parcourir les alentours d’un regard scrutateur, tentant de cacher du même coup la teinte rosée qui venait se rappeler à son bon souvenir.

C’était un océan vert et griffu, le coin parfait pour se cacher avant d’entamer des salutations, bien entendu à condition que la végétation consente à vous libérer avant que le voyageur soit hors de portée… de voix, évidemment. Pour ce qui était de la portée du regard, la vagabonde n’avait pas à s’en faire, le moindre taillis représentait un obstacle… de taille.


C’était bien le seul inconvénient qu’elle pouvait trouver à sa taille menue. Alors haute comme trois pommes à cidre de sa ferme natale, entourée de ses ascendantes légitimes et de leurs éphémères et interchangeables égarés anglois, elle toisait quiconque osait contrevenir à ses projets d’avenir :


Mais que feras-tu quand tu seras grande !
J’arrêterai d’grandir.
Arrêter de grandir ! mais ma pauvre fille, tu ne feras jamais rien de ta vie.
M’en moque, quand j’serai plus vieille, j’serai vagabonde.

Ils, elles, haussaient les épaules, se détournant de cette graine de bonne femme à la cervelle de moineau pour vaquer à leurs occupations bien plus jouissives et lucratives. Quelques pouces plus tard, elle avait pris les chemins, pour ne plus jamais les rendre.


Mais cela ne résolvait absolument pas l’actuel problème de la bûche volante facétieusement frétillante et probablement enfouie au plus profond d’un taillis dans l’espoir de leur sauter dessus à peine leur attention relâchée. Nikkita contempla avec un rien d’envie les épaules d’Aldyr qui surplombaient la masse feuillue.


Aldyr, vous… y voyez quelque chose, de vot’point d’vue ?
Aldyr
[Réminiscences arboricoles]

Pour feuillu, ce bois l’était. L’automne avait à peine pris ses quartiers…Les teintes verdoyantes étaient encore reines, bien que les premières vagues rousses faisaient leur apparition.
De sauvage, il l’était assurément, sans l’ombre d’une patte sucrée. De bûche bondissante, son retour aux sources l’avait engloutie. Elle n’était qu’un prétexte dans toutes les manières, une façon assez absurde pour tuer le temps avant des salutations crevantes d’étoffes cliquetantes.

L’hameçon aérien ne tarda pas à mordre, ou, était-ce plutôt l’idée d’un numéro mené de manière improvisée que cela fut par les lieux, les rencontres, et, les façons et les gestes pour les aborder ?

La vision de l’environnement densément chlorophyllien, qui se présentait à lui, secoua l’un de ses poils de caboche où se trouvait, juché, l’une de ses puces à la mémoire toute crottée.


… Z’auriez pas…

-…Un écureuil…

Aux paroles en suspend de sa duettiste, Le flash d’antan surgissant dans la caboche du vagabond ne put que lui faire répondre un marmonnement inepte.

Son regard dans le vague arboricole, la remembrance intempestive avait-elle été déclenchée par ces touches orangées et marrons ? Avait-il aperçu d’un coin de l’œil, par une attention inconsciente, au détour d’une branche, s’éclipsant parmi un écran de feuillage, une queue en panache, rousse, tachetée de blanc à sa pointe ?
Raisons de cette souvenance resteraient assurément dissolues comme la localisation de la bûche planante, néanmoins, la configuration du bois y était peut-être pour quelque chose. Des images fugaces, irréelles, chimériques trottaient dans la tête d’Aldyr, de la même essence que cette réputation volontaire et très peu orthodoxe qu’on avait pu lui prêter, pour une idylle de teneur similaire. Une fable était comme un mythe. La fiction servait à mieux dévoiler la vérité du réel.
Prêcher le faux pour savoir le vrai, coucher avec un écureuil pour stigmatiser l’acidulé des relations des bons gens heureux d’être nés quelque part.
Ou, peut-être, dans cette résurgence produit de cette jointure qui marqua son passage à l’acte, ce changement de manière de vivre qui n’était qu'un bouillonnement sous-jacent depuis le début de son existence toute crottée, un des arbres à sa proximité était doté de cette fameuse branchette qui abrita cet hyménée qui déchaina le quand dira-t-on et autres quolibets pauvrement bien pensant ?
Ce parc liminaire à leur fleurette, cette pendaison de crème-à-hier, les compagnons, amis de la forêt d’une tolérance si torve et amourachée, les promenades lascives aux bords de l’eau, tout cet ensemble n’était que la semence ou le terreau…De sa présence aux côtés…


Aldyr, vous… y voyez quelque chose, de vot’point d’vue ?


Le flot de ses fantasmagories défila en s’accélérant comme un tunnel qui courrait vers sa sortie. Non pas un chant volatile, mais une voix claire et doucereuse et néanmoins plumeuse le fit sortir de sa torpeur antique.
Clignant imperceptiblement des paupières, Aldyr baissa son regard vers sa duettiste légèrement en arrière, fourrés obstruant son champ de vision, menton levé vers sa nuque. Geste pour l’interrogation, le vagabond barra son front de la tranche de la main sondant les profondeurs forestières. De réponse, il donna une secousse de la tête :


-Mon point de vue a peut-être légèrement un peu plus de champ que le vôtre…Mais, je dois avouer que l’endroit est particulièrement…Dense…Votre bûche, par contre, doit être dans son élément et c’est bien jouée de nous…

Le vagabond tout crotté, faisant pratiquement face à son acolyte, cogita un instant le temps que sa faune délibère sur une solution. La piètre qualité de cette dernière serait sûrement jugée à sa juste valeur à l’aune du plumage de Nikkita, et même, une alternative d’autant plus lumineuse la balayera d’un rien.

-Si nous devons aller plus en avant, le cheminement ne vous sera pas des plus agréables…Taillis et autres épineux vous fouetteront le visage, branche écartée par mes soins, feront un retour des plus fulgurants vers vous-même…

Sourire aux bords des lèvres, pointe d’amusement se dessinant sur ses pommettes, il formula la substantifique moelle de son crétinisme à tout craint.

-Il serait peut-être…Plus judicieux…Que vous vous retrouviez…Surélevé un tantinet...Vos plumes fondamentales sur mes épaules…Sinon, une très courte échelle pour celles pédestres si vous avez l’âme grimpante sur n’importe quel arbre nous entourant…Une manière de hisser votre observation.


La cocasserie se lisant sur son visage, glissant à l’extrême limite du rire, Aldyr se baissa légèrement en courbant son dos, dans l’attente d’une approbation ou désapprobation de sa camarade.

-Par contre, dans n’importe quel cas, veillez au bon positionnement de votre houppelande…Je dis cela pour vous…Vous avez su m’aveugler agréablement dans d’autres circonstances
Nikkita
[Houppes et landes]


Retour en arrière vertigineux, une taverne déserte aux heures chaudes de l’été, deux vagabonds s’échangeant des petits bouts plumeux laissés en route, sur fond de tanches bullant généreusement sur des étals saumâtres et débordants, entre deux considérations sur l’exécrable qualité de la corde du cru.

Et d’esquives en esquisses, d’hésitations en tâtonnements, l’un soutenant l’autre, l’autre soutenant l’un, mains à terre et tête à l’envers pour une appréhension à l’endroit, et quel endroit !
La houppe de la ceinture musant, traitresse, venait chatouiller un bout de nez trop curieux, le menaçant d’intempestifs éternuements mettant à bas tout ce bel et fragile édifice. Sang à la tête et teinte fraise des bois, peu importaient, dans ce renversement de situation où le haut devenait bas, le débat s’adressait à des bas.

Les lieues, les lieux, les liens, les chaînes, les boulets, les boulots, les bouleaux, les bouts d’eau, avaient cascadé depuis, mares et maraudes, maire éphémère, tribun échappée de la tribune du tribunal, sans tribut et sans mal, s’attribuant généreusement, sans gêne heureusement, mutuellement, mutinement, la part belle dans l’échappée.

Loin d’un tumulte qui n’avait d’urbain que le nom s’étendait leur errance, forêts et landes, élan vers l’ailleurs, autrement, au bon et plein gré de leurs pas vagabonds.



-Il serait peut-être…Plus judicieux…Que vous vous retrouviez…Surélevé un tantinet...Vos plumes fondamentales sur mes épaules…Sinon, une très courte échelle pour celles pédestres si vous avez l’âme grimpante sur n’importe quel arbre nous entourant…Une manière de hisser votre observation.

-Par contre, dans n’importe quel cas, veillez au bon positionnement de votre houppelande…Je dis cela pour vous…Vous avez su m’aveugler agréablement dans d’autres circonstances


Nikkita considéra un instant, pensive, la proposition et le dos offert de son compagnon d’errance, sans réelle hésitation. Entre une branche épineuse et des épaules pelagineuses, il n’y avait guère à balancer. Surtout lorsque la première faisait visage de bois, et les secondes étaient surmontées d’un sourire perché en équilibre précaire au bord du rire. Ramassant les pans de la houppelande couleur de nuit qu’elle persistait à porter en dépit d’un aspect pratique pour le moins discutable, elle recula de quelques pas pour prendre son élan, avant de lancer à la volée, tentant de retenir le sourire qui venait jouer sur ses lèvres :

Mes plumes fondamentales sur vos épaules… Tenez-vous prêt, Aldyr… Je n’saurais augurer d’la façon dont s’positionnera ma houppelande, j’ai besoin d’mes mains pour monter sur vot’dos… Dans l’pire des cas… ou l’meilleur, c’t’à vous d’voir, ou n’pas voir, d’ailleurs… N’sera pas la première fois qu’vous connaîtrez un aveuglement… partiel.

Un rire à fleur de lèvres tandis qu'elle prenait son essor :

Essayez tout d'même de n'pas m'accrocher aux branches...
Aldyr
[Saut de plumes, bond de puces]

Chacun se hissait sur les épaules de géants qu’il méritait. Qu’elles furent hautes, robustes, confortables, ou crottées, poilues surmontées de puces, ce n’était que les modalités du moment, ou des rencontres d’une vie…Dans une existence.

De toutes les manières, la verdure s’effaçant n’en pouvait rougir plus, sauf, tout du moins, un fessier de rongeur ou le postérieur d’un volatile recherchant une tranquillité toute relative à son état, sur une branche.

Le bucolique de la situation, ramasser champignon ou autre marrons…Marron, faire l’inventaire herboriste des couleurs fauves des feuilles ramassées, n’étaient pas pour eux. L’automne, comme saison, était, peut-être, d’une transition trop radicalement calme pour leur pelage respectif.

Coin de l’œil, puces aux aguets, poursuivant, le vagabond tout crotté amorça plus en avant son rapetissement, posant un genou, écrasant mousse et autres branchages à son mouvement.
Courbant son épine pileuse en fonction des préparatifs des plumes à l’assaut vers un sommet aux fondements peu rassurant, Aldyr secoua la tête d’un amusement à mesure des paroles de sa compagne.

Offrant au maximum de leur limite ses épaules, ce dernier, lui tournant son visage, attendant, avec une impatience propre à ses puces, ses plumes fondamentales, proféra en guise d’invite :


-Que je m’aveugle volontairement ou que vous le fassiez de votre houppelande se déployant par votre mouvement, le résultat sera le même…Mais vous serez mes yeux, et voire mes oreilles dans notre exploration…Je serais votre tronc…

Marquant un silence, attendant le contact surprenant de ses plumes insoupçonnées, le vagabond dans une position de pénitent, ne put s’empêcher de surenchérir d’un poil facétieux :

-Et…Pour autant, ne boudez pas votre confort…Même si cela doit affoler mes puces que je ne peux jamais viser…Celles qui ont le malheur de me faire penser et émettre des idées…Derrière ma caboche…
Nikkita
[Chevauchée dans le val qui rit]


Un, deux, trois, allonger le pas, quatre, cinq… beaucoup, atterrir contre son cou.
C’était ce qui s’appelait compter sur son partenaire, au sens plein du terme.

Compter aveuglément… Nikkita revisitait les poncifs à une sauce toute personnelle, les mains perdues dans les plis de l’étoffe, tentant de rendre à cette dernière forme plus convenue, à défaut de convenable.

Malgré la taille minimaliste de la vagabonde, le tisserand en charge de la confection de la houppelande n’avait pas lésiné sur le tissu, sans doute soucieux d’honorer l’enseigne de son échoppe. Pas à dire, elle en avait eu pour ses écus, pour ce qui était de la qualité certainement, mais également de la quantité. Partagée entre l’amusement et l’agacement devant cette mutinerie indigo, elle se pencha en avant, soulevant avec délicatesse un pan rebelle dans l’espoir de croiser le regard de son duettiste.


C’t’un… inconvénient tout passager… J’suis en train d’y remédier…

Assertion plus empreinte d’espoir que de réalisme. La vagabonde tirant de-ci, de-là, finit par dégager ses jambes emprisonnées pour les caler fermement contre les épaules d’Aldyr, jetant dans le même temps un regard piteux vers le busard qui criaillait avec une belle constance au-dessus de leurs têtes.

*Mais elle s’moque de nous, c’te buse !*

Ou quand la forêt semble se doter d’yeux…
Nikkita secoua la tête, redressant toute sa taille face à l’adversité aussi nombreuse qu’impalpable, dans un effort méritoire pour conserver un semblant de sérieux, à défaut d’une gravité fondamentalement remise en question.

Un castrais pourvu d’un manche, une bûche volante décidément disparue corps si ce n’est bien, Aldyr en homme-tronc, cela augurait-il que leurs butins précédents feraient souche à la faveur de la nuit ?
Des pérégrinations boisées, s’il en était.

Croisant ses mains, enfin libérées de l’étreinte de l’étoffe, sur le pelage crânien de son partenaire d’errance, Nikkita se pencha jusqu’à murmurer contre son oreille, finalement ravie de la vue imprenable sur les fourrés alentours :


J’suis prête… allons-y.. . pouvez ouvrir les yeux, j’suis décente, bien qu’toujours sur vous…
Aldyr
[Plumas pulicis humeris insidentes]

Heureusement que la manœuvre avait été longuement discutée, pour-parlée, planifiée, préparée, échafaudée…Echafauder était le terme exact, qui tombait à épaules nommées…le vagabond aurait pu partir en courant, voir idiotement faire volte-face, rencontrant par la même occasion, et peut-être pour la deuxième fois de sa vie, mais chemin inverse, l’origine du monde…

Prunelles fermées, mains solidement posées sur ses genoux fléchis, rides d’expression du front suivant simultanément les mouvements de sa duettiste dans son dos, résolument non, le revirement aurait été la dernière idée lumineuse du vagabond.


C’t’un… inconvénient tout passager… J’suis en train d’y remédier…


Dire, c’était faire. Houppelande, c’était chatouillé, à la limite de l’éternuement le nez du vagabond. De la curiosité à la perplexité des manœuvres, haussements de sourcils de concert avec les rides frontales, Aldyr osa relever quelques cils. La clarté du bois et la pénombre de la frusque couleur nuit s’alternaient, accompagnées du bruissement d’étoffe à ses puces auditives.

Au moins, s’il y avait faune féroce aux alentours et particulièrement en ces lieux, l’édifice de cet épouvantail de plumes et de poils, puis sa mise en branle, ne pouvait passer inaperçu à la nature environnante. Question discrétion mieux valait passer son chemin. Stratégie de l’échec si cette technique devait servir à des salutations avides.


J’suis prête… allons-y.. . pouvez ouvrir les yeux, j’suis décente, bien qu’toujours sur vous…

Derniers ajustements au sommet de son crâne, signal intelligible confirmait et clôturait la fin du dispositif. Au contact du souffle de sa comparse à l’une de ses oreilles, Aldyr risqua un œil puis l’autre, surpris de pouvoir viser encore l’étendue densément verte.
Sourire et regard en coin, le vagabond prit appui sur ses pieds, se redressant et apposant ses mains sur les jambes aux duvets découverts. Toute relative était encore la froideur de l’air. La chaleur irradiant son cou de part et d’autre, foyer à la nuque, était inversement relative.


-Cramponnez-vous alors…Enfin…Tenez-vous…Plutôt…Serrez...Mais avec parcimonie, je n’ai pas un tronc à l’endroit de mon cou !

Les premiers pas étaient ceux d’un géant hésitant et gauche. Par de là les feuillages et autres taillis rois et reines, une plume avait beau être toujours plus légère qu’une épée, comme toute chose, elle avait son poids.

Le plus court chemin dans une forêt était la ligne droite, épongeait-il donc tout en essuyant celui qui avait proférée ce genre de lapalissade. Il avait omis la question de la distance par contre…Ou de l’étendue de la dite-forêt.
A ce propos, difficile d’évaluer une toise ou même un pouce parmi cette verdure. A l’inverse, des pouces, il y en avait de trop. Dans cette posture, on ne pouvait pas jouer, et le choix était nécessaire, la locomotion et le perchoir à la fois.
Le terrain inégal, la démarche assez démantibulée, tout en veillant à ce que la vigie ne retourna pas illico dans l’océan de verdure en traversant le pont de puces et la coque pileuse, défaisaient avec un ordre désordonné plis et replis de la houppelande soigneusement posés sur le sommet de son crâne. Une étrange sensation d’un crépuscule en accéléré. Les pans, lentement mais toujours sûrement dans ce genre de situation, glissaient subrepticement de son front, sur ses yeux, picotant le bout de son nez.

Le solstice d’hiver de la décennie si ce n’était du siècle.

Pour autant, le mouvement était lancé et la confiance ne se badinait point, surtout lorsqu’elle était dotée d’un point de vue extraordinaire.
Vision en berne, audition légèrement décuplée, à l’aune d’un son régulier voir berçant, leur faisant face au loin, haussant un sourcil sous son étuve plumeuse, Aldyr communiqua vers les plumes épieuses :


-Dites-moi Nikkita, sauf si vous êtes en discussion intense avec des oisillons nidifiant, et leurs frères et sœurs non encore éclos…Ou si vous faites du gringue à un écureuil glandant sur une branche…Qu’est ce qu’il se prête face à vous ?...Si…Tout du moins…Il fait encore jour là-haut…La nuit est bien basse…Aujourd’hui…
Nikkita
[Ondine, c’est pas que de la flotte]


Promenade champêtre, délaissant les champs pour fréquenter les hêtres, l’incongru duo s’enfonçait toujours plus avant dans la forêt, au hasard des obstacles divers semés ou poussés sur le chemin. Chaotique autant qu’erratique trajectoire, oublié le campement dans le vert dur éclaboussé de roux joyaux, la toise était démise, demie de l’aune comprise.

-Cramponnez-vous alors…Enfin…Tenez-vous…Plutôt…Serrez...Mais avec parcimonie, je n’ai pas un tronc à l’endroit de mon cou !

Les troncs, ce n’était pas ce qui manquait, mais bien que certains se recouvrissent de lichens, la vagabonde augurait avec quelque certitude qu’aucun n’atteignait la qualité du pelage accueillant, d’une épaule solidaire, ses plumes fondamentales. Dandinant de concert avec une empathie stabilisatrice, Nikkita, scrupuleusement attentive aux desiderata d’ordre vital de son comparse, s’efforçait de trouver la juste mesure entre une douce jonction des mains pour houle berçante, et une étreinte par gros temps qui, pour spontanée qu’elle soit, pouvait se révéler fatale.

L’étrange édifice mouvant et se mouvant était, elle en aurait mis sa main à couper si elle n’était présentement occupée par sa mission de cramponnage parcimonieux, d’une solidité bien plus aboutie qu’il n’y paraissait de prime abord. Forte de cette certitude, une fois intégré le roulis de la caraque fendant les flots verts et griffus en tirant des bords sous les caprices des éléments par trop solides, la vagabonde pouvait laisser libre cours au plaisir de cette chevauchée impromptue.
Sans divergence, leurs corps empilés s’avançaient, plumes et puces confondues, mais non confuses.

C’était un bien long chemin pour arriver jusque là, tortueux, torturé, semé de cailloux et de hiboux pas chouettes, de bûches et d’embûches, de petits matins frisquets, de grands passants défroqués, d’écus sonnants, de corps trébuchants, de décors tintinnabulants, de cuvées tentantes, un chemin où l’aubépine sauvage offrait ses senteurs d’un coup de griffe, où les prédateurs pouvaient devenir proies, un chemin de prose sans pause et sans rose, un chemin aux cents coups, aux cents ecchymoses. La liberté avait un coût… librement consenti.
Pour des étés en pente douce et des automnes sans corde raide, pour l’éclat d’une bourse et celui d’une mare, pour l’éclat d’un rire et celui d’un regard.

Ombres et lumières alternées au gré des branches, pâles éclipses et retours de soleil aveuglants, Nikkita, à l’inverse de son duettiste encapuchonné dans la nuit de sa houppelande rebelle, clignait des yeux dans les jeux de lumière. Sa voix assourdie grimpa, jusqu’à chatouiller ses écoutilles :


-Dites-moi Nikkita, sauf si vous êtes en discussion intense avec des oisillons nidifiant, et leurs frères et sœurs non encore éclos…Ou si vous faites du gringue à un écureuil glandant sur une branche…Qu’est ce qu’il se prête face à vous ?...Si…Tout du moins…Il fait encore jour là-haut…La nuit est bien basse…Aujourd’hui…

Retenant un rire, elle se redressa de toute sa taille afin d’assurer au mieux son rôle de vigie, un tour de périscope pour les à-côtés, du vert, du vert, du vert, tiens, du brun, un écureuil, et puis du roux, peut-être un renard, et puis ces éclaboussures de l’automne jetées au hasard des buissons tandis que son œil se focalisait sur l’endroit demandé… haussement de sourcils à mesure de la découverte, tandis que l’envie de rire se faisait irrépressible, se contenant pour quelques instants encore, Nikkita se pencha à nouveau, au plus proche de l’oreille de son alter ego d’errance :

Z’allez pas m’croire, Aldyr… c’est d’l’eau… une source et puis, comment vous dire… un trou d’eau, une p’tite nappe, une grosse flaque… une barbotière…

Pinçant délicatement un bout d’étoffe entre ses doigts, la vagabonde le souleva, libérant, du moins pour quelques pas, la vision de son compagnon afin qu’il constate par lui-même :

En somme, c’t’une… mare…
Aldyr
[Vagabond dégagé]

Levée de rideaux timide après trois coups étouffés et hésitants, même entre des êtres de même condition, choisie, de servitude volontaire, la liberté étant un asservissement décidé, l’entrée en matière ou sur scène se jaugeait toujours d’un croisement de regard calculé et toisant.
Un lieu, une taverne précisément, un temps, un soir d’été d’une ambiance chaude et fiévreuse, l’échange coutumier, de bon aloi, le prosaïque bavardage somnolant ne fut pas de mise pour une précieuse fois. Par contre, la distance d’observation et de considération avait été scrupuleusement acceptée pour ce premier soir au palabre, où peut-être la chope de circonstance et de bienvenue formelle avait été omise.
La vie n’était qu’une farce, autrement un jeu, une suite de calculs, de stratégies d’une intelligence toute relative, dont les coups ne pouvaient se prévoir qu’à la façon d’une prépondérance au milieu d’une figure accolée contre une fenêtre crasseuse. Rien d’explicite, aucune considération sur la culture de radis en milieu tempéré ou sur la tenue d’un voyage bigrement ennuyant à la façon d’une visitation des mouettes les plus proches et pour se poser la question existentielle de comment il était possible de vider facilement ce genre de quantité d’eau…
Un jugement d’apparence simplement qui fut dénoté par quelques paroles, façon de contourner ou non les cadres établis arbitrairement et néanmoins ennuyeux… Un « On ne savait quoi » comme pouvait le dire les moins bavards et les plus décervelés. Une raison feinte de poursuivre une fausse troupe de saltimbanques par monts et vaux, une manière grossière et toute crottée de débauchage avaient été les deux mamelles de cette discussion liminaire…Sans prétentieux…Ou plutôt la seule qui se caractérisait par une sensation que cela puisse se renouveler encore une fois et plus encore, s’accompagnant d’une perte à mesure des oripeaux des bonnes manières inutiles.

Z’allez pas m’croire, Aldyr… c’est d’l’eau… une source et puis, comment vous dire… un trou d’eau, une p’tite nappe, une grosse flaque… une barbotière…
En somme, c’t’une… mare…


Levée de houppelande, la vigie ne criait pas « terre ». Une mare barbotière, source sûrement ressourçant, c’était à se demander si elle ne s’était pas mise volontairement sur leur chemin, ou que des ondes plumeuses lui avaient indiqué l’endroit de passage. Les puces auditives du tronc auraient parié plus sur une rivière, un léger torrent. Décuplé devait être exagéré.

A cette écoute toute plumeuse, aveuglé par l’aide du même acabit, la bûche était loin ou littéralement dépassée. Remuant de seulement son nez, calant encore plus les jambières plumeuses contre son cou, le vagabond tout crotté accéléra le pas au vue des informations perchées. Clignant frénétiquement des yeux, paupières aidant, par la volonté de sa comparse, la vision se fit difficilement hôte de son ouïe.
D’un battement de cil tout crotté, d’une occurrence, fenêtre fugace, visant la mare ressourçant, dans sa posture appesantie, racine rencontrant sa stabilité toute précaire, Aldyr, dans un semblant inutile de conversation de son équilibre, senti le navire plumeux avec ses mâts duveteux céder à sa coque poilue.
Son être tout crotté avait les limites qui étaient bornées. Tête la première, sa duettiste de prime abord, le résultat au bord de ce plan d’eau, d’épaules contre cou, se manifesta par un…Plouf…Suivit par un autre et non moins original autre…Plouf …Plus grotesque et bruyant.

La nature savait jouer des tours même à deux vagabonds discrets. Bullant au sein de cette mare à la profondeur sans ressource, le vagabond tout penaud dégagea sa tête à l’extrême limite des flots. Hagard mais néanmoins mouillé, balayant du regard la ligne de flottaison pour apercevoir une once de plume flottante, Aldyr plongeant de nouveau ses bras dans cette mare, accompagnant d’un appel proche du ridicule :


Nikkita... Nikkita !
Nikkita
[Quand la vague abonde]


Fuyant les trônes, les détrônés et les dames patronnesses, au royaume des grands chemins et des petits sentiers, les vagabonds étaient rois.

Nulle couronne pour leur consécration, l’aversion avérée à verser dans la courbette, le duo itinérant avait pour sujets ceux de leurs échanges à bâtons rompus, brisés, distordus, malmenés, imbriqués, elliptiques ou bien sceptiques, jamais septiques. Nulle odeur de rose flottant, l’épine cachée sous la délicatesse trompeuse, nulle ingénue flexion, les partenaires de numéros en tous genres goûtaient à pleine saveur le suc de la vie plutôt que le sucre de l’envieux.

Ni haute ni basse cour, mais une ménagerie peu ménagée, moins encore aménagée, sautillante ou galopante, compagnons de fortune et d’infortunes à leur mesure, si ce n’était à leur taille. D’estoc sans barguigner sur les préséances cédait le pas à des stocks, une fois lame rangée, les duettistes oubliaient son fil sans pour autant le perdre, pour mieux se délasser.


Plouf, plouf.

La caraque fonçant sus à la mare ne vit jamais aboutir son abordage, sombrant corps si ce n’était bien, dans une manœuvre contrecarrée par une racine trop ronde.

Nikkita avait appris à voler très jeune, à l’insu de son plein gré, du dos du cob normand aigri par un trop-plein de pommes à cidre acides, consentant, ou pas, selon son humeur, à tirer la charrue familiale. C’est donc sans réelle surprise qu’elle sentit son assise basculer pour traverser les airs en piqué. L’amarissage était plus saugrenu, et moins douloureux également, ainsi qu’elle le découvrit en s’enfonçant tête la première dans l’élément liquide.

A la fraîcheur prévisible mais encore agréable de ce bain forcé, se substitua rapidement le tournoiement de l’ample houppelande, qui, gorgée d’eau autant que d’air, semblait prendre un malin plaisir à entraver ses gesticulations pour atteindre la surface. Méli-mélo de pans errant, incohérents, s’enroulant autour de ses bras, de son cou, de sa tête, obscurcissant toute vision. A son tour la vagabonde goûtait à la nuit indigo en plein jour, et en pleine eau. Pensées absurdes s’entrechoquant, moulinant des jambes autant que le lui permettaient ses liens, à se démener hasardeusement elle réussit à toucher le fond.

Un coup de pied suffit pour remonter, ainsi qu’elle l’avait découvert au cours d’interminables séances aquatiques, où l’eau n’était qu’un élément de jeu. Sauf… qu’elle n’avait pas alors une vêture bien trop ample, comme animée par sa propre volonté sur la direction à prendre, et sur les moyens de l’empêcher d’y parvenir.

Ses efforts rencontrèrent un succès mitigé, sa main celle de son comparse, solide dans le liquide. S’y cramponnant, elle remonta à mesure le mât de fortune du bras jusqu’à l’épaule, pour émerger, flottant risiblement tel un bouchon au milieu de ses atours assassins, les mèches dégoulinant sur ses yeux, n’osant départir une main pour les repousser. Piteuse, essoufflée, elle lâcha d’une voix entrecoupée :


Aldyr… j’vous l’ai déjà dit… je n’fais pas la lavandière… quand j’prends un bain !
Aldyr
[Trempez-la dans l’huile]

Il y avait des circonstances qui se répétaient, plus pudiquement et sagement nommées un éternel retour de reviens-y-de derrière-les-fagots-y’a-d’la-pomme-ou-j’me-trompe ?
Mais déterminisme n’était pas contingence. On pouvait patauger quotidiennement au même endroit, sur le même caillou saillant ou dans la même emprunte vaseuse de ses petons.

Son emprise toute crottée rencontra celle plumeuse. Rassurance, encore fallait-il, le vagabond la hissa.

La mirant, d’une ingénue mouillée, sourire au bord du rire, bien que foulard du même acabit, sur le coin de sa tête, résurgence quand tu nous tenais…

Un bal de marivaudage arrangé et poussé, une réception toute réceptrice, un « allez vous faire huitre », bourré comme une moule sur son rocher, cherchant un après qui n’était plus…Des « vous dansez mademoiselle ? » cantonnement de chair voire de seins blancs. Un lac dansant le Millau, la tasse, saleté de bretonne à fourré !

Première occurrence de baignade complètement habillé, et néanmoins avinée. Bis repetita quand tu nous tenais, la faute était partagée…Honteusement, certes, mais pour une deuxième fois…Jamais deux sans trois ?


Aldyr… j’vous l’ai déjà dit… je n’fais pas la lavandière… quand j’prends un bain !

Sortant des flots, d’abord incrédule, souriant bêtement, visant ses mèches dégoulinantes, les écartant par un geste culpabilisant, de l’autre tenant son étoffe de chef, s’approchant, par fausse réparation de son acte :

-Et de vous sécher…Je crois que mon foulard, présentement, à rendu l’âme…

Le vagabond d’un humidement crotté, d’une réflexion tout aussi portée, jetant un regard vers les cieux puis le ramenant vers ses plumes ruisselants :

- Un brin de rayon pourrait vous rendre dans…Votre fraîcheur…A flot autrement dit…Un détournement de mon regard tout crotté…Suffirait à…L’opération…
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