Mahaud
Les choses commencèrent au cours de la cérémonie de la remise du Porc-Epic
Sur la Grande Place d'Orléans, ce jour-là, le ban et l'arrière ban de la noblesse orléannaise se pressait autour du Duc afin de prêter allégeance et de recevoir pour certains - beaucoup d'appelés mais peu d'élus - une distinction pour leurs bons et loyaux services. Les Dames et les Seigneurs en tenue d'apparat massés autour de l'estrade rivalisaient d'élégance, d'arrogance aussi, drapés dans des privilèges que la naissance plutôt que le mérite leur avait octroyés.
Parmi ces gens dont les regards étaient rivés au Duc et aux honorifiques parures convoitées, pas un seul n'aperçut adossée dans le recoin d'une porte cochère, dans l'ombre d'une venelle donnant sur la place, une silhouette sombre, enroulée dans une cape d'un noir de corbeau, épée au côté.
Mahaud, tendue comme un filin d'arbalète, fiévreuse, tous les sens exacerbés par l'excitation et l'impatience, observait sans ciller la cérémonie de l'Ordre du porc-épic. Ses blessures étaient guéries. Nulle gêne, nulle souffrance n'entraverait sa course ou ses gestes. Dans ses veines, le sang charriait une vigueur toute neuve en même temps que son profond dédain pour ce monde.
Quelques jours plus tôt, après qu'elle eut démoli à coups rageurs de tabouret le maigre mobilier de sa chambre, tandis que ses perspectives d'action lui semblaient fondre comme neige sous le soleil de Gien, et qu'elle avait failli se couper un doigt avec son poignard à force de le faire tournoyer de dépit, le Vieillard avait investi son esprit de sa voix lénifiante :
- Tu te demandes comment creuser davantage le Malheur, n'est-ce pas ?
- Evidemment ! Tu m'as envoyée pour ça !
- Il arrive. Il t'aidera.
- Qui donc, Dode ?
- Hornbach le Noir.
Et Hornbach le Noir était arrivé. L'Autre l'accompagnait.
Elle entendait à présent les sabots de leurs montures sur les pavés de la venelle.
Comme elle, ils attendaient le moment.
La femme que le Dodécalogue leur avait désignée montait sur l'estrade. Mahaud la vit s'agenouiller devant le Duc, ses lèvres prononcèrent des paroles que Mahaud n'entendit pas mais qu'elle devina comme étant ce fameux serment d'allégeance que tout vassal servile devait prêter. La femme se releva, fit sa révérence et s'apprêtait à partir lorsque le Duc la retint. Mahaud fronça les sourcils. Sa main se crispa sur le pommeau de sa bâtarde. La noble avait oublié de prendre son porc-épic ! Les lèvres de Mahaud se retroussèrent en un sourire hideux.
Patience !
Le moment venait.
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