Edern
Bâillement. La main imbibée d'insecte est essuyée naturellement sur le vêtement du voisin de droite. Voisine ? Ne pas se retourner pour voir. Ce ne serait que construire l'apparence d'un aveu d'intérêt pour cette masse silencieuse entassée sur une noble, si noble chaise ducale. Et d'intérêt, parmi tous ces conseillers qui font mentir leur nom, il n'y en a pas plus que de combats héroïques entre Saumur et Chinon. La mort y rôde, certes, mais n'est pas celle des corps. Elle est lourdeur, pesanteur, ajoute des heures aux heures. Tentative de calme sans tempête... alors on dort.
Le Fou jette un regard lointain à Otissette tout en examinant consciencieusement la constitution d'une larme de sang au bout de son doigt.
C'est rouge, bien rouge, trop rouge, signe d'écarlate peut-être.
À trop se piquer...
Vous êtes vraiment une femme hystérique.
Comme une consonance familière.
Qu'est-ce ? Ah oui.
Pléonasme.
Il bâille à nouveau. Un autre monde s'enfuit et l'ensommeillée réticence cède le pas à la plus vive des consciences. L'éveil occulte les songes de sa nuit et appelle les songes de son jour. Il s'étire lentement, tendant ses bras au gris plafond comme un oiseau tendrait ses ailes chargées de plumes vers le ciel à dépasser. Voletons de branche en branche avant qu'on ne nous les scie.
Vous qui êtes si riche, allez-vous financer ce fameux port ? J'en doute, vous êtes encore plus égoïste et fourbe que madame le Commissaire à la Contrebande, et je pèse mes mots.
Puis, en direction de ce qui pourrait être la barbe de l'angevin Satan :
Je pense que nous devrions demander des crédits au roi. Chacun sait qu'il est soucieux de la prospérité de son royaume et de ses sujets : il comprendra certainement notre détresse. Ce serait là un geste diplomatique très fort pour l'Anjou...
Calyce.
On s'endort là, non ? Peut-etre pas tout le monde mais le Cac a l'air de piquer du nez, quelque chose de bien. Sa faute. Si elle s'était plus concentrée sur l'inventaire ducal plutôt que sur le nombre de cheveux qu'elle a. Mais même pas moyen de roupiller tranquille. Non, pas possible, le Fou est là... Pas pour rien qu'on y a refilé le poste de Porte-parole à lui : Il parle trop. Beaucoup plus qu'elle, c'est dire. Pour dire n'importe quoi en plus...
COMMISSAIRE AU COMMERCE ! Ignorant.
Bien réveillée la môme, oui.
Ce n'est pas être fourbe ou égoïste que de refuser quand vous demandez à ce que je vous laisse piocher dans les caisses ducales... Je vous l'ai déjà dit.
Et toc.
Les choses sérieuses. Le port.
J'peux avoir un bateau ?
Calyce.
Et à la proposition de Lucie, la mioche dit oui tout en se servant encore du vin. Pour la bateau faudra voir plus tard, pas aujourd'hui qu'elle allait l'avoir... Pis la capitaine avait surement raison : L'angevin n'a pas le pied marin. Y a qu'à entendre le récit des aventures maritimes de Kilia ou encore d'Otissette. Et hop une croix imaginaire est dessinée sur le grand bateau tout aussi imaginaire... Dernière gorgée de vin quand le bailli ramène sa science. Oula, ça commence à causer sérieux... Le Rhin, un canal...Un passage par le Poitou... Un plan agité par un Fou... Après on dira que ça bosse pas au conseil...
Et puis les mirettes sont distraites...
Wouah l'rose ! Trella t'as la classe... Tu m'fais pareil en vert ?
Pas de le temps d'écouter une éventuelle réponse qu'elle se gratte déjà la tête en écoutant la mercenaire-blonde-capitaine-prof de combat...
Pfiou. Ca a l'air compliqué vot'truc quand même...
Se penchant ensuite vers Tiss, Calyce se veut discrète en chuchotant ...
Il va ruiner l'Anjou lui avec ces idées ! On peut pas y retirer ses fonctions pis l'envoyer à la circulation des charrettes ?
Edern
Montmorency. La volonté jusqu'à la corde... angevine jusqu'au cou. Damnée de la terre au ciel des innocents. Le Fou ferme les yeux un instant, quitte l'obscurité inutile de la salle pour celle des songes éveillés. Il vit le fossé, abîme de terre et de roche, englouti par la furie d'une mer sans fin. Deux mondes d'océan séparés...
Un nouveau départ s'impose... plus tard.
Rapide rencontre du brun et de l'azur.
C'est très simple. Nous raserons des centaines de kilomètres de forêt pour creuser le canal. Autant de millions d'arbres qui feront les machines de vos rêves les plus fous...
Qu'importent les haches et les scies, jamais l'imaginaire ne souffre de déforestation...
Attention détournée par le gardien du poulailler en manque de grain à distribuer.
Des écus. Vous en êtes tous assoiffés. Vous les aurez.
Eux, et d'autres...
Dès que ces histoires de tutelle et autres broutilles seront réglées, nous pourrons effectivement instaurer une taxe sur l'utilisation de ce péage. Disons un écu pour tout ressortissant du Ponant et mille pour les autres ? Avec un tarif spécial "flottera ou flottera pas ?" pour les individus convaincus de rousseur, évidemment.
Une source cachée sur le côté, mots de bassesse et de secret. C'est un complot... Calyce et Otissette, ou le Mal incarné, quel que soit l'ongle rosé.
La Grande... les charrettes ne flottent pas, contrairement à vos chuchotis qui voguent gaiement jusqu'à mes écoutilles.
Encore marqués par une certaine nuit tourangelle, les longs doigts écornent l'extrémité d'une liasse de feuilles rangées dans l'écritoire, autant de papiers à lettres, de récits à naître. L'index se pose sur un des coins, coin marqué d'un symbole illisible.
Soudain sourire empli de gentillesse...
Otissette, j'ai un courrier de Davor, je vous le lis ?