Matalena
Que lis-je ? Que visualise-je ? Hallucine-je ?
Pour sur, voilà une bien vile farce que me font les papistes, un attrape-couillon de bas étage dans lequel je ne tomberais certes pas ! Une lettre de la belette à mon intention... Qui accorderait foi à pareille fabliot ?
Mais fi donc ! Comment étais-je supposée deviner ton retour à la Cité des Saules, sale garce échaudée, lors même que tu n'avais point daigné donner signe de vie durant des saisons entières ?! C'est l'hospice qui se fou de la charité, étouffes-toi donc avec ta mauvaise foi, ce sera mérité et revu à la baisse au regard des châtiments que tu mérites de me faire tant soucis !
Enfin, laissons là ces aimables civilités pour les nouvelles fraîches. Je suis heureuse d'apprendre que tu as réussi à garder ma filleule bien aimée (en sus d'être mon unique de la sorte) en vie, à croire que tu n'es finalement point mère si navrante, et/ou elle très résistante, ce qui dans tous les cas est une bonne chose, te survivre constituant un exploit en soi. Il me serait une grande joie que de la contempler en ses quelques printemps, considérant que la dernière fois que nos regards se sont croisés, elle s'ébattait encore en ses langes. Plus qu'à espérer que tu n'en ai pas fait une de ces fiottes insupportables et attardées qui zozotent en taverne et ne comprennent rien. Je n'ai guère de craintes à ce sujet cependant, ayant l'instinct d'une enfant brillante et éveillée, j'espère avoir raison !
Hélas, j'ai à craindre que ce ne soit point pour tout de suite, considérant les évènements que nous savons. Engagée auprès d'une armée ponantaise dans le conflit qui occupe tout le territoire et ses habitants (à l'exception notable de nos habituels bien pensants trop occupés de leurs vaches et leurs champs pour se sortir les yeux du cul dans lequel ils les ont fourrés), je ne suis pas prête de débaucher, et les choses s'éternisent. Quoique la lassitude de ces combats sans fin soit désormais palpable au sein de toutes les factions, nul n'acceptera de lâcher la cordelette à laquelle il se raccroche, trop d'intérêts étant en jeux.
Une place de gérante de taverne me parait ma foi t'aller comme un gant, pour peu que tu ne sois trop encline à vider les tonneaux et assoiffer ainsi tes propres clients, ce qui ruinerait quelque peu ton affaire. Peut-être tomberas-tu des nues quand je te répondrai que j'ai également un nouvel ami, dont labsence de "e" te confirmera qu'il s'agit bien d'un homme. Et avant que de te voir grimper aux rideaux en réclamant je ne sais quel improbable pourcentage sur hymen dont tu t'es, Deos seul sait pourquoi, déclarée propriétaire à parts égales, ne t'imagines rien de la sorte : un compagnon d'arme avec qui je partage combats, prières et veillées alcooliques, rien de plus, mais qui constitue dorénavant le seul intérêt de mes mornes journées. (Quoiqu'à ce sujet les commérages aillent bon train au sein de Veneratio Vel Nex comme tu peux l'imaginer, les soldats n'ayant finalement rien de très différent de ces commères de lavoir que l'on croise au matin à jacasser comme pies en branches.) Pas comme toi, non, ta place dans ma vie et mon cur t'étant scellées et réservées, quoi que je puisse en dire.
Je caresse néanmoins l'espoir de vous revoir tantôt, ton enfant et toi-même, j'espère bientôt mais sans pouvoir le garantir. Prenez soin de vous mes rousses.
Songeant fort à vous,
Mata
PS : Jolie ? Moi ? Sans insinuer que tu ai pu mentir, nous dirons que tu devais être saoule, ce qui est une explication sommes toutes fort cohérente. Mais rassures-toi : pour une quinzaine de royalos au tapis, je n'ai écopé que d'une vilaine plaie à l'épaule, ce qui reste donc invisible au genre humain puisque sous mes vêtements.
Re- PS : Tu m'as manqué, vieille raclure.
Re- PS : Tu sais bien que je suis increvable, voyons...
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« Le sang s'hérite et la vertu s'acquiert, et la vertu vaut par elle seule ce que le sang ne peut valoir. »
Miguel de Cervantès