Kronembourg
[ Domaine du Vicomte Artésien, squatté par Aradiia et Kronembourg ]
Trois écus en poche.
Voilà tout ce qui restait au grand barbu après avoir fait les fonds de tiroirs, fouillé les bas de laine de sa femme et éventré comme un sauvage toutes les literies du domaine du Vicomte.
Trois écus.
Moins qu'il suffit pour un morceau de pain, à peine de quoi s'enfiler trois verres en taverne, tout juste de quoi rogner un dernier épi de maïs avant la disette.
Trois écus.
Trois écus.
Dire que l'an passé, l'homme d'église se targuait à qui voulait l'entendre de posséder mille fois cette somme. Mille fois. Trois écus.
C'était alors la belle vie : Les cabarets à Montauban, les demandes de Seigneuries vénales, les propositions de dons au Duché, les Ramponneaux à en perdre sa chemise, les petits matins après l'ivresse où il se retrouvait étourdi, les poches trouées sur le pavé ... Et puis la lingerie fine, c'est qu'une épouse ça s'entretient, et ça ne s'entretient pas à coups de trois écus par jour, non, une épouse, ça vous dévore un héritage en moins de temps qu'il ne faut à un barbu pour zigouiller un renardeau sans défense à peine né dans son terrier.
Enfin, c'est ce que se disait le Kro pour déculpabiliser et ne pas admettre qu'il avait tout flambé en quelques mois.
Quoi qu'il en soit, l'heure était grave.
Un an et demi que Diia et Kro jouaient les grands seigneurs sur les bancs de l'université, l'un et l'autre étaient même devenus les Doyens de leurs voies respectives, fréquentaient du beau monde et partageaient des dîners mondains. Mais l'instruction aussi coûte cher et si aujourd'hui l'homme d'église maîtrisait parfaitement le Grec, le Latin et les Langues modernes, il n'avait plus mis un pied dans son champ depuis une éternité.
Et c'est justement en scrutant l'horizon d'un oeil morne et en apercevant son champ fraîchement coupé que lui vint soudain L'idée en or.
Il avait employé une jeune femme, la veille, une étrangère, afin de lui confier la coupe de ses épis moyennant 17 écus de salaire pour 10 kilos de muscles.
Durant l'après-midi, comme à son habitude, il était passé en coup de vent pour surveiller l'avancée du travail accompli, et il avait remarqué, au loin, que la jeune femme qu'il avait employé s'était rendue sur son champ accompagnée d'un petiot.
La femme et l'enfant semblaient certes mettre du coeur à l'ouvrage, mais le Kro avait soupçonné le petiot de ne pas avoir les dix kilos de muscles requis pour la coupe.
L'occasion de se faire rembourser les 17 écus était trop belle.
Une femme, un enfant, il suffirait de les intimider un peu pour qu'ils restituent tremblants de peur l'argent dont Kro avait besoin pour se nourrir aujourd'hui. Quand on a plus un sou en poche, on devient très regardant à la dépense.
Il fit le tour de son champ afin de noter ça et là quelques imperfections dans les coupes ( celle-ci n'était pas taillée en biseau, celle là semblait un peu piétinée, le chanfrein là-bas n'était pas assez joli, etc... ) et se décida à rédiger une lettre.
Il fallait frapper fort et sec. Demander beaucoup pour avoir peu. Sur un ton ne souffrant aucune discussion.
Trois écus en poche.
Voilà tout ce qui restait au grand barbu après avoir fait les fonds de tiroirs, fouillé les bas de laine de sa femme et éventré comme un sauvage toutes les literies du domaine du Vicomte.
Trois écus.
Moins qu'il suffit pour un morceau de pain, à peine de quoi s'enfiler trois verres en taverne, tout juste de quoi rogner un dernier épi de maïs avant la disette.
Trois écus.
Trois écus.
Dire que l'an passé, l'homme d'église se targuait à qui voulait l'entendre de posséder mille fois cette somme. Mille fois. Trois écus.
C'était alors la belle vie : Les cabarets à Montauban, les demandes de Seigneuries vénales, les propositions de dons au Duché, les Ramponneaux à en perdre sa chemise, les petits matins après l'ivresse où il se retrouvait étourdi, les poches trouées sur le pavé ... Et puis la lingerie fine, c'est qu'une épouse ça s'entretient, et ça ne s'entretient pas à coups de trois écus par jour, non, une épouse, ça vous dévore un héritage en moins de temps qu'il ne faut à un barbu pour zigouiller un renardeau sans défense à peine né dans son terrier.
Enfin, c'est ce que se disait le Kro pour déculpabiliser et ne pas admettre qu'il avait tout flambé en quelques mois.
Quoi qu'il en soit, l'heure était grave.
Un an et demi que Diia et Kro jouaient les grands seigneurs sur les bancs de l'université, l'un et l'autre étaient même devenus les Doyens de leurs voies respectives, fréquentaient du beau monde et partageaient des dîners mondains. Mais l'instruction aussi coûte cher et si aujourd'hui l'homme d'église maîtrisait parfaitement le Grec, le Latin et les Langues modernes, il n'avait plus mis un pied dans son champ depuis une éternité.
Et c'est justement en scrutant l'horizon d'un oeil morne et en apercevant son champ fraîchement coupé que lui vint soudain L'idée en or.
Il avait employé une jeune femme, la veille, une étrangère, afin de lui confier la coupe de ses épis moyennant 17 écus de salaire pour 10 kilos de muscles.
Durant l'après-midi, comme à son habitude, il était passé en coup de vent pour surveiller l'avancée du travail accompli, et il avait remarqué, au loin, que la jeune femme qu'il avait employé s'était rendue sur son champ accompagnée d'un petiot.
La femme et l'enfant semblaient certes mettre du coeur à l'ouvrage, mais le Kro avait soupçonné le petiot de ne pas avoir les dix kilos de muscles requis pour la coupe.
L'occasion de se faire rembourser les 17 écus était trop belle.
Une femme, un enfant, il suffirait de les intimider un peu pour qu'ils restituent tremblants de peur l'argent dont Kro avait besoin pour se nourrir aujourd'hui. Quand on a plus un sou en poche, on devient très regardant à la dépense.
Il fit le tour de son champ afin de noter ça et là quelques imperfections dans les coupes ( celle-ci n'était pas taillée en biseau, celle là semblait un peu piétinée, le chanfrein là-bas n'était pas assez joli, etc... ) et se décida à rédiger une lettre.
Il fallait frapper fort et sec. Demander beaucoup pour avoir peu. Sur un ton ne souffrant aucune discussion.
Citation:
Damoiselle,
Après vous avoir confié les récoltes de mon champ hier, je suis fort mécontent ce matin de retrouver un terrain ravagé par vos soins.
Passez-moi l'expression, mais vous m'avez fourni là un travail de Gascon.
Mon pire ennemi ne s'y serait pas pris autrement pour saccager mes dix prochaines récoltes et faire de moi la risée de tout le village.
Aussi, je vous demande de me restituer au plus vite les 17 écus de salaire non mérité dont vous avez été grassement payée, ainsi que l'équivalent des dix kilos de muscles dont vous m'avez arnaquée, soit cinq pièces de viande ( du boeuf de préférence ) que je vous rachèterai, il va sans dire, au prix minimum.
Je considèrerai l'incident comme clos dès lors que le remboursement sera effectué, et n'entacherai point votre réputation en faisant déplacer le Lieutenant de notre bonne cité afin qu'il puisse constater l'étendue de vos dégâts.
Réglons cela à l'amiable.
Je vous attends ce soir en taverne afin de mettre un terme à cette triste affaire.
Puisse le Très-Haut vous guider, vous et votre enfant QUE J'AI VU, sur le chemin des champs fertiles de mes voisins.
Frère Kronembourg, Sacristain de Blaye.
Damoiselle,
Après vous avoir confié les récoltes de mon champ hier, je suis fort mécontent ce matin de retrouver un terrain ravagé par vos soins.
Passez-moi l'expression, mais vous m'avez fourni là un travail de Gascon.
Mon pire ennemi ne s'y serait pas pris autrement pour saccager mes dix prochaines récoltes et faire de moi la risée de tout le village.
Aussi, je vous demande de me restituer au plus vite les 17 écus de salaire non mérité dont vous avez été grassement payée, ainsi que l'équivalent des dix kilos de muscles dont vous m'avez arnaquée, soit cinq pièces de viande ( du boeuf de préférence ) que je vous rachèterai, il va sans dire, au prix minimum.
Je considèrerai l'incident comme clos dès lors que le remboursement sera effectué, et n'entacherai point votre réputation en faisant déplacer le Lieutenant de notre bonne cité afin qu'il puisse constater l'étendue de vos dégâts.
Réglons cela à l'amiable.
Je vous attends ce soir en taverne afin de mettre un terme à cette triste affaire.
Puisse le Très-Haut vous guider, vous et votre enfant QUE J'AI VU, sur le chemin des champs fertiles de mes voisins.
Frère Kronembourg, Sacristain de Blaye.
Voilà, ça devrait suffire. Ne restait plus qu'à l'envoyer, et à attendre en croisant les doigts.
Après tout, qui ne tente rien ...