Fitzzchevalerie
[Sur le trajet, entre Aurillac et Lodève]
Le cavalier s'élançait étreignant sa jument qui galopait à perdre haleine. Il avait tant de fois lu et relu la lettre de Zherk pendant les deux heures qui précédaient son départ, que quasiment chaque mot inscrit sur le vélin lui revenait en mémoire. Cependant un mot en particulier n'avait cessé de lui marteler l'esprit, tourbillon spirituel qui le fit revenir de nombreuses années en arrière.
Il se revoyait jeune garçon âgé d'une dizaine d'année galopant dans la cour pour se rendre vers les écuries. Lui qui n'avait point d'ami dans son entourage se plaisait à passer du temps en compagnie des chevaux. Cela dit la raison de son arrivée en fanfare aux écuries ce jour là était tout autre. Une question l'obnubilait et il fallait qu'il la pose. Depuis qu'il vivait avec Baldric celui ci avant toujours répondu avec franchise à chacune de ses questions. Il savait qu'il ferait encore de même cette fois là. Baldric était dur, intransigeant, semblait posséder un cur de pierre et il le détestait pour ça, mais au moins il était franc. Jamais il ne l'avait traité comme un simple enfant. Avec Baldric il avait le droit au même traitement que n'importe quel adulte. Et encore en y réfléchissant bien Baldric, était cent fois plus exigeant avec lui qu'avec quiconque... c'est peut être d'ailleurs ce qui était si difficile à supporter. Sa mère et Baldric, les deux personnes qui étaient ou avaient été chères à son cur lui avaient volés son insouciance, sa jeunesse. L'une en le rejetant comme la peste, l'autre en voulant tenir la parole qu'il avait faite à son père. Mais pour Baldric et sa parole à tenir il l'apprendrait bien plus tard.
Essoufflé il s'était arrêté devant le vieil homme, occupé à ferrer un cheval. Puis, sans préambule, il lui avait tout simplement posé cette question: « Peut on un jour connaître le bonheur Baldric? »
Nombre d'adultes auraient sourit voir rit en entendant une telle question sortir de la bouche d'un enfant. Baldric lui n'avait même pas esquissé un sourire. Il avait cessé toute activité, s'était assis et avait ordonné à Fitzz d'en faire de même. Il avait alors soupiré avant de prendre la parole.
« Fitzz... Mon garçon, jamais tu ne devra espérer connaître ne serait ce qu'une once de bonheur!
Le bonheur n'est que chimère Fitzz, ce n'est qu'un vieux rêve inventé par certains hommes dans le but de donner un réel objectif à leur vie. Le bonheur ne vaut rien ce n'est qu'un mirage qui te détournerait du sens réel de ton existence. Et pourtant pour certain il est plus qu'essentiel...
Fitzz tu n'est pas né pour être heureux met toi bien ça dans le crâne mais tu es né pour faire en sorte que les autres soit heureux. C'est ton destin, aller à son encontre te ferait uniquement perdre un temps précieux. C'est aussi pour ça que tu ne dois pas te laisser aller à aimer, tu as un objectif et tu ne dois pas en dévier. Même involontairement les gens que tu aimes t'en détourneraient et tu ne pourrais que les rendre malheureux. Tu as une mission Fitzz, ton père toute sa vie c'est battu pour cette cause, moi aussi et maintenant c'est à toi de prendre le relais.
C'est dans ta peau, dans ton âme, dans chaque parcelle de ton corps, je le lis même dans tes yeux à cet instant. En somme tu n'as guère le choix. »
Le regard de Fitzz pénétra un peu plus dans celui de Baldric. Ce vieux fou débloquait et racontait n'importe quoi... Un peu plus et il en aurait rit, mais voyant à quel point celui ci semblait sérieux il se leva le dardant d'un regard assassin.
« Comment peux tu dire ça? Pourquoi? Pourquoi tiens tu tant que ça à me faire souffrir? Que sais tu de ce que je ferai de ma vie? Crois tu pouvoir éternellement la contrôler? Je ne suis pas qu'un pantin entre tes mains! Cesse de vouloir diriger ma vie!
Et... A cette instant le regard de Fitzz se troubla tandis que sa voix ne devenait plus qu'un murmure. Que sais tu à propos de mon père? »
Baldric l'inspecta alors de haut en bas.
« Tu es un enfant intelligent Fitzz, bien trop intelligent pour ton âge. Tu... tu as un potentiel énorme. Je refuse de te voir le gâcher par égoïsme... »
Un fer à cheval fut projeté contre un des mur de l'écurie alors que le jeune garçon s'exclamait d'une voix tonitruante:
« Je m'en contre fiche je t'ai posé des questions, réponds moi! »
« Bien... Commençons par la première, comment puis-je dire ça... Un sourire naquit sur le visage du vieil homme. Comment puis je affirmer que tu ne connaitra jamais le bonheur? C'est bien ça Fitzz? Eh bien je le dis parce que c'est l'évidence même. Toi aussi tu le sais sinon tu ne te serais pas énervé, sinon tu ne m'aurais même pas demandé si un jour tu pourrais le connaître. C'est évident!
A ta deuxième question je dirais simplement que je ne tiens pas à te faire souffrir je te prépare à la réalité, je t'aide à ouvrir les yeux sur ce que sera ta vie. Nombre de personnes vivent dans un univers presque onirique où ils se complaisent dans un bonheur qui n'a d'heureux que ce qu'ils en disent. La réalité est certes plus dure mais au moins on ne se ment pas à soi même.
Par ailleurs non, je ne compte pas éternellement contrôler ta vie, et non tu n'es pas un pantin. Tu es juste l'objet de ton propre destin Fitzz. Tu es un enfant brillant, intelligent, déterminé, passionné, responsable et altruiste. On ne va pas à l'encontre de sa nature et si tu acceptes ton destin plus tard tu pourra déplacer des montagnes. Je n'ai jamais vu autant de ressources chez une personne de ton âge et tout cela tu dois le mettre au service des autres. Si tu y arrives peut être pourras-tu t'approcher du bonheur plus que quiconque. Mais si tu fais du bonheur la quête de toute ta vie alors tu seras tiraillé et tu ne pourra jamais trouver un semblant de paix intérieur.
En ce qui concerne ton père je te dirais tout ce que je sais au moment voulu. »
L'enfant se rassit son regard plein de dédain posé sur son mentor tant ce qu'il disait était à son sens parfaitement idiot...
« Mais le bonheur est pourtant ce que nous recherchons tous que tu le veuilles ou non! En outre si le bonheur n'est que chimère il en va de même pour toute ces notions qu'à créer l'homme! Ta réalité que tu prône est elle aussi qu'une chimère, il en va de même pour ta chevalerie ainsi que tout ce sur quoi tu as construit ta vie, qui est elle aussi que chimère! Réfléchis un peu tout cela est voué à disparaître avec l'homme de toute façon! »
Baldric quant à lui demeurait calme et c'est d'un ton presque amusé qu'il reprit la parole.
« Sais tu ce qui fait les grands hommes Fitzz? Ils sont grands parce qu'ils ont compris que le bonheur, l'idéal humain n'était qu'illusion. Ils ne perdent pas leur temps dans une quête futile, ils savent qu'ils n'ont rien à perdre. Quand un homme sait cela Fitzz, alors plus rien ne le détourne de son objectif. C'est ainsi que certains hommes ont pu déplacer des montagnes. On les dit visionnaires, mais ils sont juste réalistes.
Tu ne comprends pas, tu es encore trop jeune pour cela. Certes les hommes ont besoin de croire, de rêver mais seul certains hommes sont capables de les faire rêver et de réaliser leur rêve. Tu es de ces hommes Fitzz, j'aurai pu l'être aussi mais je l'ai compris trop tard, ne fait pas cette erreur... »
L'esprit de Fitzz reprit sa place dans le présent alors que ses membres frigorifiés continuaient à mener sa monture sur les routes. Il avait fait cette erreur, il avait eu la bêtise de penser qu'il pourrait être heureux et c'était détourné de son objectif. Baldric avait encore une fois raison, non pas quand il disait qu'il était ou deviendrai un grand homme, mais en disant que la quête du bonheur était une quête futile qui ne lui apporterait que des tourments d'esprits. Il était homme à suivre un objectif précis et qu'il savait réalisable. Se battre pour que le Béarn brille, devienne grand et respecté était l'objectif qu'il s'était fixé et maintenant plus jamais il n'en démorderai et il y arriverai, il le savait.
Le bonheur quant à lui s'il est une illusion salvatrice pour beaucoup n'avait été pour lui qu'une raison l'ayant poussé à fuir ses responsabilités. Mais il se battrai éternellement pour qu'un maximum de personnes conservent cette illusion si elle peut donner un sens à leur vie. Zherk n'avait-il pas voulu mettre fin à ces jours essentiellement parce qu'il en était venu à la conclusion que le bonheur était une chimère? S'il en croyait sa lettre, c'était le cas. Aussi puisqu'y croire semblait important pour lui alors il ferait tout pour que son ami est l'illusion d'être heureux.