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[RP] Chronique d'un homicide annoncé.

Tamorin
[Gennes, Castel aux gênes immuables: appartements.]


"Le plus lâche des assassins, c'est celui qui a des remords." (Sartre)



L'obscurité de la chambrée ne laissait presque rien deviner, et c'était sûrement mieux ainsi. Les massacres... Si charmants récités, si gerbants en réalité.

A l'instant, Trystan relâchait tout juste ses doigts crispés du torse du Montmorency, le poignard tout autant qui glissa de sa main pour frapper le plancher dans un son froid de métal. Combien il était essoufflé... Il en semblait presque enroué et de sa gorge sifflante s'échappaient quelques plaintes malgré lui. Le bras mordu à sang, les pattes trempées, il commença seulement à flancher ; un tremblement le prit de la mâchoire et des bras, comme si un vent glacé s'était engouffré dans la pièce pour geler sa sueur. Mais point de vent, juste les retombées d'un fiel de hargne qui s'estompait dans ses veines, de la peur qu'il avait jusque-là maîtrisée...

Il considérait à présent le fruit de son ouvrage, les bras ballant, inconsistant. L'homme expirait, glissé le long du mur (en témoignait la large marque qu'il y avait apposée). Il n'était pas mort, non. Pour cela il ne demandait que quelques temps encore, ou quelques autres coups... Ce à quoi Trystan réagit en sortant de sa léthargie contemplative.

Une vague de panique lui grimpa l'échine.

La main du vicomte était encore mêlée dans la corde d'appel. S'il avait sonné son propre glas, qu'allait-il en être pour son assassin. Bientôt débouleraient les larbins de toute la mesnie, ils boucheraient l'issue, la porte, le couloir... Il était fait. Il était pris. Il était pétrifié.


Courage...

Avec une violence soudaine, il tira la paillasse du lit. La chaufferette qu'il avait tantôt portée tomba sur le sol, si bien qu'aussitôt il l'agrippa et plongea dedans les premières chandelles venues, arrachées au bougeoir du chevêt. Elles s'embrasèrent, diffusèrent leur lumière jaunâtre aux alentours.
Le temps pressait... Son poitrail cognait.
A la lumière nouvelle, il saisit un mouchoir brodé aux lettres du vicomte, s'approcha du dit vicomte (bien aussi blanc que son mouchoir) pour attraper sa mâchoire amollie. Que faisait-il ? De son pouce sale, il lui fourrait le tissu d'entier dans la bouche, jusqu'à la dernière maille, si bien qu'on ne pu plus en deviner la présence. L'homme mi-inconscient avait encore la force de darder sur lui des pupilles enclines à la pire des rages, mais dès lors : il ne pouvait plus proférer mot, ni mesme cracher une consonne...

Des pas se ruaient déjà dans le couloir.

Trystan s'empressa avec fièvre de rabaisser sa manche sur son bras ruisselant par la morsure, et d'abattre un coup de pied sur le couteau qui roula sous le lit. Il se jeta à genoux auprès du corps, les mains le soutenant à la teste avec une ferveur maladroite.


RESCOUSSE ! A L'AIDE !

Sa voix éraillée sonnait juste.

A MOI ! MON SEIGNEUR EST BLESSÉ !
_________________
--Pancreas



[Gennes, Castel aux gênes immuables: salle d'études.]



"Il en est des médecins comme des avocats. La seule différence c'est que l'avocat se contente de vous voler alors que le médecin vous vole et vous tue par la même occasion." [Tchekhov.]

On l'appelait généralement le "fœtus", pour ce qu'il était petit, maigrelet, malingre, égrotant, mais au demeurant fort venimeux d'œil et de langue.
Il était là, en cette salle poussiéreuse, comme il aurait pu avoir chaire en n'importe quelle Université du Royaume. Un intérêt bien placé, puisqu'en traitres mots, avait-il carte blanche pour tout, de bon aloi, du moment qu'il prodiguait cours, à la jeune génération d'y désirer s'instruire.


-Voici l'Opus Magnum, les enfants.
Il darda de son bleu regard la petite assemblée lui faisant face, laquelle pouvait observer ses mains trembler dans son émeuvement.
J'abhorre la théologie de ce traité, mais j'en prise la médecine au-dessus de tous mes bien périssables, pour ce qu'elle me parait lumineusement faire entendre la fonction de nos plus nobles organes. Écoutez donc, écoutez à doubles oreilles ce que je vais vous lire. Car c'est là en médecine l'ultime pointe et l'insurpassable cime du savoir de notre époque.
"La masse du sang traverse les poumons, reçoit dans ce passage le bienfait de l'épuration, et libre des humeurs grossières, est rappelée par l'attraction du cœur."


Et au plus arriviste des élèves de s'exclamer dans la foulée, frémissant comme feuille un jour d'Avril:
-Ha! Maistre... relisez, je vous prie, ce passage sublime, dont la lumière me dilate le cœur... je vous en conjure.
Le professeur, la voix quelque peu troublée, sans doute par le même émeuvement qu'évoqué précédemment, la même phrase que notre petit freluquet vient de transcrire la plume au bout des doigts sur du velin, phrase qu'il n'avait d'ailleurs nul besoin de lire, enfermée dans la gibecière de sa mémoire.
Ha! Maistre... d'où vient tout soudain l'éclatante clarté qui illumine l'esprit à ouïr cette phrase? D'où vient qu'on la tient aussitôt pour vraie?
-Pour ce qu'elle s'accorde, répondit-il, avec la raison que Dieu a mise en nous pour reconnaitre l'évidence. Vous n'ignorez sans doute pas ce que prétendent ces aristotéliciens, Aristote leur tenant lieu de sacré en sa parole: à savoir que le cœur étant chaud, et ayant tendance à chauffer trop, les poumons sont comme soufflets destinés à lui dépêcher de l'air froid pour le rafraichir! Absurdités extrêmes et criantes! Fallaces et tromperies! Doctissime ânerie! Prenons pour exemple cet Eté, saison caniculaire s'il en est: l'air chaud que l'on insuffle par les poumons ne saurait aucunement refroidir ce cœur!
-Oui! cria notre jeune homme, comme si enivré d'avoir bu à la coupe de ce savoir, c'est la vérité, cela se sent, c'est l'émerveillable vérité , le secret de toute vie palpite en ces phrases! Ha! Maistre... Je puis dans l'instant succomber, mon esprit percé à jour, la vérité, sans pour autant...
-Mon cher, je..

Il est coupé par des bruits de pas, des cris catastrophés, la porte qui s'ouvre en branle et un visage en sueur, apeuré et alerte qui s'en vient.
-Monsieur l'Médicastre, c't'urgent, le Vicomte... assassin..é..

Nuage de fanfreluches, de soies et autres bas s'en va illico-presto au dehors dans l'instant, sans réflechir, comme feu aux fesses, montant quatre à quatre les marches qui lui font obstacle, défonçant portes et meubles, heurtant sans s'en retourner pour autant d'incongrus serfs lui bouchant le passage.

[Gennes, Castel aux gênes immuables: appartements.]

Le Pancréas déboule au milieu d'une marée humaine, tire des bras par ici, pousse des jambes par là, s'échine à avancer dans ce fatras de chair et d'angoisse.
Le corps gît à terre, une flaque de sang peu commune lui tenant lieu de drap, deux serfs s'acharnant à colmater comme faire se peut les deux brèches en son corps, à l'aide de bouts d' tissus déjà imbibés.
Un monticule de pièces du même acabit trône déjà en fond de salle.


-Faites place!

Il s'avance, s'agenouille, cerne déjà le problème d'un rapide coup d'oeil, examine plus attentivement chaque partie du corps ensuite. Des ecchymoses, des griffures, ses mains charcutées et ses deux fissures en plein plastron.
Il observe son visage, le regard du Montmorency exprime une rage folle, qu'il n'eut cru jamais possible. Il ne semble toutefois pas pouvoir l'exprimer plus ostensiblement.

Vous m'entendez, Messire? Si.. si vous m'entendez, répondez, ou poussez un son. Quelconque.

Silence.
Trépignement visible dans les yeux du Vicomte, toutefois.
Au Pancréas d'examiner plus attentivement son visage, pendant qu'il donne ses ordres, demandant ci et là à presser telle ou telle partie, ci et là à l'éponger de son sang.
Passant ses doigts, boudineux, sur la mâchoire, il ne discerne rien qui puisse empêcher notre homme de s'exprimer, pourtant. L'os est intacte, point de trace ostentatoire si ce n'est cette balafre qui lui balaye la joue. Le souffle ne vient par ailleurs que des narines. "Etrange..."

Pressant le menton, surprise détonante que de voir une boule blanche, auréolée de pourpre, copieusement enfoncée en la cavité buccale.
Il la retire, prompt: du tissu.

-C'tait.. lui... l'enfoiré..
Il fixe ardemment un mur, place laissée vide tantôt. Sursaut de rage de Finam:
Butez-le!
-C'tait l'Trystan!
-Faites sonner le tocsin, faites allumer les feux. Que les reitres en bas s'activent, que la milice ferme les portes de la ville! Levez également le pont-levis du Castel, sait-on jamais si le drille est encore sur place... Cherchez-le, et ramenez-le moi! J'm'en vais le disséquer vivant!
Et depêchez des courriers chez nos voisins, également un à Angers. Cet homme ne doit pas s'en sortir.
Tamorin
[Cour du Château.]


Dans l'air glacé et paisible de la soirée, quelques gardes bavardaient tout en lançant les dés, postés auprès des portes du Castel, une poule à cheval sur les détails finissait de picorer la glaise, et deux garçons d'écurie prenaient le chemin de leur paillasse.
Quand brusquement...

La serrure de la porte des cuisines explosa, projetant gonds et chevilles à la ronde, tandis qu'un homme déboulait de tout son élan à l'extérieur, l'épaule au clair. Ce dernier ne prit pas le temps de se retourner pour s'enquérir de l'état de la porte, qu'il avait littéralement défoncée, et repris sa course ventre à terre.


Put'...

La poule fut la première à s'interposer. Paix à son âme. Choc terrible qui de plus ne la tua point sur le coup. Vinrent ensuite les deux garçons d'écurie, dont l'un pris le volatil caquetant en plein tibia, l'autre le coude du fugitif dans l'oeil. Attentif à nulle autre chose qu'à sa fuite, Trystan passa hors d'une volée de plumes et se rua de vitesse plus belle vers la porte, et les gardes.

...'ain !

Il ne lui restait qu'une fraction de temps avant que sa ruse soit éclaircie dans la chambre du vicomte. Peut-être même était-il déjà trop tard ; il lui semblait d'ailleurs entendre par delà les meurtrières, des voix hurler en bribe des ordres affolés. L'effet lui fut tel qu'il redoubla d'ardeur, agile comme un lièvre, les semelles de ses bottes frappant le sol à peine tant il avait d'élan.
Le temps d'un battement de pouls, il se jeta de toutes ses forces entre les gardes, la nuque à terre. Et s'envoya rouler dans une gerbe de suée et de terre sur le pont-levis. Comme assommé, il s'écrasa mollement dans les fourrés qui bordaient la rive. Il aurait pu rester ainsi inerte, car son dos en avait pris un coup sévère, et ses membres étaient si lourds que ç'aurait été bénédiction que d'abandonner l'idée de se relever. Mais ceci sans compter qu'il était tombé dans un buisson d'orties. Aussi rugit-il en se relevant d'aussitôt.

A cet instant, une cloche grave se mit à sonner, au sommet de la première tour de guet. Le tocsin. Il l'entendit comme de loin, le Trystan, cassé et fourbu, dans le bruit sourd de ses halètements. Le pont-levis se mit à trembler sous le poids d'une troupe de gardes en fureur :


- Halte ! Arrête-toi !
- Attrapez-le !
- Bordel ! Montez vos ch'vaux !
- Preste ! Chopez-le !
- Mais chef... les armures...
- GROUILLEZ-VOUS L'CUL !

Il fallu que l'on sortit les chevaux en trombe des écuries (et cela se fit d'autant moins vite que les deux garçons désignés à cette tâche furent retrouvés assommés), que les gardes se hissent et s'élancent contre un pont-levis que l'on avait déjà commencé à remonter (car on le sait, ordre avait été donné dans conteste de fermer toute issue au Castel), que l'on rabaissât le pont-levis en toute hâte après s'être expliqué en vociférant sur les serfs dévoués au maniement des rouages, que les cavaliers se ruent au dehors et se rangeassent en file, pour qu'enfin un garde puisse quérir d'une voix forte :

- Euh chef... L'est parti par où ?


Il était loin.
Il était en direction d'Angers.

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--Coccyx



[Angers, capitale angevine.]

"Tout a son endroit et son envers. La meilleure chose blesse si on la prend à contresens ; au contraire, la plus incommode accommode si elle est prise par le manche."

Une goutte perle encore sur son front lorsque le garde lui annonce qu'il peut entrer en la Grand'Salle, témoin évasif d'une course effrénée par delà la campagne angevine du bonhomme.
La mine dépenaillée, le Coccyx s'agenouilla devant la Duchesse. A n'envisager que sa charnelle enveloppe, c'était un fort bel homme, de sa corpulence très grand et très fort quoique tirant légèrement sur le gras. Quant à sa face, à le considérer d'œil à œil, elle était belle tout autant, seul le nez divergeant, busqué comme bec de faucon. Habillé d'un pourpoint cramoisi et de chausses de même couleur avec des crevés de jais, sa vêture correspondait à son apparence: tout en couleurs, beauté. Bien loin de l'ignominieuse vérité, quant au vrai fond de l'homme.
Brigand, comme beaucoup logeant aux pourtours de Gennes, il n'en avait pas pour autant le verbe fat et creux, mais un langage des plus honnêtes, et une éloquence honorable.



-Duchesse, je m'en viens de Gennes, j'ai parcouru nombre lieues, traversé collines et cours d'eau, durant toute la nuit afin de vous voir. J'en suis quelque peu harassé, mais pour l'heure, ce n'est pas ma priorité. Non, pas ma priorité. Duchesse, le Vicomte est tombé cette nuit-même, alors que le sommeil lui pesait. De ce que l'on m'en a pu dire, des heurts violents l'auraient opposé à un quelconque assassin, en sa propre chambre, avant qu'on ne débauche aide. Je ne saurais pour l'heure vous confirmer s'il est sauf.
De multiples courriers ont été dépêchés en nos terres de Cunault, Chénehutte et Tuffeaux, et aux baronnets jouxtant le Vicomté, afin d'arrêter l'importun, nos hommes brassent la campagne angevine ce jour d'huy à fortes empoignades, et la majorité des reitres qui flânaient en Gennes ont été dépêchés aux points de frontière les plus courus.
Notre guet nous oriente toutefois davantage vers la capitale, je..
Fitzounette
[Angers, le Castel]

La jeune Duchesse était installée à son bureau, pour changer. Que cette vie était bien réglée. Se lever, prier, déjeuner, travailler, rencontrer des conseillers et ambassadeurs, diner, travailler de nouveau, signer de la paperasse à n'en plus finir, souper. Travailler encore un peu. Avoir le droit parfois de s'accorder une petite promenade dans les jardins encore glacés en ce mois de Février. Et même être quelque fois être invitée à quelque soirée, mariage, et autres amusement.
Oui, une vie ennuyeuse et trop lisse, sans surprise, bien loin du prestige de la fonction et de l'image passionnante qu'elle s'en faisait.

Quand un émissaire de Gennes se fit annoncer. La Reynette haussa le sourcil. Pourquoi donc Barbichou lui faisait envoyer un de ses larbins. Il aurait pu lui envoyer un pigeon... Soit, on le fit entrer.
Le pécore se jeta à ses pieds et se mit débiter son discours d'une traite, sans même prendre le temps de respirer. Le visage poupin de l'enfante blêmit, sa bouche se tord. Mais que dit le sacripant... A t'elle bien entendu ses propos ? Blonde elle est, blonde elle reste et restera, elle le fait répéter.
Son bureau se met à tourner, petit vertige... Elle feule :


Il suffit, taisez vous... Dehors !

Elle se lève et les mains tremblantes, elle essaie de rassembler ses idées...
Gennes tombé ? Barbichou ? Cette force de la nature ? Non, c'est impossible... Impossible... Elle ne peut y croire... Elle se mit à errer un moment dans son bureau avant de demander à ce que l'on fasse revenir le sous-fifre :


Connaissons nous l'identité de l'infâme... A t'on une description ?

L'homme répondit :

L'homme s'était fait passé pour un serviteur, serviable, aimable autant que possible, et prédisposé à la tâche. Duchesse, le renard est malingre, la basse-cour n'y a vu que du feu. Je ne l'ai, pour ma part, qu'entraperçu, mais un certain Gilbert, serviteur du Vicomte lui aussi, et l'ayant côtoyé plus ardemment, m'en a fait une description quelque peu mieux fournie.
Nous avons là un coquin de taille tout ce qu'il y a de plus normale, la mienne à peu de choses près, brun, le regard des plus bilieux, le visage toutefois éraflé. Il s'accommode en effet d'une balafre le long de sa joue gauche, d'éraflures ci et là, petites saillies dans la peau, témoins de son statut quelque peu méprisable, peu recommandable. Non point plus que le mien, recommandable, certes, mais je dispose d'une belle gueule, à fortiori.
La peau tirée sur les os, son apparat maigrichon n'en est rien, affable et austère, musclé il l'est d'autant plus. L'homme est affuté, imprévisible et dangereux.
Fait pour le moins sûr et certain, le Vicomte lui aurait sévèrement écharpé l'avant-bras, la main tout du moins, la main droite. C'est tout ce que je sais, l'homme a en effet probablement changé d'accoutrement.


Elle avait continué à arpenter son bureau fébrilement et pour se passer les nerfs, se mit à hurler comme une hystérique tout en donnant des ordres étonnement précis :

Que mon prévôt soit prévenue ! Qu'on lui fasse parvenir la description de l'assassin...
Et qu'on le traque, inlassablement. Je me fiche de savoir comment, mais j'exige qu'il soit attrapé. Que tout les hommes disponibles soient lancés à la poursuite de ce bandit !
Nous lui montrerons ce qu'il advient de ceux qui osent s'attaquer à un vassal de l'Anjou.

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Tamorin
[Chemin de douane entre Saumur et Angers. Sous le soleil de midi.]


Aaahhh...! D'dieu.

Trystan retira un lambeau de peau noircit qui bordait sa blessure, la mâchoire contractée de douleur. La plaie barrait le dos de sa main, rouge et luisante, lignée des traces de gouttes qui avaient coulé puis séché le long de son bras. C'était fort laid et peu ragoûtant. Au reste, il s'était maculé de terre des pieds à la tête dans sa cavalcade, et puis les agrafes de son pourpoint étaient resté dans des branches de ronces dans la forêt. Dépenaillé, sale mais non moins brûlant de détermination, il devait avoir l'allure d'un fol, d'un fol dangereux.

L'homme qui conduisait la charrette à bord de laquelle il était assis, le regardait d'ailleurs d'un oeil proprement effaré. Il faut dire qu'il l'avait plus ou moins menacé de l'étrangler au bord du chemin s'il hésitait plus longtemps à le prendre comme passager.
L'hiver, les routes n'étaient que peu fréquentées et cette carriole de foin s'était présentée comme un miracle au détour d'un sentier, alors que le fuyard reprenait haleine le dos contre un arbre, les jambes trop faibles pour allonger un pas de plus. Ils roulaient à présent à une allure convenable vers Angers. Trystan, affalé dans la paille sur la banquette arrière et la tête renversée, laissait pendre ses bottes dans le vide au dessus des cailloux qui défilaient. En la bonne volonté de son conducteur, il n'avait nulle confiance, aussi s'efforçait-il de maintenir ses yeux ouverts entre les rayons de soleil qui lui brûlaient les paupières. A grand peine...





[Chemin de douane. A une lieue d'Angers.]


- C'sont les remparts de la ville, là bas ?
- Oui-dà, messire...
- Arreste ta mule et descends.
- Comment ! Mais, diable !... Vous...
- Paix ! Exécute, tu garderas tes biens, je n'en ai que foutre.

La lèvre tremblant de colère, le paysan tira les rênes et posa pied à terre en maugréant. Pareillement, Trystan glissa de son perchoir et se plaça face à lui. Postés ainsi au bord de la route, près de la mule qui se mit à brouter les pousses rescapées de la rude saison, ils se jaugèrent. Le fugitif dit ces mots :

Écoute bien c'dont il retourne, l'ami. Si t'as un peu d'bon sens, au jugé de ma gueule et de mon état, tu as tost faict de comprendre les enjeux. Ceci étant ! J'ai dans l'idée que tu m'as jamais vu, qu'jamais t'as ouï parler de moi et qu'de plus, t'es pas un gazier bavard auprès de la milice. Hein ? Hé hé, voilà tu opines. J'étais bien dans l'vray.
Alors voici l'entente. Tu vas r'foutre posément ton cul dessus ta chariote, et pas siffler mot jusqu'aux douanes. Si possib' tu flanches mesme point à t'retourner voir derrière toy. Aux premières ruelles de la ville, je t'abandonne avec mon salut. Honneste ?


Il lui ouvrit ses mains, dans une mimique de marchandage. Le geste aurait pu prêter à sourire, si les dites mains n'étaient pas peinturlurées de sang caillé. Le paysan déglutit, et prononça un oui faiblard.
Les deux hommes remontèrent à leur place, et l'équipée s'ébranla à nouveau, roulant en craquant des pierres vers la capitale.

Cependant, Trystan enfonça ses pieds dans la paille, et toute sa taille disparut, puis ce fut au tour de ses épaules et de sa tête. Il creusa sa tombe jusqu'au fond du transport, lent et appliqué. Enfin, recroquevillé dans le foin, le col remonté dessus sa bouche et son nez, il abandonna tout mouvement.
Piqué par les herbes, bringuebalé vers son échappatoire...

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Otissette
[ Bureau du prévôt]

Plongé dans les rapports des douaniers, le prévôt s’arrachait les cheveux en voyant le nombre de voyageurs qui se moquaient complètement des lois Angevine.

De Diou y en assez maintenant, qu’on m’appelle les douaniers, et qu’on prévienne le procureur les procès vont fuser !!

Alors qu’elle hurlait après son plus fidèle garde Bottecul, elle fût surprise par des hurlements plus fort que les siens, elle ouvrit grand les yeux en voyant le messager de la Duchesse.
A chaque fois qu’elle le voyait elle en avait des frissons, il ne venait que pour lui annoncer des mauvaises nouvelles.

Qu’est ce qui se passe cette fois-ci ?

Tiss le fixait il était entrain de baver sur le sol tout propre de son bureau, elle en eut des hauts le cœur, elle se demandait encore où la Duchesse avait put trouver cet homme là. Dans un élan de pitié elle avait certainement dû l’embaucher pour une bouchée de pain afin qu’il ne mendie pas à la sortie de la cathédrale.

Bon alors tu vas finir par me dire ce qui se passe ? C’est pas le tout mais c’est que j’ai une montagne de procès à faire moi.

Après quelques minutes il se décida enfin à lui conter le pourquoi de sa visite. Le prévôt l’écouta attentivement jusqu'à là fin de son récit.

Ah tiens on a voulu assassiner Poupette lui répondit-elle calmement. C’est bien bête ça quand même, m’enfin t’es sur qu’il est pas mort ? On a vraiment réussi à le manquer ? C’est pas possible ça devait vraiment pas être doué l’assassin…

Bon et que veux tu que j’y fasse moi ? C’est quand même pas de ma faute si Barbichou arrive à se mettre tout le royaume à dos ! Il est en vie non, pendez le vil garnement qui a attenté à sa vie et on en parle plus.

Alors qu’elle voulait sortir de son bureau, le messager de Fitz’ l’attrapa par le bras.

Nan mais z’avez pas compris Dame prévôte, il s’est enfuit … on sait pas ou il est … la Duchesse l’a dit que vous d’vez envoyer des hommes à sa recherche.

Idiot tu pouvais pas le dire plus tôt !
Dis moi de suite de qui il s’agit ?
Puis il a fait ça ou ?
Mais tu vas te dépêcher de parler bon sang.


On a qu’une vague description ma Dame.

Tiss fort énervée écouta la description qu’on lui faisait.

C’est malin, je vais aller loin avec ça, tu sais combien de balafré brun il y a en Anjou ? Dis hein tu sais ?
Elle se mit à hurler

Qu’on ferme les frontières de chaque villes, personne ne doit passer, et que tous les chariots des voyageurs soient fouillés, je veux qu’on me le retrouve et plus vite que ça. Et Bottecul tu viens avec moi on file à la douane d’Angers sont pas assez nombreux la bas pour tout faire.

[ Douane d’Angers ]

Elle n’était pas encore descendue de cheval que Tiss hurlait déjà à en réveiller les morts.

Qu’on le retrouve et qu’on le pende !

Les gardes d’Angers ne comprenaient rien à ce que le prévôt racontait et se demandaient bien qui ils devaient faire pendre.
Un garde un peu plus courageux que les autres osa prendre la parole pour demander des explications.

Dame prévôt, vous voulez qu’on pendent qui ?

Tiss lui jeta un regard noir

Bon sang ! Barbichou … quelqu’un a essayé de tuer Poupette, un grand balafré brun, je veux qu’on me le retrouve et qu’on le fasse pendre. Tiens et que quelqu’un aille prévenir le bourreau. Qu’il vienne au plus vite.

Les gardes regardaient tous bêtement Otissette ne sachant par ou commencer.

Mais vous allez vous bouger bon sang qu’on me fouille les moindres recoins d’Angers, qu’on retourne tout !!

Personne ne doit passer la douane sans être minutieusement vérifié. Et ramenez moi tous les balafrés bruns que vous trouverez.

Le regard de Tiss fût à ce moment attiré vers une charrette qui arrivait.

Puis le pécore la bas vous me le fouillez que sa chariole soit inspectée dans les moindres détails.

Plus vite que ça je vous dis.

Elle se tourna alors vers l’entrée du poste de douane ou elle aperçue une fourche qui traînait et la tendit à un garde ?

Tiens prend ça pour fouiller le chariot. Va pas lui vider tout le foin par terre non plus.

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Tamorin
[Douane d'Angers. Dans le foin d'une charrette.]



Il était écrit que Trystan se retrouverait dans les situations les plus inconfortables pour mener sa besogne à bien. Replié sur lui même dans la masse de foin où l'air lui manquait tant qu'il en était réduit à tenir la bouche contre une fente dans le bois de la charrette, il commençait à douter de sa fortune.
La salamandre, le grand vicomte de Gennes, Finam de Montmorency, mordait la poussière. Asteure, on devait éponger son sang dans de brodées étoffes, et se préparer à l'inhumer... Mais Trystan avait comme un doute. L'homme avait la panse somme toute grasse, les coups n'en avaient peut-être entaillé que la couenne... Baste ! Même une parfaite force de la nature aurait toutes ses peines à se relever de deux entailles si généreuses. Un malingre sourire se profila dans l'ombre.

Assez rudement, la carriole s'arrêta.


Pressons...

L'assassin cessa de respirer, les yeux fermés dans l'obscurité étouffante de sa cachette. Il attendit, l'oreille dressée aux bruits qui lui parvenaient, derrière son mur de paille sèche. Des pas. Quelques voix, dont celle de son conducteur... Encore des pas. Un outil pesant qu'on laisse traîner sur le sol. Voix. Ordres. Le conducteur semble inquiet...

Ca sent mauvais.

Soudain une trouée s'ouvre en vrombissant dans la tanière. Trois dents de fourche filent sur l'homme qui se croyait en sécurité. Se plantent. Dans le bois...! à un pouce de son bras laissé là.
Trystan, agité d'un sursaut de frayeur, tente plus avant de reculer dans la masse. Mais la fourche à l'affût se relance, perce une deuxième déchirure, et vient le taquiner de près, évitant son front d'un cheveux. Pétrifié, l'homme n'a plus le temps de réfléchir, ni même pour songer à prier. Il voit l'arme attaquer derechef, à l'aveugle.
Et l'aveugle qui touche juste, l'érafle sur toute l'épaule.
Un cri de souffrance y répond. Déjà échappé, déjà trahit.


- Y'a un gars là d'dans !

A peine le temps de reprendre ses esprits, que le fuyard se vit éblouir de toute la lumière du jour, sa couverture lui étant retirée par poignées qui voletèrent alentour. Il sentit qu'on le soulevait par les deux épaules et qu'on le traînait à terre en lui appuyant la tête.

Dès que ses pieds touchèrent le sol, il se débattit comme un beau diable, s'arracha le bras de l'emprise du garde qui l'avait saisit. Une foulée désespérée lui donna l'impulsion de s'élancer dans la direction opposée, sitôt barrée par deux autres hommes qui le frappèrent de plein fouet en lui confisquant toute fuite. Empoigné de plus belle, par d'autant de mains qu'il en était de réunies, luttant sans toutefois produire un mouvement, il n'eut plus que la langue de libre pour hurler :


Lâchez-moi ! PUDIEU ! GNaah ! J'ai rien fait ! Lâchez-MOI !
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Occitane


[ castel d’Angers ]


Dans son bureau depuis l’aube, le bailli annote des dossiers . La plume à la main , elle inscrit sur un parchemin le nom de tous les hauts fonctionnaires qu’elle a embauchés ; une étroite ouverture laisse entrer la lumière mais aussi les bruits de l’extérieur : grincements de roues de charrette ,hennissements un peu étouffés des chevaux …cris et même parfois jurons d’un quelconque soldat ou autre ; cela ne gêne en rien la tâche d’ Occitane qui demeure penchée sur son dossier .
Soudain le bruit s’amplifie ,paroles vives qui éclatent comme claquements de fouets ;brouhaha d’une foule que l’on devine agitée ,chevaux qui piaffent d’impatience …
Occitane lève le nez de son parchemin .
Elle s’approche afin de voir de quoi il retourne : un attroupement autour d’une charrette de foin ,et un homme qui soudain clame son innocence semblent être à l’origine des clameurs qu’elle vient d’entendre .
Elle distingue mal ses traits de sa place ,et il lui est impossible de passer sa tête par la mince fenêtre ; intriguée ,elle ouvre la porte de son bureau pour descendre lorsqu’un soldat manque de la bousculer ; à peine le temps de reculer d’un pas qu’un deuxième jaillit :
« place , place , parait que le juge Finam a été assassiné… »
Tout en courant il rajuste son épée tant bien que mal et sa respiration accélérée évoque le bruit d’un soufflet de forge .
Occitane en l’entendant parler pâlit .
« le juge …assassiné où cela ? Quand …. Et qui a osé …»
Les questions se bousculent dans sa tête et c’est pour avoir des réponses qu’elle décide de se rapprocher de ladite charrette .

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Angevine et Fléchoise
Ex porte parole , ex bailli du Duché.
Otissette
[ Douane d’Angers ]

Le prévôt s’était chargé de quelques personnes se présentant aux douanes, laissant à ses maréchaux le soin de vérifier les charrettes de ceux-ci. Alors qu’elle vérifiait une énième personne, Elle entendit hurler au loin.

- Y'a un gars là d'dans !

Laissant tomber les papiers qu’elle avait dans la main elle se précipita vers la charrette en criant.

Ne le laisser surtout pas s’échapper, s’il se cache c’est qu’il a quelque chose à se reprocher.


Hors d’haleine elle arriva près du chariot, elle aperçue vaguement un homme se débattre parmi la horde de garde qui se jetait sur lui.

Bottecul qui avait participer à la fouille de la charrette se faufila hors de la foule de garde qui immobilisait l’homme et se tourna vers Otissette

Il est brun Dame et la balafre il l’a aussi, possible que se soit le bon. Qu’est ce qu’on en fait Dame prévôt.

Otissette qui n’avait toujours pas vu l’homme se demandait comme elle pouvait être sur qu’il s’agisse bien de la personne qui avait attaqué Finam.

Est-ce que le Vicomte est en état de venir identifier l’homme ? Est-ce qu’au moins il peut l’identifier ?

Au même moment l’homme fut immobilisé par les gardes, et Tiss le vit enfin. Elle le reconnu au premier regard. Elle ne pouvait pas y croire, non impossible ça ne pouvait pas être lui.

Doucement Otissette s’avança vers l’homme, elle le regardait ne sachant que faire. Elle était là dépitée cherchant quoi dire quoi faire. Puis dans un élan de colère leva son bras et de toutes ses forces gifla l’homme.

Le regardant droit dans les yeux elle se mit à hurler

Dis moi que c’est pas toi ?
Dis moi que tu n’as pas fais ça ?
Non c’est pas possible c’est pas toi qui a essayé de tuer Barbichou ?


Elle le fusillait du regard.

Plantée la au milieu des gardes elle aperçue Occitane dans la foule, elle lui lança un regard suppliant de la rejoindre, elle avait besoin d’elle, elle ne pouvait plus réfléchir ne savait plus ce qu’elle devait faire.

Se tournant à nouveau vers le suspect elle espérait une réponse de sa part. Elle attendait qu’il parle qu’il se défende qu’il lui dise que ce n’était pas lui qui avait fait ça. Mais au fond d’elle, elle se doutait … elle savait qu’il en était capable. Elle se rappela du passé … du jour ou lors d’un duel il n’avait pas hésité à tuer son frère.

Pour le moment elle attendait une réponse de sa part qui tardait à venir ne le lâchant pas une seconde du regard elle donna ses instructions a Bottecul.

Mettez le en geôle, faites le parler… nous devons être certain que c’est bien lui.


Les gardes l’emmenaient et le prévôt restait planté là attendant toujours et encore qu’il lui dise que ce n’était pas lui
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Occitane
La lumière plus vive surprend Occi lorsqu'elle se retrouve dans la cour .
Les gardes maintiennent solidement l'homme qu'elle avait aperçu de sa fenêtre et elle s'approche pour voir enfin de qui il s'agit ...les paroles du soldat qu'elle a croisé résonnent encore dans sa tête ...se pourrait-il qu'il y eut un lien entre les deux ? l'assassinat dont il parlait et cet homme là ...
Non pas qu'Occi et Finam ne s'entendent particulièrement bien , d'ailleurs leurs points de vue divergent sur bien des sujets et les façons parfois brutales et autoritaires du juge hérissent souvent la jeune femme mais elle sait cependant reconnaitre la qualité de son travail ; et plus encore que cela l'idée que quelqu'un ait osé s'en prendre au juge ,éminent symbole de la justice du Duché lui procure un frisson d'effroi .
Elle avise soudain Tiss qui prise de rage vient de gifler celui qui criait son innocence quelques instants plus tôt .
Elle fait quelques pas ...elle connait cet homme elle l'a vu en taverne à Angers il y a quelques jours...impossible d'oublier cette cicatrice qui marque comme une sinistre signature sa joue gauche ...son nom lui échappe cependant ...
Elle croise le regard un peu perdu de Tiss qui semble décontenancée et s'avance encore un peu :

" Tiss ,que se passe t'il ? Quelle histoire vient-on de me conter ? Finam est blessé ? Et qui est cet homme là ? ? "
C'est volontairement qu'elle parle de blessure plutôt que d'assassinat : inutile d'affoler les esprits prématurément ...déjà la cour semble devenue plus petite avec la foule grandissante de curieux attirés par les cris ...sans parler du regard perdu de Tiss .
"Tiss ? "
Elle pose lune main rassurante sur le bras de son amie .
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Angevine et Fléchoise
Ex porte parole , ex bailli du Duché.
Chabinne
Tavernière !
Une chope et que ça saute !


La brune se faufile entre les tables d’hommes aux dents jaunies et répugnantes. Des affreux gueux qui s’éclatent la panse, le rire gras et les gestes oppressants. Un groupe de misérables qui passe la journée à Angers pour le plus grand désespoir de la tavernière. Le jupon qu’elle a tenté sans grand succès de rallonger et le bustier jamais aussi bien lacé.
Elle aime pas trop ce genre de gaillards, bourrés et aux idées loin d’être vertueuses. Pourtant, l’en connaissait quelques uns qui se révélaient même être des amis. Le plateau de chopes déposé sur la tablée bancale, et elle s’en retourne à son comptoir. Une main atterrit sur son fessier et la brune se retourne, claquant la joue du saligot. La chaise bascule au sol, l'homme se lève fulminant de rage déversant sa colère en insultes, atteint dans sa fierté. Elle recule en l'ignorant, un rictus de dégoût au coin des lèvres lorsqu'elle ne lui fait plus face. Parfois le boulot de tavernière est loin d’être plaisant.
Un cri provenant de la rue, une agitation naissante, il semblait se passer quelque chose et la Chab’ profite de ce prétexte pour se glisser au dehors, sous le ciel nuageux, sans un regard à la table des goujats.
Commère direz vous ? Ben ouais comme toutes les femmes, les potins elle adore ça.
Elle s'insinue parmi les autres badauds venus satisfaire eux aussi leur curiosité malsaine.

Sur la place d’Angers, une charrette entourée d’un sacré nombre de gardes, pis plus loin cet homme qui se fait rosser, atterrissant au sol comme un moins que rien.

Lâchez-moi ! PUDIEU ! GNaah ! J'ai rien fait ! Lâchez-MOI !

Cette voix, cette expression.
Froncement de sourcils soucieux, la brune tente de se rapprocher jouant des coudes. C'est que la ruelle regorge à présent de curieux. V’là qu’on le redresse devant la prévôte. Silence puis un claquement sourd, une gifle part, les murmures reprennent bon train.
Elle l'aperçoit enfin, se rapproche au tout devant de la scène, un garde la poussant. La voix de Tiss se fait sèche et ferme, énervée qu’elle est.

Mettez les en geôle, faites le parler… nous devons être certain que c’est bien lui.

Elle comprend plus rien la brune, pourquoi fait elle ça. Son regard croise celui qui aurait pu la prendre pour sa sœur. Ou des conneries de quand ils étaient encore bourrés.
Intervenir ? Elle finirait le minois raclant le pavé avant d’avoir prononcer le moindre mot. Dans quel merdier il s’était fourré encore pour avoir la prévôté à ses trousses et qui plus est à sa tête une Tiss déçue.
Sûrement un truc grave, très grave, pis vu sa balafre sur la joue et ses mains rouges.

Didiou
S’passe quoi ?


La brune se penche vers son voisin, les autres s’en mêlent, ça se regroupe, ça parle d’un barbu, puis d’un cochon, un pervers en manque. Y’avait de tout et en rien ça la rassurait.
Grimace sur son visage, elle le regarde se faire traîné, immobile mais pas impassible.

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Tamorin
[Portes d'Angers. Arrestation.]


La foule n'avait pas tardé à s'amasser autour de la scène. Les gardes s'astreignaient à écarter les badauds pour mener le prisonnier jusqu'aux geôles du château. Ferré comme une bête de somme, l'homme fut chargé sans grandes manières à plat ventre sur la selle d'un cheval, la tête et les bottes pendant de part et d'autre. Et pour calmer ses vigueurs, un bon coup de heaume lui avait été asséné à la nuque. Quoi ! Sans cela, il aurait été bien capable de se jeter à terre pendant la cavalcade... Et la garnison avait d'autres chats à fouetter que de courir après un gibier si forcené que l'était ce folingue.

Cette bête-là avait tant beuglé son innocence que toute la ville devait en être au fait. Il s'était si bien débattu lorsqu'il fut question de lui passer les fers, qu'il avait fallu s'y prendre à cinq reprises, le criblant sans parvenir à l'affaiblir. Seul le prévôt était parvenu à lui clouer le bec, d'une gifle bien pensée. Le drôle était resté complètement hagard en fixant la vicomtesse, muet et à bout de souffle. La honte sûrement s'était emparée de lui, c'est du moins ce qu'on avait pu lire à travers son expression, à cheval avec l'appeurement et la supplique, tandis que les hommes d'armes l'embarquaient.

Sur le trajet qui les mena à l'entrée des cachots il n'y eut plus d'histoires, comme on l'avait proprement assommé. Les soldats s'en félicitèrent, raillèrent son compte avec les gardes-chiourmes qui les virent arriver, et soulevèrent le prisonnier jusque dans une cellule vide où ils le laissèrent s'écrouler.
Deux tours de clef, un coup de balai, et le geôlier pu se rasseoir à sa table, pour balayer les épluchures du déjeuner par quelques pichenettes, puis mander du parchemin vierge.



Le geôlier a écrit:

    Noble et Vénérée Duchesse Fitzounette de Dénéré Penthièvre,

    L'assassin du juge Finam de Montmorency est asteure reclu en les geôles du duché. Comme décrit, brun, balafré, et arborant une morsure dessus la main. Aussi n'a-t'il pas encor avoué ses méfaits. Nous attendons vos ordres pour le faire passer aux aveux de par l'expertise de nostre bourreau, le Bon Clement, pour s'assurer de ses forfaits. A moins qu'un témoin du crime se présentât pour reconnaître l'impie, bien que le dénicher gage de n'estre pas sans longueurs et risques de maldonne...

    A vostre bon vouloir,
    Mes salutations respectueuses, distinguées et fort soumises,

    Le Geôlier d'Angers.


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Fitzounette
[Castel d'Angers.]

Elle avait longtemps tenté de se concentrer. Elle avait bien d'autres choses à penser. Mais de longs frissons la secouaient en permanence, à intervalles réguliers. L'enfante était bien plus sensible qu'il n'y paraissait. Et derrière cette belle assurance, se dissimulait une môme blessée ; trop, beaucoup trop d’Angevins tombés…

Si seulement on pouvait la rassurer. Si seulement on pouvait lui donner des nouvelles de l'état de santé de son Juge, de son ami, du bourru barbu qu'elle connaissait depuis toujours. Elle le revoyait au plus profond de ses souvenirs d'enfance. Pour elle, il n'avait jamais changé.
Une montagne, un roc inaltérable. Une figure immuable.

Son instinct se refusait à parler. Elle n'avait pas la moindre certitude, pas le moindre pressentiment quant à l'issue de ce funeste évènement...
Tout ceci lui laissait un goût amer dans la bouche. Elle était responsable de la sécurité de ses vassaux. Elle avait failli, un d'eux était tombé.
Comment avait t'elle pu échouer à ce point et laisser sa terre aux mains de tels faquins, de vilains de la pire espèce ?

Et le temps s'égrenait lentement et inlassablement, sans qu'aucune nouvelle ne lui parvienne. De rage, elle avait fini par retourner son bureau pour se calmer les nerfs. Elle avait hurlé contre sa domesticité aussi, faisant caprice sur caprice, se contredisant sans cesse juste pour le plaisir de les malmener.

Enfin, le billet. Un rictus mauvais lui déforma les traits. Ils l'avaient arrêté ! Il allait payer...


Ainsi donc, il n’a pas encore parlé, l’infâme résidu de fosse à purin…
Qu’on le soumette à la question. Et que l’on fasse savoir au bourreau que la Duchesse lui ordonne de mener son office avec le plus grand soin. Qu’il soit méticuleux, qu’il frappe juste et avec zèle. Et qu’il prie avec ferveur pour le salut de l'âme du damné.
Que ce dernier avoue son forfait. Car telle est notre volonté.

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Tamorin
[Une cellule dans les geôles du Castel.]


La nuit tomba sur Angers. Il fut convenu que le bourreau se déplacerait le lendemain et Trystan, le front collé aux barreaux, perçut cette nouvelle chuchotée entre le geôlier et le messager de la duchesse. Le prisonnier n'avait pas tardé à reprendre connaissance, malgré un mal de crâne solide qui l'étreignait. Avachi, les yeux rivés à l'extérieur de sa cellule, il semblait attendre quelque chose, une venue, un message délivré, un quelconque miracle qui ne pouvait manquer d'arriver... Il était impossible qu'on le laissât là, des ordres allaient être donnés tantôt de le relâcher... Ce n'était plus qu'une question de temps...

Machinalement, il frotta du pouces les fers grossiers qu'on avait pas pris la peine de lui retirer. L'incommode était qu'il ne pouvait se coucher dessus le dos, sous peine de se meurtrir. Aussi restait il adossé contre le mur de la piètre cellule, tentant de se brouiller l'esprit par des espoirs qu'il se cachait être vains.

Las d'égrainer les secondes, il laissa aller sa tête en arrière et héla son geôlier d'une voix traînante :


Holà ! J'ai une lettre à dicter. Accours, mon brave.

Un rire gras lui répondit.

Cent écus pour toi, si tu écris mes mots ! Prestement.

Le rire s'épaissit. Une chaise grinça, le geôlier devait se balancer dessus.

Deux cents. Deux cents lourdiront tes poches, le gueux. 'Tention, gros tas, mon offre s'arreste là...

Ferme-la, la raclure. Tu es drôle mais si tu la boucles pas, je vais être dans l'obligation de te bâillonner. Et crois moi je préfèrerais bien te briser la mâchoire, mais comme tu dois encore parler...

Le prisonnier haussa les sourcils dans une mimique blasée, réduit au silence. Derrière un air narquois et serein, il dissimulait bien son courroux. Ce nain pansu qu'était son gardien, il en aurait fait trois tranches en deux bottes s'il avait son épée, s'il n'avait poings liés... S'il était seulement de l'autre côté de cette rangée de barreaux.

Il devait écrire une missive.
L'urgence n'était pas mince.
Prévenir son maistre, son commanditaire, l'ordonnateur de cette mauvaise besogne qui tournait au calvaire... Le seigneur de Couesme était puissant, assez pour s'offrir le luxe de faire assassiner un adverse au nez et à la barbe de la justice ; il saurait bien le tirer de ce faux-pas. Mais Tithieu l'avait banni, et c'est pour gagner son rachat que le larron avait accepté la tuerie... A quel prix lui avait-il offert de regagner ses bienfaits ! Egorger un seigneur pour se racquitter auprès d'un autre. Brissac lèverait-il le petit doigt pour son escuyer, mouillé de toute pièce dans la trame d'un assassinat boiteusement exécuté.

Trystan rabattit lentement sa tête contre ses genoux. Le poids de ses conclusions pesait comme trop, lui arracha une plainte de hargne. Il avait été abusé... Le Penthièvre n'attendait pas qu'il revienne à Couesme, seulement qu'il le décharge d'un ennemi, et au diable si l'assassin crevait à l'oeuvre. Son maistre avait mis à profit sa crédulité et son désespoir. Et lui, s'était jeté avec ferveur vers sa perdition.

Il cracha une salive amère. Lourd, éreinté par le manque de sommeil et le jeûne, il s'amollit tout en laissant s'écharper les pensées sombres qui l'étreignaient. Et assez vite, la lumière esseulée que diffusait la lampe du geôlier, comme un phare lointain, sombra dans l'obscurité.

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