[ Angers, créneau numéro 14 en partant de la grande poudrière ducale ]
- Une exécution ? En place publique ?
- Oui messire.
- Qui en sera victime ?
- Un certain sieur Tamorin. La missive parle d'un assassinat odieux et...
- Qui ?
- Le vicomte de Gennes messire.
Un ange passa avec une tête de Poitevin confite entre les mains. Finam vraiment ? Il en avait raté des choses alors.
- Gennes n'était pas couard, mais il n'était pas désarmé. Ainsi donc, il est mort ? Ce Tamorin doit être bien habile de ses mains.
- Sire, c'est un spadassin, un ignoble assassin ! On murmure qu'il a tué de nombreuses bonnes gens. Et maintenant le baron ! Ne mérite t-il pas une mort lente et ignominieuse !
- Un assassin oui. Mais ce genre d'individus ne travaille pas seul, en général. As t-on identifié le commanditaire ?
- Eh bien... en fait, non sire.
Le baron cracha sur le rempart. Par mimétisme, les ragondins en firent de même, avant de se replier discrètement, devant l'air courroucé de leur maître.
- Un assassin et pas de commanditaire. Qu'est-ce donc que cette justice ? Est-ce là l'oeuvre d'un procureur poitevine? L' as t-on au moins interrogé ?
- Oui messire, et douloureusement selon ce que l'on m'en a dit.
- Et ils n'ont pas eu d'aveu ?
- Pourquoi faire messire ? Le vicomte de Gennes était un spinoziste de la pire espèce. Un greffier de mes cousins m'a dit que cela leur était bien égal, et que ça ne faisait qu'un hérétique de moins. Que chercher de plus ?
Un coup de poing soudain vint s'abattre sur le messager. Un jet de sang jaillit de la machoire visée et souilla le créneau, tandis que Gerfried explosait.
- On a tué un vicomte ! Un membre haut placé de la noblesse angevine ! Et un conseiller en exercice, détenteur d'un haut officie ducal ! Et c'est tout ?
- 'Sire, je n'en sais pas plus...
- Et qui nous dit que le commanditaire ne recommencera pas ? Qui nous dit que d'autres ne sont pas menacés ? A t-on au moins renforcé la protection de la duchesse ?
- Je... je ne sais messire.
De rage contenue, le baron se leva et commenca à faire les cent pas. Un grand nombre d'idées plus ou moins tordues lui venaient désormais à l'esprit. Et certaines avaient de bonnes chances de l'inquiéter plus qu'à l'ordinaire. Une cérémonie publique... Une foule en délire. Des conseillers sans doute présents. Qui sait ce qui en ressortirait ?
- On ne peut pas laisser faire cela.
- Comment cela messire ? Allez-vous empêcher cette exécution ? Vous mettre en travers de la justice angevine ?
- Eh bien... ça m'a traversé l'esprit en effet. L'interrogatoire de cet individu a de toute évidence été expédié. On cherche sans doute à couvrir quelqu'un. Mais qui et pourquoi ? Si l'Eglise angevine n'était pas si désargentée, j'aurais misé sur l'évêque. Mais
Gennes avait trop d'ennemis pour tous les étudier, et nous manquons de temps. Hum... et puis, c'est encore un coup à avoir des problèmes pour pas grand chose.
- Cela étant messire, vous êtes membre de l'Ordre de l'Hospital...
- Et ?
- Peut-être pourriez-vous demander la clémence...
- La clémence ?
- C'est un assassin. Mais il a tué un hérétique. Ne devrait-il pas être récompensé plutôt qu'exécuté ? D'un point de vue théologique, il est désormais destiné au Paradis.
- Continue.
- Demandez la clémence de la duchesse. Qu'il ne soit pas exécuté. Libéré serait trop fort. Mais une peine de réclusion à vie, dans un monastère quelconque...
- Et nous pourrions l'interroger à loisir sur les raison de son geste... Oui. Oui. Mais je connais assez la duchesse pour savoir qu'elle n'y sera pas vraiment favorable. Nous devrions prévoir toutes les éventualités.
- Doit-je rappeler les Brandebourgeois ? Au cas où ?
- Fais le. Moi, je vais tâcher de sauver ce Tamorin... dans les règles.
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