Je ne peux m'empêcher d'admirer la fatuité d'un tel esprit qui peut imaginer qu'un homme qui n'a pas perdu le sens depuis plus de cinq ans se serait chargé de vendre au plus bas niveau la chair de sa Mère patrie, un jour soudain. Les querelles de Ducs et Duchesses si funestes à l'angevin sont mes préférées: elles lèvent le voile sur les quelques têtes qui entravent depuis toujours la montée en puissance du régime ducal à défaut de servir leurs intérêts. Aujourd'hui, la clairvoyance est attaquée avec force par une titrée, force mise dans un jour propre à dévoiler l'absurdité personnifiée. Les angevins, tout éclairés qu'ils sont ces derniers mois, sont les esclaves des trente-six mois d'ignorance et d'avilissement qui les ont précédés. Voici la Beaufort, la science infuse. Voici la Beaufort, qui critique fort.
Le peuple n'est point foulé, et le Duché n'est point volé, Beaufort! On n'a jamais vu de curs immenses élevés par le peuple à ses dépens, mais aux dépens d'une certaine noblesse: assurément. Car c'est toi qui foule le Duché, et vole le peuple, Beaufort! C'est un abus difficile à déraciner mais qui prouve seulement qu'il y a des gens lâches qui aiment mieux demander l'aumône que de gagner leur vie. Et c'est respecter un bon projet que de le contredire; les autres ne méritent pas cet honneur. Louer Craon, c'est une preuve qu'en Anjou on peut être intelligents, et non point seulement Beauforts. Pour ça, je t'en suis gré.
L'Anjou perd depuis plusieurs années cette multitude de petites dignités bourgeoises et d'emplois subalternes sans onction, qu'on voit sortir de sous terre dans d'autres Duchés, dans ses villes du Nord, et le sent passer à chaque conflit. Nos villes sont mornes, nos villes sont ternes. On ne voit que cet amas de gros bourgeois inutiles, couronnés ou non, qui vivent dans l'oisiveté et qui n'ont autre chose à faire que dépenser à leurs plaisirs les revenus de ces charges frivoles que leurs pères ont acquises en délaissant le peuple, tout en se permettant des droits de regard sur la direction du Duché.
Chaque citoyen vit ici ou du revenu de sa terre ou du fruit de son échoppe ou des appointements qu'il reçoit du Duché, tant bien que mal par une gestion désastreuse des politiques locales. Le gouvernement n'est point clabaudé, et le peuple ne tombera point dans cet avilissement aussi ruineux que ridicule, parce que le gouvernement travaille à ses intérêts propres et l'affiche. Interdire à un Duc d'Anjou, tout au moins le lester, qui se conduirait ainsi sur ses terres, lui ôter la juste administration de son bien parce qu'il revient justement sur tes bêtises antérieures, entre autres Beaufort, c'est de l'hypocrisie formelle ou de la bêtise crasse.
"On frémit quand on envisage ce long amas d'impostures dont le tissu a formé enfin la tiare qui a opprimé tant de projets". On ne peut faire un pas dans notre Histoire sans y trouver traces de cette passivité avec laquelle l'Anjou se laissa malmener par des sots de ton espèce, Beaufort, qui daigne à peine employer la vraisemblance pour le tromper, le peuple, aujourd'hui!
Nous autres angevins de cur et de foi, il le faut avouer, nous sommes revenus bien tard dans la politique ducale, héritiers des premières années angevines, des Tydual, Meroot, Beucheumeu, Liquidsnake, et j'en passe. Si bien que ces gros tas enfarinés se sont habitués à leur confort, à diriger sans s'investir et investir dans cette Anjou qui périclite. Nos choix nous opposent à l'introduction des vérités qui font le déclin angevin. Or réorienter la façon de voir en Anjou, proposer quelque chose d'utile aux angevins, c'est une recette sûre pour être soulevé et pointé du doigt par des gens de peu d'intérêt comme la Beaufort. Comme je le dis souvent, je ne suis pas là pour être aimé, mais pour être efficace.
L'Anjou pourrait être plus puissante que le Domaine Royal en son entièreté. La dépopulation de l'Anjou et la faiblesse où ce Duché a langui longtemps, tout en étant capable de mettre le Royaume en branle tout en restant debout, sont les témoins de cette puissance sous-exploitée. Si vous aviez voulu considérer que le peuple a été le ciment de la puissance de Tydual, nous aurions pu faire tellement de choses profitables au peuple et à l'entité ducale ces dernières années, et non nous cantonner au traité d'Angers. Au lieu de quoi, le pouvoir ducal était anéanti parce que Ducs et Duchesses ont été malheureux ou faibles.
Mais que l'on voie comme ce Duché a repris tout d'un coup une nouvelle vie depuis le dernier règne de Fitzounette, que l'on jette les yeux sur le Domaine Royal et les Duchés et Comtés pro-Paris, théâtres des déstabilisations des derniers gouvernement, ce avec l'appui populaire: il faudra bien convenir alors que les peuples sont ce que les Ducs ou les Duchesses les font être.
Le courage, la force, l'économie, tous les talents restent ensevelis jusqu'à ce qu'il paraisse une force politique qui les ressuscite.
Garde-t-on avec tant de soin le principe de sa ruine quand on a eu deux ans et demi pour faire ses réflexions?
Ne pouvant pas avoir la gloire de donner l'exemple, ayons au moins celle d'enchérir sur les exemples qu'on nous donne.
Il est temps que ceux qui sont à la tête de la plus turbulente province de France, voire d'Europe, la rendent à l'image qu'ils se donnent. Je ne demande autre chose sinon qu'on veuille avec fermeté. La bassesse des idées, la crainte encore plus basse d'une dépense nécessaire, viennent combattre ces projets de grandeur que chaque bon citoyen a faits cent fois en lui même. On se décourage quand on songe à ce qu'il en coutera pour élever l'Anjou. Moi, je me décourage quand je songe à ce qu'il en coutera pour l'enfoncer. Croupissez dans votre molle nonchalance, jouissez en paix des pouvoirs que vous possédez, et restez privés de ceux qui vous manquent. Bien loin que certains y perdent, comme ta famille, le peuple lui y gagnera dans ces réformes.
Car s'il n'y a qu'un homme qui ait le front de dire dans quel malaise nous nous trouvons, et dans quel malaise nous nous trouverons dans quelques mois, alors je serais celui-ci: l'Anjou sera au fond du trou, une bêche dans la gueule.
Il y a de très grandes âmes parmi ceux qu'on soupçonne de n'avoir que des âmes intéressées, et le gouvernement peut exciter l émulation de ceux qui comprendront la nécessité de dynamiser
les villes angevines. Il faut vouloir, pour pouvoir.
Je ne peux m'empêcher d'admirer la fatuité d'un tel esprit qui peut imaginer son piédestal assez haut au point de pouvoir bafouer les lois ducales. Il me semble toutefois, toute prévention à part, qu'il y a beaucoup à profiter dans les paroles de la Beaufort, car je veux croire pour l'amour du peuple angevin que ces sornettes pourront dans des temps difficiles servir de conseils aux générations futures, comme l'Histoire est la leçon des Roys. "La portion la plus utile du [Duché], le peuple, celui qui vous nourrit, crie du sein de la misère à ses protecteurs. Vous connaissez les vexations qui lui arrachent si souvent le pain? Nous préparons pour ses oppresseurs mêmes la rapacité des préposés à ses malheurs. ".
Ton petit cercle prédicateur se permet de juger les réformes qui permettraient à l'Anjou de s'affirmer, et règlent ce qui sont originellement vos propres responsabilités. Si ton petit pouvoir s'effiloche pour que l'Anjou grandisse et s'extirpe de cette brume gouvernementale, je n'en ai strictement rien à cirer: nous te piétinerons.
Quand on foule les intérêts personnels d'une personne ou d'un groupe de personnes, la haine et la précipitation prennent rapidement le pas sur la compassion et la réflexion: or il s'avère que de tous temps la juste clairvoyance des masses populaires étreint bien plus facilement ce genre de comportements.
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"Aristote aurait pu devenir un saint, le patron de tous ces Romains qui ne cessent de trahir.."