Jusoor, incarné par Shaka
Les marches qui libérèrent la Moineaute du Chateau des Ducs étaient restées traitresses bien que la bise ait soufflé. Elle avait espéré que depuis que le Duc l'avait raccompagnée de leur promenade une vingtaine de minutes plus tôt, la bise ou à défaut, une bonne âme, aurait dégagé ces feuilles glissantes. Fol espoir...
C'est donc d'un pas peu assuré et hésitant entre les endroits les plus propices pour y poser le talon de ses bottes, que Ju descendit l'escalier, une main cramponnée sur le garde-corps, l'autre qui resserait son fils sur sa poitrine. Eviter de tomber, de le blesser ou encore qu'il frémisse sous la froideur qui contrastait de la tiédeur où la nourrice l'avait bercé. Mille raisons possibles pour un seul geste maternel.
Le crépuscule était entamé, l'heure était venue où le jour se voyait chassé, tout autant que les graviers de l'allée sous les bottes de Jusoor. Arrivée aux grilles elle salua de la tête les gardes qui étaient devenus familiers, répondant au sourire de l'un et à l'inquiétude à peine masquée de l'autre :
Non Antoine, comme tu le vois, pas de coche ce jour... Mais nul souci, l'auberge n'est pas loin et l'air frais est réputé revigorant.
Sans attendre plus elle s'éloigna, remontant tout de même un coin de la couverture qui laissait paraître la peau blanche et vierge de son fils. La question d'un éventuel cheval à monter pour rentrer ne fut pas même émise, il était de notoriété que la Moineaute n'aimait guère ces bêtes là.
Quoique le soleil fut bientôt couché, Ju n'hésita pas à emprunter le chemin qui passait dans les bois pour rejoindre l'auberge. C'était peut-être un chemin inquiétant, obscur sans doute mais il était aussi le plus court et il se faisait tard. Les ombres n'y existaient déja plus tant l'obscurité était regnante. Le tout jeune garçon dans ses bras dégageait une douce chaleur sur son sein, chaleur dans laquelle il était bercé à chaque pas de sa mère.
Ju pensait déja à la soirée à venir, au baquet d'eau chaude qu'elle ferait monter, au diner qui suivrait et au conte qu'elle raconterait à Einar ce soir. Sans doute un de ceux qu'elle avait entendu de Kan. Mais un cri soudain l'arracha à ses projets : A LATTAQUE !
La voix n'était pas très lointaine mais son propriétaire hors de vue, et sans que Ju ait le temps de bouger, des hénissements affolés résonnèrent à son oreille. Un frisson métallique la parcourut. Que pouvait-elle bien faire maintenant ? Evidemment quelqu'un était en train de subir les assauts de pendards, évidemment qu'elle serait intervenue, mais la chaleur contre son sein la retint.
Silencieusement, elle fit quelques pas de coté et se tapit dans l'obscurité la plus profonde qu'elle trouva. A ses oreilles, des bruits sourds de lutte, les battements rapides de son coeur, le souffle de son petit. Un bourdonnement aussi, le sang qui s'agite. Et soudain la voix familière, celle qui promet résistance et soutien, la voix paternelle s'élève, forte, fière et juste : AD SCINTILLAE GLORIAM !
Un souffle s'ensuivit : Père... Et Ju se lève, avec hâte, serre son fils maintenant agité, gagné par la nervosité de sa mère, et allonge la foulée jusquà s'être suffisamment approchée du lieu de ce qui ne pouvait être qu'une embuscade. Ju connaissait ce chemin, c'était là que le danger était le plus probable.