Cerridween
Elle se tient là, la Pivoine droite dans ses bottes, à l'abri dans son mantel licorne de la brise légère mais froide de ce petit jour de février.
Aujourd'hui est un jour particulier.
Elle rencontre Adrian Fauconnier.
Rencontrer est un mot galvaudé. Elle l'a connu déjà. Croisé serait l'expression plus appropriée. Meymac. Jours encore gris comparés au ciel noir qu'elle a traversé ces derniers temps. Des joutes perdues et une passe d'arme gagnée. Le soleil blond de Varenne perce encore les nuages à ses côtés. Un cri qui résonne au dehors alors qu'elle goûte, à l'abri, dissimulée derrière la maigre barrière d'une tente, à un moment de calme, de répit, lèvres contre celles de celui qui lui avait promis de l'aimer toujours et qui était encore en vie. Sinoples qui s'ouvrent, pupilles qui s'agrandissent quand la voix de son neveu hurle, quelque part dans le camps, le cry de ralliement des De Vergy. Panique, peur, et fuite vers l'appel. Arrêt. Coup d'oeil en grondement d'orage sur les deux bruns qui se battent à même le sol dans la boue. Rancur. De l'avoir privé pour des enfantillages d'un des rares moments de bonheur qu'elle s'accorde et qui lui est accordé. Réaction. L'un après l'autre ils avaient été empoignés et plongés la tête la première dans le cours d'eau à proximité.
Il a dû grandir depuis. A-t-il changé ?
Elle ne connait rien de plus de lui. Rien d'autre que son nom et ceux qui l'ont entouré. Il est le fils d'une légende qui hante encore les murs de pierres qui entoure le jardin encore endormi qui l'entoure. Bralic. Le chevalier noir. Un caractère à faire pâlir l'orage, un regard à glacer le sang. Mais derrière la carapace, un homme droit, un chevalier qui avait dévoué son corps et ce qu'il avait d'âme à la Licorne. Elle ne l'a pas connu la rousse à son grand regret. Pas directement. Tout ce qu'elle savait était ce que le vent soufflait encore de contes et de hauts faits à travers Ryes et le Royaume et tout ce que son frère lui avait légué, lors de discutions, aux temps bénis où encore vivant, tard dans la nuit, elle se serrait contre lui pendant qu'il lui contait au coin d'un feu, après de longs mois loin d'elle, sa vie, ses amis, ses emmerdes. Elle en avait su beaucoup. Ils étaient confidents et liés d'un amour d'une autre nature. La dernière chose dont elle se souvient, concernant le Fauconnier, est le souvenir des traits de son frère. Le jour où il lui avait appris sa mort. Une phrase simple et sans détour. Comme une nouvelle quelconque et anodine. Mais la tristesse était là, dans ses yeux... et ne l'avait pas vraiment quitté. La rousse avait foi en ses jugements comme en une religion. Mais ce fils, ce fils... il semblait bien différent.
A-t-il changé le petit brun qui la toisait du haut de ses trois pommes ?
Elle n'aurait pas eu cette incertitude latente, la rousse, avec ce qu'elle savait. Les réactions d'enfants ne sont pas à prendre en compte. Il était trop jeune pour présager de quelque chose. Mais elle en sait un peu plus... lorsqu'Enguerrand lui avait fait le récit de ce qu'il avait vu en taverne, son front s'était plissé. Quels étaient ses mots déjà ? Arrogant. Le premier. Il avait prit de haut le vieux tavernier de Ryes selon ses dires, qui avec son caractère trempé par les ans, n'avait pas assez bien servi sa noblesse. La réaction avait été directe. Un claquement de doigt et quatre hommes de ce qui semblait être sa garde rapprochée avaient entouré le tavernier, main à la garde en attente d'un ordre qui n'était pas venu. Les capitaines présents s'étaient interposés... quatre hommes d'armes contre un vieil homme si charpenté soit-il. Ce qu'on peut appeler un rapport de force déséquilibré. Elle revoit le visage du Grand Maitre, non sans ironie au coin des lèvres, lui faire mention de l'absence totale d'esprit chevaleresque dans un combat par procuration et déloyal par le nombre. Elle était resté un instant silencieuse devant la lettre que le jeune homme avait envoyé. Quelle différence entre le discours qui se déroulait en lettres appliquées sous ses yeux et l'attitude qu'elle venait d'apprendre et dont elle n'avait aucun doute quant à la véracité. Enguerrand était un meneur d'hommes et savait les juger. Elle lui faisait comme à son frère une confiance aveugle sur le sujet. Elle avait relu la lettre encore une fois sans lever les yeux vers le Grand Maitre.
Je veux aider à la paix en le biau royaume de France, devenir l'être honorable et désintéressé qui secourt les faibles dans la nécessité. Je consens aux sacrifices, à la patience, à l'humilité qui en découle.
Humilité... il semble que tu aies beaucoup à apprendre en la matière, jeune homme. En premier lieu que ce n'est pas qu'un mot qu'on peut coucher sur du vélin sans le comprendre. Ces valeurs là, pour s'en targuer, il faut les vivres à chaque instant et sans les trahir.
La tête de la rousse s'était relevée... un dernier instant de silence et elle avait accepté. Il serait son écuyer personnel. Enguerrand avait sourit sans rien dire. Elle y avait répondu sans rien ajouter de plus.
Décision annoncée au Haut Conseil réuni. Rédaction d'une missive pour qu'il vienne la rejoindre sans rien préciser d'autre qu'il devait rencontrer un chevalier.
Elle attend donc la Pivoine noire dans le silence le plus complet.
Harnachée à son habitude, sombre de pied en cap, bracelets qui enferment ses avants bras dans une gangue de cuir couleur nuit où se reflète dans un éclat matifié le faible soleil qui luit encore, elle attend, impassible. Canne devant elle dont le pommeau d'acier repose sous ses mains. Cheveux feu qui se déroulent, allant au grès de la brise, simplement disciplinés par deux tresses partant de ses tempes et qui se lient sur sa nuque. Derrière elle, contre un banc, son écu, retourné, ne laissant voir que les lanières de cuir qui servent à le porter.
Elle attend de le voir... elle attend sa réaction. Il semble très attaché à son nom. Il n'a peut être pas compris encore. Ce qu'elle a compris très tôt en venant ici. Un nom tel que le sien est loin d'être une garantie ou une liberté. Bien au contraire... il sera d'un poids innommable et il va falloir qu'il en fasse sien. Qu'il se détache de l'ombre de son père, comme elle a dû se détacher de l'ombre de son frère. Il va devoir rivaliser peut-être plus que les autres, ceux qui ne sont pas des "fils de" ou des "soeur de", pour cela. Il va falloir l'égaler d'une manière ou d'une autre. Il va falloir le tenir à bout de bras, l'honorer. Là est le double tranchant de l'hérédité. Un passé glorieux ne l'est que pour celui qui l'a tracé. Ton chemin jeune Fauconnier, entre ces murs, il ne fait que débuter. Et tu as posé apparemment des jalons malhabiles...
Elle attend la Pivoine noire...
Elle attend l'écho d'une légende affirmée, balbutiant, pour en juger de ses propres yeux la teneur... ainsi que la lourdeur de la tâche qui se profile... et qui lui incombe.
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Cerridween de Vergy
"Pourquoi faire simple, quand on peut faire chier le monde" (Cerrid by Bralic)
Aujourd'hui est un jour particulier.
Elle rencontre Adrian Fauconnier.
Rencontrer est un mot galvaudé. Elle l'a connu déjà. Croisé serait l'expression plus appropriée. Meymac. Jours encore gris comparés au ciel noir qu'elle a traversé ces derniers temps. Des joutes perdues et une passe d'arme gagnée. Le soleil blond de Varenne perce encore les nuages à ses côtés. Un cri qui résonne au dehors alors qu'elle goûte, à l'abri, dissimulée derrière la maigre barrière d'une tente, à un moment de calme, de répit, lèvres contre celles de celui qui lui avait promis de l'aimer toujours et qui était encore en vie. Sinoples qui s'ouvrent, pupilles qui s'agrandissent quand la voix de son neveu hurle, quelque part dans le camps, le cry de ralliement des De Vergy. Panique, peur, et fuite vers l'appel. Arrêt. Coup d'oeil en grondement d'orage sur les deux bruns qui se battent à même le sol dans la boue. Rancur. De l'avoir privé pour des enfantillages d'un des rares moments de bonheur qu'elle s'accorde et qui lui est accordé. Réaction. L'un après l'autre ils avaient été empoignés et plongés la tête la première dans le cours d'eau à proximité.
Il a dû grandir depuis. A-t-il changé ?
Elle ne connait rien de plus de lui. Rien d'autre que son nom et ceux qui l'ont entouré. Il est le fils d'une légende qui hante encore les murs de pierres qui entoure le jardin encore endormi qui l'entoure. Bralic. Le chevalier noir. Un caractère à faire pâlir l'orage, un regard à glacer le sang. Mais derrière la carapace, un homme droit, un chevalier qui avait dévoué son corps et ce qu'il avait d'âme à la Licorne. Elle ne l'a pas connu la rousse à son grand regret. Pas directement. Tout ce qu'elle savait était ce que le vent soufflait encore de contes et de hauts faits à travers Ryes et le Royaume et tout ce que son frère lui avait légué, lors de discutions, aux temps bénis où encore vivant, tard dans la nuit, elle se serrait contre lui pendant qu'il lui contait au coin d'un feu, après de longs mois loin d'elle, sa vie, ses amis, ses emmerdes. Elle en avait su beaucoup. Ils étaient confidents et liés d'un amour d'une autre nature. La dernière chose dont elle se souvient, concernant le Fauconnier, est le souvenir des traits de son frère. Le jour où il lui avait appris sa mort. Une phrase simple et sans détour. Comme une nouvelle quelconque et anodine. Mais la tristesse était là, dans ses yeux... et ne l'avait pas vraiment quitté. La rousse avait foi en ses jugements comme en une religion. Mais ce fils, ce fils... il semblait bien différent.
A-t-il changé le petit brun qui la toisait du haut de ses trois pommes ?
Elle n'aurait pas eu cette incertitude latente, la rousse, avec ce qu'elle savait. Les réactions d'enfants ne sont pas à prendre en compte. Il était trop jeune pour présager de quelque chose. Mais elle en sait un peu plus... lorsqu'Enguerrand lui avait fait le récit de ce qu'il avait vu en taverne, son front s'était plissé. Quels étaient ses mots déjà ? Arrogant. Le premier. Il avait prit de haut le vieux tavernier de Ryes selon ses dires, qui avec son caractère trempé par les ans, n'avait pas assez bien servi sa noblesse. La réaction avait été directe. Un claquement de doigt et quatre hommes de ce qui semblait être sa garde rapprochée avaient entouré le tavernier, main à la garde en attente d'un ordre qui n'était pas venu. Les capitaines présents s'étaient interposés... quatre hommes d'armes contre un vieil homme si charpenté soit-il. Ce qu'on peut appeler un rapport de force déséquilibré. Elle revoit le visage du Grand Maitre, non sans ironie au coin des lèvres, lui faire mention de l'absence totale d'esprit chevaleresque dans un combat par procuration et déloyal par le nombre. Elle était resté un instant silencieuse devant la lettre que le jeune homme avait envoyé. Quelle différence entre le discours qui se déroulait en lettres appliquées sous ses yeux et l'attitude qu'elle venait d'apprendre et dont elle n'avait aucun doute quant à la véracité. Enguerrand était un meneur d'hommes et savait les juger. Elle lui faisait comme à son frère une confiance aveugle sur le sujet. Elle avait relu la lettre encore une fois sans lever les yeux vers le Grand Maitre.
Je veux aider à la paix en le biau royaume de France, devenir l'être honorable et désintéressé qui secourt les faibles dans la nécessité. Je consens aux sacrifices, à la patience, à l'humilité qui en découle.
Humilité... il semble que tu aies beaucoup à apprendre en la matière, jeune homme. En premier lieu que ce n'est pas qu'un mot qu'on peut coucher sur du vélin sans le comprendre. Ces valeurs là, pour s'en targuer, il faut les vivres à chaque instant et sans les trahir.
La tête de la rousse s'était relevée... un dernier instant de silence et elle avait accepté. Il serait son écuyer personnel. Enguerrand avait sourit sans rien dire. Elle y avait répondu sans rien ajouter de plus.
Décision annoncée au Haut Conseil réuni. Rédaction d'une missive pour qu'il vienne la rejoindre sans rien préciser d'autre qu'il devait rencontrer un chevalier.
Elle attend donc la Pivoine noire dans le silence le plus complet.
Harnachée à son habitude, sombre de pied en cap, bracelets qui enferment ses avants bras dans une gangue de cuir couleur nuit où se reflète dans un éclat matifié le faible soleil qui luit encore, elle attend, impassible. Canne devant elle dont le pommeau d'acier repose sous ses mains. Cheveux feu qui se déroulent, allant au grès de la brise, simplement disciplinés par deux tresses partant de ses tempes et qui se lient sur sa nuque. Derrière elle, contre un banc, son écu, retourné, ne laissant voir que les lanières de cuir qui servent à le porter.
Elle attend de le voir... elle attend sa réaction. Il semble très attaché à son nom. Il n'a peut être pas compris encore. Ce qu'elle a compris très tôt en venant ici. Un nom tel que le sien est loin d'être une garantie ou une liberté. Bien au contraire... il sera d'un poids innommable et il va falloir qu'il en fasse sien. Qu'il se détache de l'ombre de son père, comme elle a dû se détacher de l'ombre de son frère. Il va devoir rivaliser peut-être plus que les autres, ceux qui ne sont pas des "fils de" ou des "soeur de", pour cela. Il va falloir l'égaler d'une manière ou d'une autre. Il va falloir le tenir à bout de bras, l'honorer. Là est le double tranchant de l'hérédité. Un passé glorieux ne l'est que pour celui qui l'a tracé. Ton chemin jeune Fauconnier, entre ces murs, il ne fait que débuter. Et tu as posé apparemment des jalons malhabiles...
Elle attend la Pivoine noire...
Elle attend l'écho d'une légende affirmée, balbutiant, pour en juger de ses propres yeux la teneur... ainsi que la lourdeur de la tâche qui se profile... et qui lui incombe.
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Cerridween de Vergy
"Pourquoi faire simple, quand on peut faire chier le monde" (Cerrid by Bralic)